Publications prochaines :

La publication des articles est conçue selon une alternance entre le culinaire et la culture où prennent place des critiques de spectacles, de films, de concerts, de livres et d’expositions … pour y défendre les valeurs liées au patrimoine et la création, sous toutes ses formes.

mercredi 21 juin 2017

Costumes espagnols entre ombre et lumière à la Maison de Victor Hugo

La nouvelle exposition de la Maison de Victor Hugo mérite bien son titre, Costumes espagnols entre ombre et lumière. Elle va réjouir les yeux des parisiens qui restent cet été dans la capitale.

Elle est installée au second étage, mais il faudra ensuite descendre d'un niveau pour voir quelques pièces témoignant de l'hispanophilie de l'écrivain français.

Elle est composée d'un remarquable ensemble de costumes traditionnels espagnols issu des collections du Museo del Traje, le Musée du Costume et du Patrimoine ethnologique à Madrid, en lien avec la Saison Espagnole du Palais Galliera.

On peut voir pour la première fois à Paris une quarantaine de vêtements et accessoires de la fin du XVIIIe au début du XX° siècle, jadis catalogués au rang de témoignages folkloriques.

Les pièces choisies sont superbes, très bien conservées, et mises en scène comme s'il s'agissait de tenues d'un défilé de haute couture, à l'instar d'un studio photo, devant un cyclo déroulé du plafond jusqu’au sol.

La seconde bonne idée est d'avoir placé cette collection en miroir avec une abondante sélection de photos de José Ortiz Echague (1886-1980) – ingénieur de formation, et dont la grande passion fût la photographie.

Du Maroc espagnol, aux provinces de son pays natal, il a saisi les paysages, les monuments, et surtout les habitants avec leurs costumes traditionnels en rendant compte de leurs rituels avec acuité et bienveillance. J'ai choisi deux clichés qui ne sont pas identiques aux photographies que j'ai prises pour ne pas saturer le lecteur mais on constate sur place combien  l'écho est troublant.
Cette présentation est inédite et unique. la beauté de plusieurs pièces coupent le souffle. L'intensité des couleurs provoque le premier étonnement. Nul doute que la richesse et la finesse d'exécution de ces costumes traditionnels de toutes les régions d'Espagne ... ont inspiré les plus grands couturiers espagnols, comme Balenciaga, puis tous les autres ensuite, en particulier Christian Lacroix.
 
Ces tenues étaient portées quotidiennement ... avant que la mode (uniforme) ne s'impose en Espagne comme dans tous les pays. Le livre du photographe a constitué aussi un fond de ressources pour les couturiers. A quelques rares exceptions ce sont les personnes qui les ont portés qui les ont réalisés. Alors à nos aiguilles !
On nous rappelle que certains métiers requéraient des vêtements spécifiques tels les habits de bergers de la région d’Estrémadure – réalisés dans des matériaux très résistants, gros draps de laines ou cuirs souples, tannés à sec...
Le parcours commence avec une enfilade de capes masculines, en laine de mouton, que l'on portait aussi bien dans les pâturages qu'à l'occasion des cérémonies. Certaines sont ornées d'une étoffe de couleur noire portant des motifs géométriques, coupés au ciseau et surpiqués, qui recouvrent la pèlerine et la capuche (cf photo). Le modèle de droite provient d'Aliste, province de Zamora, en bordure du Portugal. Il est sobre mais élégant.
les costumes féminins commencent dans la pièce suivante où on remarque la tenue d'un couple originaire de la même ville d'Aliste. Le costume de la femme est constitué de laine, coton, lin, toile, argent, perles de verre et cuir. Le tissu est un taffetas brodé, selon la technique du broché, avec découpes et ciselures selon la technique de l'ajouré et tannage. Chaque pièce est ainsi décrite dans le moindre détail. 
L'exposition présente aussi bien des vêtements quotidiens que d'exception, Ainsi, des paillettes et des fils métalliques embellissent cette tenue de "veuve riche", de la ville de Toro, toujours dans cette même province de Zamora. Les chaussures, difficiles à photographier à travers le cube de plexiglass sont tout aussi surprenantes, et parfaitement assorties.
L'art des broderies est sans doute à son paroxysme sans doute. Elles étaient réalisées sur place par les femmes qui avaient un savoir-faire aujourd'hui réservé à la haute couture. Ci-dessus on en a un exemple avec cette tenue de femme avec sagalejo jaune, encore de Toro.


Le cérémonial de la mariée dans la région de Tolède, voulait que la jeune fille superpose jusqu’à cinq toilettes (de droite à gauche sur la photo ci-dessus) pour arriver à la tenue complète, telle que vous la voyez à l'extrême gauche pour composer le Costume de mariée de Lagartera 1819-1925 :
Le costume traditionnel espagnol comporte un grand nombre de vêtements. A l’intérieur, il se distingue par la qualité et la quantité de ses broderies ; et à l’extérieur par ses nombreux motifs décoratifs faits de rubans brodés, de galons de dentelle d’or et d’argent, etc... Ainsi, le costume de mariée de Lagartera comporte-t-il jusqu’à 4 vêtements superposés pour le cérémonial traditionnel très complexe qui dure jusqu’à quatre jours. Il peut être également porté lors de diverses fêtes religieuses annuelles telle la fête Corpus Christi.

Une autre robe de cérémonie et de mariage dite La Alberca 1880-1925, de la région de Salamanque, est elle aussi faite de juxtapositions, et accumulation de bijoux, et chaussures assorties.
Composé d’une chemise, d’un pourpoint, de deux sayas, d’un tablier et d’une mantille, il s’agit d’un ensemble unique en Espagne. Il se distingue par l’imposante quantité de bijoux qu’il comporte, un en- semble qui peut peser plusieurs kilos et qui représente la richesse de sa propriétaire. C’était à l’origine un costume de mariée qui avait une fonction protectrice et qui mêlait symboles religieux et païens. Aujourd’hui, il est utilisé dans les célébrations de la Vierge de l’Assomption.

Cette tenue se distingue par ses couleurs sombres, rosées, argentées et dorées, mais surtout par les médailles reliquaires, croix et amulettes qui l'ornent. La parure composée d'une succession de colliers en corail et argent doré, et par ces chaines appelées brazaleras, est un exemple parfait de l'esthétique baroque. Les tenues pouvaient en effet s'alourdir de multiples bijoux comme ces tenues de fête de Grenade et les vêtements des hommes sont souvent très ornementés eux aussi.
Ce sont les provinces castillanes qui appréciaient le plus les colliers de corail, organisés d'assemblage de reliquaires, croix, médailles, pièces de monnaie, amulettes et pendentifs, profanes ou religieux. L'objectif était de recouvrir toute la poitrine en affirmant sa position sociale et économique.
Voici maintenant (ci-dessous à gauche) des aristocrates vêtus en majos. On parlait aussi de goyescos parce que le peintre Goya a largement repris leurs vêtements. La tenue féminine a évolué vers la silhouette à taille haute avec un boléro court, une basquina noire, des passementeries, franges et houppes, et une mantille en dentelle. Le costume trois pièces de l'homme évoluera vers le "vestido de luces", l'habit de lumières du torero.
Costume de femme de Santa Cruz de la Palma (La Palma, Santa Cruz de Tenerife) 1880-1925
(à droite ci-dessus) Composé d’un jupon brodé, d’une jupe de laine, d’un pourpoint de soie, d’une chemise et d’un foulard de lin et d’une toque en laine. Quotidien à l’origine, il est devenu le costume caractéristique de cette île des Canaries.
Costume Charro de l’Infante Isabelle de Bourbon “La Chata”. 1880-1900
Il comprend un pourpoint, un élément de corsage, un  chu, un tablier et deux robes, il est caractéristique de la région de Campo Charro. Brodé à l’aiguille de petites perles de pâte de verre coloré, de paillettes et d’éclats de miroir, les motifs  oraux couvrent toute la surface du tablier.
Les  chapeaux d'Extremadure, paille de seigle, laine, satin, perles de verre, métal, techniques de tressage et de la torsade. Ils servaient à se protéger pendant les travaux agricoles mais ils deviennent aussi un élément de séduction.
Celui-ci se portait au-dessus du foulard, avec des jupons de laine ornés de tissus de couleurs vives. C'est typique d'Avila, dans la Mancha. 

En complément, un accrochage dans l’appartement de Victor Hugo, évoque ses liens forts avec l’Espagne : depuis ses souvenirs d’enfance avec son père à Madrid, à son voyage de 1843 avant la mort de Léopoldine, qui ont imprégné son oeuvre théâtrale et ses engagements politiques. Une occasion de faire dialoguer gravures de Goya et dessins de Victor Hugo...
J'ai remarqué la planche 39 des Caprices de Francisco de Goya y Lucientes (1746-1828). Cette eau-forte est intitulée Jusqu'à son grand-père, prêtée par le musée Goya à Castres.
Dans l'escalier qui mène à son appartement - qu'il choisit en 1832 parce qu'il lui rappelait le Palais Masserano dans lequel il avait vécu enfant à Madrid-, ses drames espagnols Hernani et Ruy Blas sont évoqués à travers les photographies d'acteurs qui en ont incarné les personnages et de décors qui ont été imaginés pour leur mise en scène. On peut voir dans l'entrée cette lithographie d'André Rouveyre montrant Albert-Lambert fils en Ruy Blas à la Comédie Française en 1905.
On trouve donc en toute logique le poème la Rose de l'infante, et le portrait de l'infante marie-marguerite d'après Velasquez réalisé par Clotilde Juillerat (1806-1904), et la robe en taffetas de soie portée par Léopoldine le jour de son mariage le 14 février 1843.
Cette année là c'est un homme que l'on dit assombri par le "bonheur désolant" d'avoir marié sa fille qui part en Espagne avec Juliette Drouet. Il apprendra la mort de sa fille sur le chemin du retour, ce qui va empêcher le poète de célébrer les paysages qu'il a tant admirés. Il faut attendre la fin des années 1850 pour que sa plume les ressuscite dans des encres et lavis qu'il intitule Souvenir d'Espagne, et qui ne sera publié qu'après son décès, dans le lit qui occupe une pièce plutôt sombre.
Il faut bien entendu s'attarder dasn la pièce principale, au décor d'origne, ultra chargé.
On admirera quelques bas-reliefs ... 
et plusieurs vitraux ... à travers desquels Victor Hugo ne manquait sans doute pas de regarder la verdure des frondaisons de la place des Vosges.
A la rentrée il faudra poursuivre avec la première rétrospective parisienne consacrée à Mariano Fortuny qui sera présentée au Palais Galliera du 4 octobre au 7 janvier 2018.

Costumes espagnols entre ombre et lumière à la Maison de Victor Hugo
21 juin au 24 septembre 2017
6 Place des Vosges - 75004 Paris
01 42 72 10 16
Du mardi au dimanche de 10h à 18h
Fermé le lundi et certains jours fériés

Aucun commentaire:

Articles les plus consultés (au cours des 7 derniers jours)