Publications prochaines :

La publication des articles est conçue selon une alternance entre le culinaire et la culture où prennent place des critiques de spectacles, de films, de concerts, de livres et d’expositions … pour y défendre les valeurs liées au patrimoine et la création, sous toutes ses formes.

lundi 4 septembre 2017

Les grands esprits de Olivier Ayache-Vidal

Les grands esprits sont réputés pour avoir la capacité de s'attirer puisqu'il n'y a que les montagnes qui ne se rencontrent pas, et Olivier Ayache-Vidal a choisi ce titre en clin d'oeil à l'expression. Par dérision aussi à l'égard de ceux qui pourraient se croire supérieurs parce qu'ils évoluent dans un milieu social particulier.

J'ai du mal à écrire "favorisé" parce que, franchement, la première scène ne donne pas envie, mais alors pas du tout, de candidater à H4... pardon Henri IV. On ne souhaite à personne l'humiliation pratiquée gratuitement (et avec perversité) par le prof rendant les copies.
On aurait envie qu'il en bave pour comprendre la "vraie" vie. Ça tombe bien, il va enfin la connaitre, suite à une mission où il est condamné à se porter volontaire au cours d'une scène hilarante tournée dans le (vrai) cabinet d'un ministre.

A force de clamer haut et fort que les collèges de banlieue n'ont que des profs inexpérimentés et que le secret de la réussite est de donner le goût d'apprendre c'était fatal que François Foucault soit mis au pied du mur. Et le mur sera haut.

Le film sort le 13 septembre. Je l'ai vu en avant-première un jour de rentrée. Aucun masochisme de ma part : le scénario est excellent et on oublie qu'il a été écrit avec un matériau authentique rassemblé pendant trois ans passés en milieu scolaire. On est embarqué dans cette histoire qui ne ressemble pas à toutes les démonstrations qu'on a déjà entendues sur la jeunesse de la banlieue et qui a évité l'écueil du documentaire.

Denis Podalydès assure au max. Il puise dans ses souvenirs pour jouer le rôle du prof sadique de Henri IV dans son propre ancien lycée. Il s'appuie aussi sur le souvenir d'enseignants bienveillants qui lui ont donné envie d'embrasser cette carrière ... avant d'opter pour le théâtre. Il est probable aussi que sa maman, prof d'anglais en lycée, l'ait également inspiré.

L'impuissance apprise
Le réalisateur pointe, c'est inévitable, les dérives de ceux qui ne supportent pas la tension dans les collèges. Mais c'est Gaspard (Alexis Moncorgé, magnifique acteur de Amok, une pièce reprise bientôt au Lucernaire) qui craque en avouant publiquement qu'il ne supporte plus les élèves. C'est le système aussi qui est pointé, notamment l'accumulation des CD (surtout quand les profs sont crevés en hiver) qui ne sont pas des morceaux de musique mais des sortes de tribunaux dont l'issue est souvent fatale, avec l'exclusion et la récupération des jeunes par les caïds de la cité pour des tâches illégales qu'on devine aisément.

François Foucault s'insurgera contre ces Conseils de Discipline qui n'ont pas de portée éducative. Il exprime évidemment ses difficultés à changer de méthode pour gagner la confiance d'élèves désabusés. Sa soeur (Léa Drucker) lui fera finement comprendre en quoi le complexe du brochet éteint toute velléité de changement. Suit une séquence fort instructive et passionnante où François confronte ses élèves à des anagrammes, plus ou moins faciles.

Je me suis demandé si les Français n'étaient pas tous atteints par ce syndrome de la résignation acquise qui fait que quoiqu'on fasse c'est plié et qu'en conséquence même si on peut agir on ne le fait pas. Allez voir le film pour vous réveiller ! Mais si vous ne me croyez pas regardez au moins cette démonstration.

On ne peut pas dire que tout est bien qui finit bien mais Olivier Ayache-Vidal nous amène à porter un autre regard sur la situation. Son immersion dans le collège Barbara de Stains où il a tourné après avoir fait un casting parmi les élèves lui a permis d'être au plus près d'une réalité plausible, même si elle est bien entendu fictionnelle.
Ce n'est pas le Satyricon de Pétrone (que Denis Podalydès récite à la perfection au début du film) qu'il fera étudier en classe mais les Misérables de Victor Hugo en faisant oeuvre d'une pédagogie inventive et efficace. Il réalise (enfin) ce que c'est réellement que donner le goût d'apprendre.

Des musiques savamment choisies
La bande son est formidable, avec un seul titre en français, interprété par la chorale de l'école (le ministre actuel va être aux anges quand il verra le film. C'est son dada. Je parie ce qu'on veut qu'il complimentera le réalisateur de donner ainsi le bon exemple). Les paroles de Michel Berger sont un peu en demi-teinte quand on écoute attentivement Si maman si ... Il y a sans doute un message à décoder.

Tous les autres morceaux sont en anglais mais puissants. La voix chaude de Marion Black chantant Who knows au moment où François découvre son nouveau cadre, évoquant pour le moment un univers carcéral est très judicieusement choisi. Les paroles de 1970 tombent à pic. C'est le soleil ou la pluie qui seront au rendez-vous, qui sait ?

Plus tard ce sera Sharon Jones avec 100 Days, 100 Nights au moment de faire le point. Quand on a l'espoir de faire des merveilles, qu'on n'y arrive pas et qu'on multiplie les heures de colle.

Perhaps, perhaps, perhaps, interprété par Doris Day quand on peut espérer qu'une amourette démarre. Et pour accompagner la scène de fin, le mélancolique These were the days par Mary Hopkins (1968) que Dalida reprendra presque vingt ans plus tard sous le titre Le temps des fleurs.
Sans oublier la course poursuite dans la Grande galerie des Glaces du château de Versailles au rythme du célèbre morceau d'Edvard Grieg, In the Hall of the Mountain King (Peer Gynt).

Une belle leçon
Je ne dis pas que le réalisateur est donneur de leçon, pas du tout. On ressort joyeux de la projection, en se disant que finalement il y a des lueurs et qu'il ne faut pas se laisser aveugler par les tracas. Quand on a un vrai projet et qu'on adopte un comportement respectueux, cela peut marcher.

C'est peut-être l'administration qui aurait le plus à se remettre en cause. C'était le but en interdisant l'emploi du terme échec à l'école (mais dans ce cas pourquoi une semaine contre l'échec scolaire à compter du 20 septembre prochain ?) en exigeant des enseignants qu'ils ne mentionnent désormais  dans les carnets que les réussites.
J'avais aimé Entre les murs il y a dix ans sans m'apercevoir à l'époque combien le propos était défaitiste. Il y a un équilibre qui se construit au fil de l'histoire entre François et ses élèves, et singulièrement Seydou (Abdoulaye Diallo) qui se trouvent à la fin, assis cote à cote pendant la fête de fin d'année du collège, au même niveau émotionnel. L'un comme l'autre n'a pas réussi à concrétiser  leur projet amoureux mais aucun n'a perdu espoir. Démonstration est faite que l'impuissance apprise n'est pas un acquis définitif.

Aucun commentaire:

Articles les plus consultés (au cours des 7 derniers jours)