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dimanche 5 octobre 2025

Les évolutions futures de Maison & Objet

Après avoir parlé de la Paris Design Week qui est la manifestation parisienne intra-muros de Maison & Objet axée sur le design, j'avais promis dans l'article consacré à mes coups de coeur de l'édition de septembre 2025 d'approfondir la question des évolutions à venir du salon en terme de positionnement et qui ont fait l’objet d’une conférence de presse à laquelle j'ai assisté tout en donnant le bilan de cette dernière édition. Et surtout d'une seconde conférence de presse dans la salle de bal de la Maison Baccarat, Place des Etats-Unis à Paris, et que j'ai suivie à distance, puisque je me trouvais alors au Mexique.

Je reviendrai ensuite sur l’un des débats proposés dans l’espace Cook & Share sur la complémentarité entre EPV et Origine France Garantie, et sur le point de vue de Thomas Joly, venu à la rencontre des visiteurs. 

La SAFI (qui est aussi l’organisatrice de Paris Design Week et de la marketplace MOM) a décidé d’en remanier les éditions pour mieux répondre aux attentes évolutives des professionnels du secteur. tout en restant fidèle à son ADN, qui est de révéler des visions inspirantes de l’Art de Vivre, où chaque Objet donne âme et caractère à la Maison.

Le changement de positionnement entre septembre et janvier est ainsi en cours depuis un an avec la fermeture des halls 2 et 3 pour donner une image de salon avec des halls toujours bien remplis. Il permet d’être stable sur la partie "objet" en ne changeant pas l'implantation des halls 6 et 7. Quant au Cook & Share, je rappelle qu’il n'existe pas en janvier. Blandine Sherpe a souligné combien ce secteur a connu un très vif intérêt, avec un très bon niveau d'affaires, le plus élevé depuis dix ans.

Le volume des exposants a été diminué sur la partie Maison et certains ont d'ailleurs fait le choix de n'exposer qu'en janvier, qui s’adresse davantage aux prescripteurs et au secteur de l’hospitality. En revanche le Retail (la vente au détail) restera présent sur les deux éditons car cela correspond à un besoin, pour Noël et pour l'été, ce qui est moins sensible pour les autres secteurs.

Si on cherche à qualifier "Maison & Objet" on peut dire que c'est la rencontre entre métiers d'art, création et design. On ne s’étonnera donc pas que le secteur Craft devienne encore plus important en janvier comme l’a annoncé Julie Pradierresponsable Stratégie (ci-dessus à côté de Guillaume Prot, le directeur du salon) à l’occasion de la conférence de presse de clôture de l’évènement, le lundi 8 septembre.

Elle a expliqué la légère diminution de la présence de marques internationales (qui représentent tout de même 40% des quelque 2500 exposants) par le fait des turbulences politiques : La Suisse, l'Italie, les Pays-Bas étaient là, également le Moyen-Orient mais pas l'Inde ni les USA. On sent que ces pays sont en transition et en recherche d'équilibre. La hausse des droits de douane vers les Etats-unis a généré de l’angoisse, sans pour autant réduire l’intérêt pour un sourcing en Europe. On espère que la situation sera éclaircie pour janvier.

Elle ajoute que les espaces de repos et les terrasses ont été multipliés, ce qui sera poursuivi en partenariat avec les marques. On sent nettement l’envie de recréer de l'expérience et de la mise en ambiance afin d'instaurer une vraie dynamique d'attraction.

Elle est revenue aussi sur la vison subversive du design et de la création de d’Amélie Pichard en tant que directrice artistique cette édition de septembre en nous incitant à écouter ses déclarations, notamment lorsqu’elle affirme qu’il n’y a pas besoin d'objet inutile dans la maison.

Guillaume Prot a confirmé qu’il n'y aura pas de différence de date ni de durée en septembre 2026 mais que le calendrier des sessions pourrait être modifié à partir de 2027, en démarrant par exemple le dimanche et en supprimant le samedi. Par contre les dates seront décalées d'une semaine dès 2026 pour s’affranchir de la rentrée scolaire : ce sera du 10 au 14 septembre.

Il apparait de plus en plus que Maison & Objet est davantage qu'un salon. c'est une vraie communauté qui gravite autour de l'évènement, en fabriquant des rencontres (j'en donne deux exemples plus loin). C'est le seul salon où on peut retrouver l'ensemble de ce qui se trouve dans une maison, et ceci de la manière la plus éclectique possible, de l'accessoire au textile en passant par les arts de la table … en rassemblant une communauté de plus de 2 millions de créatifs.

Fondé il y a 30 ans sur un rendez-vous entre métiers d'art et design, Maison & Objet demeure singulier, authentique, fidèle à ses racines pour continuer à accompagner, révéler, inspirer, ressentir à travers le salon mère, augmenté de 2 parcours des plus belles adresses parisiennes (Maison & Objet in the City en janvier, Paris Design Week en septembre), et une capsule muséale à Hong-Kong.
Janvier 2026 sera dédié à la nouvelle garde autour de l'excellence et du prestige, traduite par le thème "Past reveals Future". La crise écologique a provoqué une prise de conscience et une recherche de sens. On ne fait plus un produit en suivant une tendance mais en répondant à des problématiques du futur, souvent écoresponsables, ce qui donne un design incarné, le plus multifonctionnel possible, en relation avec l'Intelligence artificielle (qui ne remplacera jamais l'artisanat mais contribuera à lui donner un coup de jeune), la création en 3D … le sourcing de biomatériaux, locaux de préférence, le recours à la lowtech. Le fait main, les gestes ancestraux et l'artisanat seront à l'honneur comme l'emploi de matières nobles (céramique, chanvre, poudre de lait, vinyles, cassettes).

Le thème se traduit dans 4 manifestes :
- Métamorphose : ne rien jeter, tout transformer
- Mutation : la nature inspire les styles de demain
- Baroque recomposé dans un élan re-théatralisé
- Néofolklore : regarder hier en appliquant des gestes de demain.

Parmi les exemples donnés au cours de la conférence de presse j'ai retenu -parce que je connais bien le Mexique- l'exemple de la maison d'hôtes Mesonía au cœur de la cité fortifiée de San Miguel de Allende. C’est une réinterprétation de Casa Coa, une maison mexicaine historique rénovée par l’architecte d’intérieur Maye Ruiz et le designer Daniel Valero, fondateur du studio Mestiz Studio.

Tout a été réalisé sur mesure (mobilier, luminaires, textiles, céramiques, éléments architecturaux) en complicité avec des artisans du Bajío et du nord du Mexique en osant les couleurs si naturelles dans ce pays. L'ensemble s'inscrit dans la période des "mexicas", qui est la dernière civilisation méso-américaine à avoir régné avant l’arrivée des conquistadors. On retrouve donc dans cette maison des symboles préhispaniques et des éléments en hommage au folklore aztèque.

En janvier 2026, 6 secteurs se déploieront sur les 7 halls à travers 3000 marques : 
- Signature & projects
- Decor et design
- Craft
- Fragrance @ Wellness
- Gift & Play
- Fashion & Accessories

En terme d'animation, les espaces What’s New? exprimeront les 4 tendances fédératrices du thème Past reveals Future
Le What’s New? In Decor imaginé par Elizabeth Leriche invite à un voyage dans le temps, incarné par un espace entre tradition et expérimentation. Le style historique s’hybride dans une scénographie immersive en jouant avec nos 5 sens.
L’architecte d’intérieur Rudy Guénaire partagera sa vision de l’hospitalité du futur à travers le What’s New? In Hospitality avec une chambre passéiste, futuriste et onirique inspirée de ses travaux. Une réflexion sur l'art du bain proposera de transformer le geste quotidien et insipide en une pratique primordiale et sacrée.
Dans l'espace What’s New? In Retail, François Delclaux a conçu un retail physique et digital au service d’une expérience client sensorielle où la matière occupe le premier rôle. Il proposera un parcours scénographié en plusieurs séquences, pour réinventer l'expérience d'achat à travers une sélection d'objets s'articulant autour du concept de résonance, où passé et présent dialogueront à travers formes et matériaux comme la pierre, le bois, le verre et le métal dans une approche "paléo-futuriste" célébrant leur mémoire et leur transformation.

Un nouveau partenariat est établi avec des manufactures d'excellence et labellisées EPV. Les visiteurs pourront voir travailler sous leurs yeux une vingtaine d'artisans. 25 personnalités animeront des talks, qui maintiennent leur intérêt sur le salon. Enfin Maison & Objet in the City maintient l'occasion de prolonger l'expérience en ville en éclairant les 100 plus belles adresses parisiennes de décoration et de design... Nul doute que Paris sera une fête en janvier !

Enfin ce sera le créateur russe Harry Nuriev (invité à un talk sur Maison & Objet en septembre 2024), nommé Designer de l’année 2026, qui imaginera en janvier tout un espace à son image, porté par les valeurs du Transformisme, un mouvement qu'il utilise comme cadre philosophique pour qualifier sa pratique de la création par la transformation d’objets, de matériaux et de formes existants, qu'il imprègne de nouvelles qualités esthétiques et matérielles, pour qu'ils transcendent leurs cadres habituels de perception.
Il a par exemple investi le porche de Baccarat en s’inspirant des hiéroglyphes tels que ceux présents sur l’obélisque de la place de la Concorde. Harry ne décore pas, il "habille les intérieurs" et clame qu'art, mode, design ou architecture sont unis par les liens sacrés de la création. En poussant le design dans cette direction on peut se permettre de se meubler comme on se vêt. Il a mis le principe en action à l'occasion d'une carte blanche lui offrant de créer deux installations parallèlement à celle des Aliénés au Mobilier national il y a deux ans
J'ai ainsi vu dans la galerie des Gobelins une gloriette recouverte d’un textile qui reprend des motifs de deux tapisseries du Mobilier national, réinterprétées grâce à l’intelligence artificielle pour y intégrer dans le motif végétal ancien des éléments de modernité.

La déclaration de cet artiste est intéressante à intégrer :
Le transformisme est une façon de voir, de ressentir et d'agir. Nous vivons dans un monde saturé d'objets, de données et d'idées. L'exploration des médias a déjà été faite — la couleur au XVIll° siècle, la forme au XIX°, et la philosophie au XX°. Aujourd'hui, le véritable défi n'est pas l'invention, mais la perception. Ce n'est pas une époque pour l'innovation — c'est une époque pour la sensibilité, l'empathie et une réponse honnête, pour repenser et refaçonner ce que nous avons déjà surfait.
Mon processus créatif ne commence pas avec une toile blanche, mais avec le monde tel qu'il est. J'entre dans un espace, un contexte, une réalité — et je choisis. Je choisis avec soin ce qui résonne en moi, ce qui m'émeut intuitivement, ce qui porte déjà une voix — et j'essaie de le rendre plus fort. Je lui donne un nouveau poids, de la clarté, de la présence et de la puissance.
J'offre à l'objet ou à l'espace quelque chose qu'il avait perdu, ou qu'il n'avait jamais su qu'il nécessitait — quelque chose autrefois écarté, maintenant retrouvé.
Le transformisme est l'acte de transformer quelque chose en autre chose — non pas en effaçant son origine, mais en amplifiant son essence. Il s'agit de donner une seconde vie aux objets qui ont perdu leur place. Il s'agit de créer du sens à partir de ce que les autres ne voient pas. Il s'agit de remettre en question ce que signifie la beauté aujourd'hui — et de la découvrir dans ce qui a été ignoré, rejeté ou oublié.
Dans un monde qui n'a plus besoin de plus de choses, le transformisme offre un geste de soin, un outil de réflexion, et un acte créatif honnête. Radical, mais ludique.
Malgré tout, ce rendez-vous qu'on nous promet avec le futur est un véritable pont avec le passé dont il semble le gardien et c'est toujours un immense plaisir d'aller à la rencontre des tendances en sachant que l'on ne perdra pas le contact avec les valeurs éternelles de notre patrimoine comme par exemple le verrier Baccarat qui proposait déjà lors d'une précédente édition des Maison & Objet une expérience immersive dans leur manufacture pour restituer la magie du savoir-faire humain à travers un voyage poétique à la faveur d'une nuit étoilée où le cristal et les constellations s'accordent.
Comme l'a souligné Laurence Nicolas, directrice générale de Baccarat, l'entreprise s'est fondée sur un collectif d'artistes allant de Man Ray à Salvador Dali en passant par Jean Cocteau qui tous ont laissé leur empreinte dans la salle de bal des Noailles et Harry Nuriev y créé un lien depuis un an. Plusieurs de ses créations seront révélés en janvier prochain et nous verrons comment il s'est réapproprié les icônes de la maison pour en faire non pas du neuf mais de la re-création.
Il a insisté travailler avec toute une équipe dans l'agence installée sous le nom de Crosby Studios, rue des Beaux-Arts à Paris.

Les nouvelles orientations marquent une évolution mais sont parfaitement cohérentes avec ce que j'ai pu constater sur le salon en septembre. J'avais notamment assisté à un talk d'une heure avec Thomas Joly intitulé : Comment la jeune génération peut influer sur le design de demain (replay).

Pour lui l'exigence et le populaire ne sont pas antinomiques. La "pop" culture (qui parle au plus grand nombre) est héritée de Henri VI comme de Game of thrones car c'est la même histoire car au fond avec les mêmes questions qui sont traitées. Qui nous sommes, quel est le sens de notre existence, et peut-on vivre ensemble ?

Il avoue avoir été traumatisé par Fantasia car le cinéma est spectaculaire pour un enfant, puis avoir connu la Nintendo et enfin Canal +. Mais la cuisine est aussi la culture, les comptines également. Donc mettons de côté le snobisme culturel, et acception que les "grandes" oeuvres puissent éclairer l'humanité. Tout ce qu'on croit hermétique ne l'est peut-être pas tant que ça. (Les Jeux olympiques ont permis la rencontre entre des genres très différents comme opéra et métal). On peut aimer le rap et la musique baroque. Ma culture va de Britten (le compositeur) à Britney (la chanteuse). Et Thomas suggère de décloisonner arts et discipline.

Réinvoquant les cérémonies, il reconnait qu'un spectacle de six kilomètres sur un fleuve était un énorme pas de côté (par rapport à la tradition du stade), que malgré la pluie, la soirée a bel et bien eut lieu … même si ce fut épique. Après le scepticisme qui prédisait une catastrophe il y a eu ce soir là de l'empathieLes français retors ont fait corps, fait bloc, même derrière les écrans on voulait que ça marche.

Tout m'intéresse et je suis curieux de tout. Reprenons la légende des premiers spectateurs du cinéma qui, voyant arriver le train en gare de La Ciotat, se sont enfuis en hurlant. Nous on a perdu l'émerveillement et précisément quand je créé j'ai envie d'éblouir l'oeil, l'oreille, l'âme … N'oublions jamais que le croire n'est pas le savoir. On propose une adhésion fictive à une histoire. Il a raconté l'anecdote selon laquelle un chanteur d'opéra lui avait fait remarquer en entonnant un morceau de l'opéra baroque "Eliogabalo" de Francesco Cavalli qu'il allait mettre en scène que Bitch I'm Madonna en reprenait la mélodie.

Interrogé sur le rôle de la couleur dans son travail il rappelle qu'un plateau de théâtre est noir, vide, silencieux. Le moins de signes possibles permettent d'y faire des liens (par exemple avec Thyeste son personnage était habillé de jaune sur fond noir. Il se comparait au soleil mais portait aussi les couleurs du cocu et du traitre).

Repensons en terme de popularité et de design, à cette vasque (encore visible cet été) et ce cheval (qui après avoir été exposé gratuitement au Mucem de Marseille en faisant exploser la fréquentation du lieu est actuellement au Mont-Saint-Michel).
J’ai aussi assisté à l’un des débats proposés dans le hall accueillant le Cook & Share sur la complémentarité entre EPV et Origine France Garantie (qui est est attribuée pour 4 ans par un organisme certificateur indépendant existant depuis 15 ans). Créée en juin 2010, par Yves Jégo, ancien ministre et président fondateur, l’association réunit les entreprises qui ont fait la démarche de faire certifier une ou plusieurs gammes de produits. Depuis avril 2021, c'est Gilles Attaf qui occupe le poste de président de l'association. Il a été parmi les premières entreprises à faire le choix de faire certifier des produits : les costumes de la marque Smuggler. 

Des contrôles sont ensuite effectués chaque année afin de vérifier que le produit est bien fabriqué à 100 % en France avec au moins 50% des frais de fabrication (matières premières comprises) du produit sont d’origine française. Rien n'exclut d'avoir la double certification, comme Cristel qui a décidé de se motiver pour obtenir les 2 pour donner garantie aux consommateurs à l'heure de la délocalisation car "made in France" ne signifie rien si seul l'assemblage a lieu sur notre territoire.

Le label EPV reconnait un savoir-faire manufacturier d'état et il est attribué pour 5 ans. Créé en 2005 il y a 1400 entreprises certifiées aujourd'hui. Parmi les critères il faut démontrer l'ancrage territorial et être exemplaire en RSE. Un exemple est donné par Emi Garcia, 7ème génération de poteries d'Albi, spéciale poterie bordée et émaillée à la main, avec une palette de plus de 50 nuances. Tout est fait à la main. Etre EPV depuis 2013 est est pour elle une force et une fierté.

Ce type de certification devrait aider à récupérer des commandes publiques sachant que les entreprises françaises n'en reçoivent que 20 % contre 80% chez nos voisins allemands. Il est donc essentiel de reprendre la main sur ce point.

Depuis trois décennies, et deux fois par an, en janvier et en septembre, Maison & Objet s’affirme comme l’unique rendez-vous international associant la décoration et l’ameublement et ce positionnement promet de durer encore longtemps.

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