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vendredi 8 septembre 2017

Le Redoutable de Michel Hazanavicus

J'ai vu Le Redoutable en avant-première du Festival Paysages de cinéastes et j'en suis revenue enthousiaste. J'avais un souvenir très mitigé du dernier film de Jean-Luc Godard, Adieu au langage et je suis ravie de modifier l'image que j'avais de ce cinéaste, même si celle-ci était sans doute exacte car sa mauvaise humeur est de notoriété publique. J'ai tellement ri que je pourrais concevoir une certaine tendresse à son égard.

Car Michel Hazanavicus nous propose un détournement fantaisiste de son "confrère". Le film doit beaucoup à deux ouvrages (Une année studieuse, Gallimard 2012 mais surtout Un an après, publié en 2015) qu’Anne Wiazemsky consacra à son histoire avec Jean-Louis Godard, avec qui elle se maria en Suisse en juillet 1967.

Le Redoutable est remarquablement conçu, à l'instar de ce qu'aime faire Hazanavicus, et avec donc de multiples trouvailles esthétiques, très inspirées des propres formes que l'on peut voir dans l'univers des films de Godard mais il n'est pas pour autant nécessaire de connaitre sa filmographie pour apprécier.

Les intertitres sont des références aux films du cinéaste. Ils arrivent fort à propos. Par exemple au moment de la rupture Sauve qui peut (les meubles) renvoie à Sauve qui peut la vie. Juste avant Pierrot le mépris en combinait deux. Et quand Tuer Godard s'affiche sur l'écran nous ne sommes pas surpris d'entendre Anne dire au serveur que oui c'est fini.

La séquence de la fin de leur amour est commenté par un extrait de Fragments d’un discours amoureux de Roland Barthes sur le caractère infini de la scène de ménage. Il est lu, en voix off, par Michel Subor, l’acteur principal du Petit Soldat.

Certaines scènes sont filmées en noir et blanc, ou en couleurs inversées. Anne allongée nue fait penser bien entendu à Brigitte Bardot sous le regard de Michel Piccoli. Avec des musiques qu'on connait tous, même quand le disque est rayé. Des images d'archives arrivent fort à propos. Et surtout l'incarnation de Louis Garrel est fabuleuse. Il est plus Godard que Godard, même allure, et même défaut d'élocution que l'on pensait unique.

Sa femme est interprétée par Stacy Martin avec, de mon point de vue un peu moins de vérité, mais parce que je connais Anne Wiazemsky, ce qui évidemment m'influence. Elle est néanmoins très juste et le couple qu'elle forme avec son partenaire fonctionne à la perfection.

On connait l'histoire. Qui s'inscrit dans la "grande" Histoire, notamment les évènements de mai 68. Et on sait que le mariage entre Anne et Jean-Luc fut fulgurant. Mais on suit les épisodes comme si tout s'écrivait sous nos yeux.

On regrette au bout du compte que Jean-Luc Godard ait sombré dans l'incommunicabilité alors que l'avenir lui appartenait. Il avait inventé un cinéma inclassable, sauvage mais qui inaugurait un genre nouveau : la nouvelle vague c'était surtout lui.

Les adjectifs s'imposent, de toutes les couleurs, sur l'écran noir du cinéma, comme autant de facettes du personnage : inclassable, iconoclastes, toxique, révolutionnaire, drôle, génial, gauchiste, brillant, charismatique, tragique, adulé, détesté, nouveau, mythique, méprise, politique, gourou, amoureux, joueur, enragé, visionnaire, cinglant, surprenant, méprisant, hautain, enragé, charmant, manipulateur, maestro ...

Il est tout cela et aussi masochiste, pour devenir finalement, presque sympathique. Au début en tout cas, comme François Truffaut le faisait remarquer au moment de sa rencontre avec Anne, son interprète de La Chinoise, un film dédié à la révolution culturelle chinoise qu’il a tourné dans son propre appartement de la rue de Miromesnil. Car l'amour le transforme. Mais pas durablement et le film de Michel Hazanavicus donne des clés pour comprendre le phénomène.
Janvier 1968, fraîchement marié, le couple Godard-Wiazemsky emménage au 17 de la rue Saint-Jacques, en plein Quartier Latin. Quatre mois plus tard ils sont au coeur de la révolution. Si Anne ne s'y intéresse que superficiellement, Jean-Luc par contre se radicalise. Et perd quelques amis, comme Michel Cournot dont il s'interdit de soutenir le film à Cannes (le festival sera annulé d'ailleurs), par pur respect de son mépris pour la manifestation officielle.
L'échec de la Chinoise a sans doute compté et la remise en question du réalisateur pèse tout autant. La suite ne sera qu'une lente et irrémédiable chute, ponctuée de scènes très drôles. Il casse ses lunettes régulièrement (les a-t-il brisées si souvent dans la réalité ? en tout cas le geste est métaphorique de son aveuglement comme de sa volonté de changer de regard sur le cinéma). 

On le voit nu, comme sa femme, discuter de la pertinence d'accepter de tourner nu au cinéma. A un autre moment il affirme face caméra qu’un acteur est tellement con qu’il est possible de le lui faire dire… face caméra. Il se dispute avec ses amis, ne censurant aucune pensée critique, même dans l'univers confiné d'une voiture remontant de Cannes sur Paris. Il contrarie Anne régulièrement, juste avant de demander pardon toujours avec une humilité déconcertante.

On sent à la fois l'intensité des rapports amoureux et le délitement de la relation. Le regret d'Anne résonne avec justesse : j'ai aimé Jean-Luc tant que j'ai pu, aussi longtemps que j'ai pu. Car c'est aussi et avant tout une histoire d'amour.

Et surtout l'humour (très particulier je le concède, proche de la mauvaise foi) de Godard : c'est pas parce que je me suis trompé que j'avais tort.

Le film ne prétend pas à la vérité. On pourrait estimer qu'il ne fallait pas désacraliser le monument. Mais ce détournement fantaisiste n'en est pas si éloigné qu'il y parait car Godard n'a eu de cesse précisément que de "tout" désacraliser. Je ne suis pas sure d'avoir raison dans mon analyse mais vous vous auriez tort de vous priver de ce film !

Le Redoutable, de Michel Hazanavicius (France, 1h47). Avec Louis Garrel, Stacy Martin, Bérénice Bejo, Grégory Gadebois. Sortie le 13 septembre 2017.

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