Nue sous la lune est un livre bouleversant parce que derrière cette oeuvre manifestement de fiction, en tout cas on l'espère, Violaine Bérot met en mots tout ce que la violence psychique peut faire comme ravages, bien plus que la violence physique, même si souvent les deux modes sont liés.
Celle (je pourrais tout autant écrire celui) qui a été meurtrie ne peut rien dire. En général elle est très forte, et c'est pour cela que le bourreau l'a choisie. Très souvent, comme dans cette histoire, ça commence par un déracinement : Elle a tout abandonné pour lui. Elle avait du talent, commençait à être reconnue comme sculpteur. Mais elle est devenue moins que sa servante. Insidieusement. S’est oubliée, reniée.
Au fil des années, car la relation d'emprise s'installe toujours durablement, il n'y a guère que deux voies possibles, supporter, ou fuir.
La victime pense naïvement que l'absence de plainte fera cesser l'agression, mais le silence n'est pas un paravent contre la cruauté. C'est souvent dans le regard d'un proche qu'elle comprend que l'autre va trop loin mais le reconnaitre est plus douloureux que de continuer à nier.
Si elle exprimait ses souffrances à son entourage, ce qu'elle ne fait pas dans le roman, il est probable qu'elle ne serait pas réellement crue ni soutenue. Elle serait alors exposée à une sorte de double peine. Elle ne pourrait que se replier dans le silence, pour oublier, le temps d'un répit. Jusqu'à s'oublier elle-même, devenir personne, comme l'écrit Violaine Bérot. Et avoir perdu jusqu'à toute raison de vivre.
La fuite, parfois, est salutaire, à condition de partir assez tôt, pour ne pas rechuter dans cette relation diabolique. C'est ce que tente la jeune femme dans les premières pages. Mais quand le processus est sévèrement installé le départ physique ne suffit pas pour déclencher une prise de conscience de sa capacité à se reconstruire ailleurs.
Violaine Bérot n'explique rien, ne justifie aucun geste, aucune décision. C'est arrivé, comme une maladie, contre laquelle il serait vain de chercher à lutter. Jouer à te quitter me rendait la vie supportable (p. 12). Si une rémission est envisageable, la guérison elle, ne l'est pas. C'est irrémédiable, c'est à dire littéralement sans remède.
On aura beau se raccrocher à ce qu'on peut, à des objets qui ne nous trahiront pas, ni ne nous remettront en cause (si le bourreau ne vous les jette pas ...). Ces objets sont par essence inanimés et inappropriés pour communiquer une force. Les petites femmes de bois de la jeune femme sont sans effet, comme le furent probablement les Causeuses de Camille Claudel. La destruction de la personnalité est si lente que même l'individu concerné ne s'en rend pas compte. Mais un jour vient où l'on n'est plus personne, donc effaçable.
Violaine Bérot a ancré le roman dans l'univers de la sculpture, ce qui est très habile parce qu'on remarquera que le sculpteur n'emploie pas le ciseau que sur les troncs d'arbres. Il sculpte et rabote aussi les pensées de sa compagne. A la référence, jamais citée, mais si présente de Rodin, on verra le Christ de Zadkine (p.88). Mais cela pourrait se passer dans n'importe quel milieu.
Elle démontre que l'art n'exonère de rien et qu'on ne peut pas s'en sortir tout seul, sans appui. Elle m'avait déjà touchée avec Des mots jamais dits. Elle est discrète mais ses livres ont une force incroyable pour dénoncer toutes les formes de violence dans une langue empreinte de poésie.
Violaine Bérot élève des chèvres et des chevaux en Ariège. Ecrire est pour elle totalement vital et plutôt que résumer sa biographie je préfère lui laisser la parole, tirée de son site.
Je suis née en 1967 au fond d’une vallée pyrénéenne. Ensuite il y a eu les études, la ville, une belle situation – informatique, aéroports et voitures de location, parfaite jeune cadre dynamique…
A 30 ans, j’ai tout lâché. Me trouvais ridicule dans cette vie-là. Suis retournée vivre au plein cœur des Pyrénées. Loin. Adossée aux arbres, avec la montagne en plein regard.
Par chez moi, on sait peu que j’écris, on l’oublie, ça n’importe pas. Écrire ne ressemble pas à un travail. Le seul métier que l’on me reconnaisse dans ma vallée, est celui d’éleveur. On ne fait pas appel à moi pour parler littérature mais lorsqu’une mise-bas est difficile, ou parce que mes mains savent traire et qu’il faut remplacer quelqu’un. Pour les gens de mon pays, que j’écrive n’est pas gênant, c’est seulement comme superflu.
J’écris pourtant. En-dehors du travail des bêtes, je crois même ne faire presque que cela. Quand je n’ai pas l’air d’écrire, j’écris encore. Je lis au soleil, et c’est pour écrire. Je marche des heures durant, et c’est encore écrire. Je ne dors pas la nuit mais c’est toujours écrire. Parfois je m’assieds à ma table, il ne me faut presque rien, un stylo, un papier – et puis, oui, une chose encore, cela surtout : me refermer très fort sur moi. Écrire c’est me retrouver seule, intensément.
Celle (je pourrais tout autant écrire celui) qui a été meurtrie ne peut rien dire. En général elle est très forte, et c'est pour cela que le bourreau l'a choisie. Très souvent, comme dans cette histoire, ça commence par un déracinement : Elle a tout abandonné pour lui. Elle avait du talent, commençait à être reconnue comme sculpteur. Mais elle est devenue moins que sa servante. Insidieusement. S’est oubliée, reniée.
Au fil des années, car la relation d'emprise s'installe toujours durablement, il n'y a guère que deux voies possibles, supporter, ou fuir.
La victime pense naïvement que l'absence de plainte fera cesser l'agression, mais le silence n'est pas un paravent contre la cruauté. C'est souvent dans le regard d'un proche qu'elle comprend que l'autre va trop loin mais le reconnaitre est plus douloureux que de continuer à nier.
C'est arrivé un matin alors que nous déjeunions. Un jeune homme m'a regardée, il a regardé les marques sur mon visage, le pourtour bleu de mon œil, il m'a regardée et j'ai senti qu'il aurait préféré ne pas comprendre ce qu'il était pourtant en train de comprendre (...). Çà voulait dire que je n'étais pas folle, que tu avais vraiment fait ce qu'il me semblait que tu avais fait.Ces paroles sont déterminantes : la victime n'est pas persuadée que c'est elle qui a raison. Elle se sent confusément coupable. Voilà pourquoi elle s'est tue. Et quand elle comprend c'est la honte qui l'empêche de parler.
Si elle exprimait ses souffrances à son entourage, ce qu'elle ne fait pas dans le roman, il est probable qu'elle ne serait pas réellement crue ni soutenue. Elle serait alors exposée à une sorte de double peine. Elle ne pourrait que se replier dans le silence, pour oublier, le temps d'un répit. Jusqu'à s'oublier elle-même, devenir personne, comme l'écrit Violaine Bérot. Et avoir perdu jusqu'à toute raison de vivre.
La fuite, parfois, est salutaire, à condition de partir assez tôt, pour ne pas rechuter dans cette relation diabolique. C'est ce que tente la jeune femme dans les premières pages. Mais quand le processus est sévèrement installé le départ physique ne suffit pas pour déclencher une prise de conscience de sa capacité à se reconstruire ailleurs.
Violaine Bérot n'explique rien, ne justifie aucun geste, aucune décision. C'est arrivé, comme une maladie, contre laquelle il serait vain de chercher à lutter. Jouer à te quitter me rendait la vie supportable (p. 12). Si une rémission est envisageable, la guérison elle, ne l'est pas. C'est irrémédiable, c'est à dire littéralement sans remède.
On aura beau se raccrocher à ce qu'on peut, à des objets qui ne nous trahiront pas, ni ne nous remettront en cause (si le bourreau ne vous les jette pas ...). Ces objets sont par essence inanimés et inappropriés pour communiquer une force. Les petites femmes de bois de la jeune femme sont sans effet, comme le furent probablement les Causeuses de Camille Claudel. La destruction de la personnalité est si lente que même l'individu concerné ne s'en rend pas compte. Mais un jour vient où l'on n'est plus personne, donc effaçable.
Violaine Bérot a ancré le roman dans l'univers de la sculpture, ce qui est très habile parce qu'on remarquera que le sculpteur n'emploie pas le ciseau que sur les troncs d'arbres. Il sculpte et rabote aussi les pensées de sa compagne. A la référence, jamais citée, mais si présente de Rodin, on verra le Christ de Zadkine (p.88). Mais cela pourrait se passer dans n'importe quel milieu.
Elle démontre que l'art n'exonère de rien et qu'on ne peut pas s'en sortir tout seul, sans appui. Elle m'avait déjà touchée avec Des mots jamais dits. Elle est discrète mais ses livres ont une force incroyable pour dénoncer toutes les formes de violence dans une langue empreinte de poésie.
Violaine Bérot élève des chèvres et des chevaux en Ariège. Ecrire est pour elle totalement vital et plutôt que résumer sa biographie je préfère lui laisser la parole, tirée de son site.
Je suis née en 1967 au fond d’une vallée pyrénéenne. Ensuite il y a eu les études, la ville, une belle situation – informatique, aéroports et voitures de location, parfaite jeune cadre dynamique…
A 30 ans, j’ai tout lâché. Me trouvais ridicule dans cette vie-là. Suis retournée vivre au plein cœur des Pyrénées. Loin. Adossée aux arbres, avec la montagne en plein regard.
Par chez moi, on sait peu que j’écris, on l’oublie, ça n’importe pas. Écrire ne ressemble pas à un travail. Le seul métier que l’on me reconnaisse dans ma vallée, est celui d’éleveur. On ne fait pas appel à moi pour parler littérature mais lorsqu’une mise-bas est difficile, ou parce que mes mains savent traire et qu’il faut remplacer quelqu’un. Pour les gens de mon pays, que j’écrive n’est pas gênant, c’est seulement comme superflu.
J’écris pourtant. En-dehors du travail des bêtes, je crois même ne faire presque que cela. Quand je n’ai pas l’air d’écrire, j’écris encore. Je lis au soleil, et c’est pour écrire. Je marche des heures durant, et c’est encore écrire. Je ne dors pas la nuit mais c’est toujours écrire. Parfois je m’assieds à ma table, il ne me faut presque rien, un stylo, un papier – et puis, oui, une chose encore, cela surtout : me refermer très fort sur moi. Écrire c’est me retrouver seule, intensément.
Nue sous la lune de Violaine Bérot chez Buchet Chastel, en librairie depuis le 12 janvier 2017
Photos provenant du site de l'auteure
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