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La publication des articles est conçue selon une alternance entre le culinaire et la culture où prennent place des critiques de spectacles, de films, de concerts, de livres et d’expositions … pour y défendre les valeurs liées au patrimoine et la création, sous toutes ses formes.

vendredi 8 août 2025

La cuvée L'ocre Jeanne de Benoît Brazilier

Je sais que c'est, comme on dit, un cépage segmentant, car tout le monde n'apprécie pas le Chenin. Personnellement, et en toute modération, je l'adore, et particulièrement cette cuvée L'ocre Jeanne de Benoit Brazilier.

Le vigneron lui a donné ce nom en se livrant à un jeu de mots avec le prénom de sa fille Jeanne et l’étiquette est particulièrement réussie avec son côté vieilli. Les vignes occupent 1 hectare et la production n'est que de 3000 bouteilles, assez constantes d'une année à l'autre en matière de qualités organoleptiques.

Au nez, le Chenin exprime des notes fruitées et boisées, des arômes de fruits jaunes, de fruits secs, d’agrumes, de fleurs blanches, de miel, de silex… associés à un toucher en bouche onctueux, une grande finesse et à une persistance aromatique exceptionnelle qui appelle à une gastronomie raffinée mais qui apporte une jolie note à des plats simples.

J'ai associé la cuvée L'ocre Jeanne à une andouille rôtie - purée mais si le résultat était plus que satisfaisant je dois reconnaitre que rien n'égale l'andouille que propose le restaurant du même nom.
Je l'ai aussi servi tout au long d'un repas où la galette de sarrasin était à l'honneur. Ce fut très agréable de pouvoir apprécier ce vin avec une crêpe classique (chacun l'ayant à son choix garnie de jambon ou saumon, avec ou sans champignons, pommes de terre en robe des champs, et autres assaisonnements habituels). Je précise que j'ai utilisée la farine de sarrasin Alnatura (de l'eau et un peu de sel fin) qui est élaborée à partir de grain moulu. La pâte s'obtient sans aucun grumeau à vitesse record. Elle est de couleur presque rose et les galettes ont un goût de noisette vraiment exceptionnel.
Il s'est tout à fait en accordé aussi -et ce fut une surprise heureuse- avec la version sucrée de ce plat : des pommes caramélisées.
La cuvée L'ocre Jeanne est élaborée et élevée en barriques pendant 12 mois, ce qui ajoute un parfum subtil mélangeant des notes sucrées de fruits bien mûrs de pomme avec malgré tout une petite note mentholée, qui se combine à la fraicheur du vin, mais c'est peut-être elle qui déroute le néophyte. Par contre elle est d'une subtilité exceptionnelle avec les pommes rôties.
J'ai même risqué de le servir sur une tarte aux abricots et là encore ce fut réussi.

Ce blanc puissant peut se garder 5 ans, ce qui est un autre de ses atouts.

lundi 4 août 2025

Du même bois de Marion Fayolle

J’ai rencontré Marion Fayolle au Centre Pompidou à l'occasion du vernissage de l’exposition la BD s'expose à tous les étages dont elle avait conçu la partie destinée aux enfants. J’ai alors découvert son univers à la fois fantasque et onirique.

Cette grande admiratrice de Tomi Ungerer et de Claude Ponti venait de publier son premier roman, Du même bois, chez Gallimard, mais je n’ai pas eu le temps de le lire à cette époque. Je viens de le faire et j’ai immensément apprécié cette centaine de pages qui se lisent comme des nouvelles, dans la veine de Marie-Hélène Lafon qui est une des auteures majeures pour décrire la ruralité (notez qu’elle préférerait que j’emploie le terme de paysannerie).

Si celle-ci fait revivre le Cantal, Marion Fayolle nous embarque en Ardèche et nous ne sommes pas loin de penser aussi à La montagne que Jean Ferrat voyait s’endormir. Celle de Marion est belle, quoique inquiétante, quand elle regarde vers la ferme en pleurant des cailloux (p. 30).
Les enfants, les bébés, ils les appellent les "petitous". Et c’est vrai qu’ils sont des petits touts. Qu’ils sont un peu de leur mère, un peu de leur père, un peu des grands-parents, un peu de ceux qui sont morts, il y a si longtemps. Tout ce qu’ils leur ont transmis, caché, inventé. Tout.
C’est pas toujours facile d’être un petit tout, d’avoir en soi autant d’histoires, autant de gens, de réussir à les faire taire pour inventer encore une petite chose à soi.
C'est la gamine qui raconte son héritage et cette enfant, c’est elle, pas de doute là-dessus (même si le livre est une fiction) : on la reconnaît à sa manière de faire des plans dans des carnets (p. 29). L'auteure a puisé dans des souvenirs personnels et avoue avec humilité que la gamine n’a rien pu faire, à part noter des choses dans ses carnets, elle ne sait rien faire (p. 110). Avec les autres gamins, elle braconne le passé en fouillant le clapas derrière la fermeIls sont loins de la tristesse de la jeunesse actuelle, dont les yeux sont rivés sur des écrans. Qu’auront-ils engrangé comme souvenirs, les jeunes d'aujourd'hui, et qu’écriront-ils plus tard ?

Je me souviens que Marion Fayolle avait souligné à Beaubourg sa difficulté à décrire la réalité avec ses dessins. Dans ce premier roman elle parvient avec sensibilité à donner de la voix en faisant preuve d'une belle force poétique.

L’histoire se reproduit dans la ferme de génération en génération : on s’occupe des bêtes, on vit avec, celles qui sont dans l’étable et celles qui ruminent dans les têtes. Peintes sur le vif, à petites touches, les vies se dupliquent en dégradé face aux bêtes qui ont tout un paysage à pâturer. J’y ai retrouvé des expressions de ma propre enfance comme aller donner aux bêtes. J'ai été émue par cet homme obligé de tirer sur son chien avec son fusil (p. 36) et touchée par la justesse des réflexions comme celle-ci : Le vin n’estompe pas le désespoir mais en remet une épaisseur (p. 72). Ou encore celle-là, terrible : On peut mourir d’un excès de tendresse comme ces petits lapins ou d’avoir été gavé de luzerne aux bêtes alors la gamine fait gaffe avec son petitou (p. 94).

Ce n’est pas une vie de reprendre une ferme comme la leur … et pourtant ce fut toute la leur (p. 108). Et son besoin d'écrire est consécutif à la difficulté de son oncle de trouver un repreneur pour la ferme familiale.

Alors on ne s’étonne pas que le livre soit dédié à sa famille, qu'elle ait réalisé le bandeau et qu’elle ait glissé deux croquis.

Du même bois de Marion Fayolle, Gallimard, Collection Blanche, en librairie depuis le 4 janvier 2024

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