ULIS n’est pas un prénom mais l’acronyme désignant une Unité Localisée pour l'Inclusion Scolaire. Ce n’est pas une classe en tant que tel. C’est plus un dispositif de soutien (p. 23) et collectif qui permet à des élèves en situation de handicap de suivre un enseignement adapté au sein d'un établissement scolaire ordinaire français (école, collège ou lycée).
Nous allons suivre pendant une année scolaire, la vie d’une ULIS avec ce qu’elle comporte de soucis, notamment administratifs, comme la gestion des absences, mais aussi de cas de conscience (lorsqu’on suppose par exemple qu’un enfant est battu, ou qu’on découvre qu’un autre porte une couche - p 85), de difficultés à enseigner à un groupe très hétérogène, dont beaucoup arrivent sans diagnostic préalable, et à fédérer le nombre d’intervenants. Sans parler de la nécessité à faire accepter les « différences » par l’ensemble de l’établissement dans un respect mutuel, tout autant que par les parents qui bien souvent ne comprennent pas où se situe l’intérêt de leur enfant.
Je connais plutôt bien la question de l’accueil des élèves dits « en situation de handicap » et je m’estime une certaine compétence pour juger le travail de Fabien Toulmé qui est le scénariste, l’illustrateur et le coloriste de ce roman graphique, vraiment tous publics et admirablement conçu.
Je ne jugerai pas la réalisation graphique qui peut plaire ou non, selon les préférences qu’on peut avoir en la matière. Le crayon de l’artiste est solidement ancré dans la réalité contemporaine. Ses dessins sont simples et au service des expressions de personnages dont les traits sont arrondis. L’emploi de la bichromie, différente en fonction des saisons, mais toujours avec une dominante de bleus, compose une atmosphère de douceur, qui n’exclut pas la gravité des situations traversées.
Mais pour le reste, ce qui est d’abord particulièrement réussi c’est le scénario. Je salue la prouesse d’avoir abordé la majorité des problèmes qui se posent dans ce contexte sans pêcher par excès d’optimisme ou de pessimiste ni être pour autant donneur de leçon. Très souvent l’auteur lance une problématique sans fournir de solution, en utilisant l’ellipse pour passer à un autre sujet. C’est très astucieux. Au lecteur de se livrer à ses propres suppositions.
De la même façon, le livre ne se termine pas sur une véritablement happy-end, ni par une catastrophe. On peut là encore deviner que le personnage principal va continuer à évoluer sans renier la parenthèse professionnelle qu’il a décidé de faire.
Yvan a fait un burn-out alors qu’il adorait son métier de programmeur informatique. On comprend que plusieurs mois plus tard il n’a pas eu d’autre choix que d’accepter un poste d'Accompagnant d'Elève en Situation de Handicap (AESH) en classe ULIS. Une situation qui ne fait pas rêver grand monde et pourtant c’est un beau métier (p. 14) et, comme le souligne sa collègue, Y a mieux qu’AESH pour se mettre dans le bain (p. 53).
Alors qu’il n’a ni formation ni expérience et est dans un état de grande fragilité émotionnelle, l’ingénieur est plongé sans aucune préparation préalable dans un monde nouveau pour lui et dont il ignore les codes. On le voit tenter de trouver une place au sein d’une équipe dévouée mais éprouvée par un système à bout de souffle, débordée par des élèves hors normes et une Education nationale qui invente de nouveaux acronymes pour donner l’illusion que ça progresse (p. 119).
Ajoutez à cela que l’homme est en plein doute, professionnel et personnel (il n’est pas encore remis d’une rupture sentimentale). Sa recherche d’un nouvel équilibre sera ponctuée de remises en cause d’autant qu’il n’est pas le seul à comprendre qu’un tel job n’est pas une fin en soi. Mariama, depuis cinq ans en ULIS et qui est la plus expérimentée, estime que ce boulot est trop précaire, pas assez considéré, et va donc tenter une formation en éducation spécialisée.
La représentation graphique d’Yvan pourrait correspondre à ce qu’on imagine être « une bonne bouille ». Il va malgré tout comprendre dès la première crise de l’élève qui lui a été confié que la bonne volonté ne suffit pas. Les collègues lui expliqueront qu’être AESH, c’est être une béquille pas une prothèse (p. 25).
Il est astucieux d’intercaler des conversations avec sa soeur, et des séances de psychothérapie qui seront d’un soutien efficace (un peu à l’instar de la situation d’AESH pour un élève en difficulté). Le psy lui fera comprendre qu’il surestime son rôle. Plus vous mettez la barre haute plus vous aurez peur de l’échec (…) Chez vous la peur de l’échec est un moteur bien plus puissant que la simple satisfaction du travail bien fait (p. 156).
Malgré la gravité du contexte, Fabien Toulmé insuffle régulièrement un humour discret (l’allusion à une sortie scolaire au Bassin des Lumières en est un exemple) et surtout beaucoup d’amour dans cette histoire qui est exemplaire sans être culpabilisante, pour la raison essentielle qu’on peut pas tout réparer. A cet égard la scène dans laquelle Matisse, l’enfant hors normes, soutient de ses mains le sac à dos d’Yvan parce qu’il sait qu’il souffre de dorsalgie est très touchante (p. 167). Elle symbolise combien on a à apprendre et recevoir des autres.
Tout le monde aura fait « un beau voyage » au terme de l’année scolaire, au sens propre avec la classe de mer, comme au figuré. On a le sentiment que les cartes sont en cours de redistribution même si rien n’est devenu parfait et que l’auteur conclut sur une fin ouverte, avec un certain suspens, bien qu’il nous ait donné un indice quelques pages plus tôt en montrant qu’Yvan peut utiliser ses compétences informatiques pour créer un jeu d’apprentissage.
ULIS est un roman sur la question de la place, la nôtre et celle des autres, dans un monde où l’inclusion est une valeur fondamentale et où la résilience agit comme carburant.
ULIS de Fabien Toulmé, collection Mirages, Delcourt, en librairie depuis le 3 septembre 2025
Lu en version numérique de 320 pages sur la plateforme NetGalley
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