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jeudi 9 octobre 2025

Malinche, la comédie musicale de Nacho Cano

J'ai eu la grande chance d'assister à Mexico à Malinche, la comédie musicale créée, écrite, composée et mise en scène par le musicien espagnol Nacho Cano.

Après l'Espagne (où la création a eu lieu le 15 septembre 2022), le spectacle connait un énorme succès au Mexique mais s'agissant d'une héroïne mexicaine je ne pense pas que la réception puisse avoir le même retentissement dans un autre pays.

On peut émettre des réserves car la mère symbolique de cette nation, en donnant naissance au premier enfant métis, y est représentée entourée d'espagnols auxquels on donne le beau rôle (et pour cause puisque le créateur est originaire de ce pays) et qui glorifie aussi les influences américaines, ce qui s'explique par le souhait des producteurs de jouer à Las Vegas, ce qui serait un aboutissement logique.

Nacho Cano se défend des critiques lui reprochant s'avoir enjolivé la réalité historique au profit de l’envahisseur, en tirant profit d'avoir généré un métissage qui a donné lieu à un pays magique. Il assure que sa création est un hommage au Mexique, son pays bien-aimé, empreint de surréalisme. Il l'annonce comme une histoire d’amour entre une autochtone et un conquistador qui changea le monde permettant aujourd'hui la célébration du métissage et de la diversité.

Rien de surprenant à ce que spectacle s'achève sur une chanson reprenant en boucle le Mexique, grand et libre, Mexique, centre de l'Univers … dont les paroles que les spectateurs sont fermement incités à chanter, célèbrent aussi la tolérance et appellent à la réconciliation entre les peuples, indigènes, mexicains, espagnol, américain, faisant référence à la formule que j'entends si régulièrement à chacun de mes séjours de Mexique magique. Avec bien entendu un fond de scène où se déploie un gigantesque drapeau national.
Personne n'ignore pourtant au Mexique (et en Amérique latine) qu'une malinchista est un qualificatif insultant celui qui a renié ses origines et qui préfère la culture, les idées, les peuples et les produits étrangers – un mot parfois traduit simplement par "traître". Alors qu'il suffit de passer quelques jours dans ce pays pour se rendre compte combien les habitants sont fiers de leurs racines. Même si des personnes de toutes les religions célèbrent Noël, elles ne défilent pas côte à côte en France alors que c'est tout à fait naturel au Mexique.

J'en veux pour preuve la célébration de la fête de Saint-François dans un des quartiers de Coyoacan, donnant lieu à des spectacles de rue pendant plusieurs jours, avec des tirs quotidiens et plusieurs feux d'artifices, rassemblant aussi bien les groupes musicaux du quartier, les catholiques comme les représentants de religions préhispaniques (en costumes, avec leurs coiffes ornées de plumes) défilant ensemble sur le même chemin de croix. Cette symbiose entre toutes ces origines se traduit de façon permanente sur les murs :
On devine alors les controverses autour du traitement des faits historiques. La Malinche est une femme qui a réellement existé. D'origine nahuatl, elle a été réduite en esclavage et utilisée plus tard comme interprète du conquistador espagnol Hernán Cortés lors de sa conquête du Mexique actuel au début du XVI° siècle (je rappelle les faits historiques en annexe pour ceux qui veulent en savoir davantage sur l'histoire du Mexique et je vous conseille de regarder le Duel d'histoire qui est diffusé sur ARTE).

On la montre aussi dans la comédie musicale en tant que conseillère et on en fait une icône de l'émancipation féminine et du métissage culturel, alors qu'on sait très bien que la condition de la femme n'est pas du tout rose au Mexique (le nombre de manifestations en faveur des droits des femmes et les actions de multiples associations en sont la preuve flagrante) et que les populations d'origine indienne n'occupent pas les meilleurs postes, loin de là.

J'ai appris que même en Espagne, où Malinche a été jouée à Madrid pendant deux ans et demi, les critiques ont été vives pour avoir idéalisé le colonialisme et en a minimisé les horreurs. La Malinche n'aurait pas pu être réalisée sans le parrainage d'AeroMéxico, l'étroite collaboration avec l'INAH (Musée national d'anthropologie de Mexico) et la collaboration du gouvernement mexicain. Et pourtant on m'a rapporté qu'il attendait toujours des excuses officielles de l'Espagne pour les violations des droits de l'homme commises lors de la conquête.
Cortés est présenté très favorablement et si longtemps qu'on peut se demander si on ne s'est pas trompé de spectacle. La Malinche, qui ne s'appelle pas encore ainsi, ne semble pas souffrir de l'esclavage et accepte facilement l'épreuve du baptême, affirmant ainsi un rôle positif à l'évangélisation des populations. À la fin Moctezuma, l'empereur aztèque s'est converti et ira au Paradis. Malinche met en lumière le rôle positif de l'évangélisation des Amériques. Il n'empêche que le spectacle est sensationnel, visuellement, chorégraphiquement et musicalement parlant. 
Le décor est tout simplement époustouflant, se transformant en pont de navire, en jungle et en pyramide aztèque. Il y a peut-être beaucoup de numéros de flamenco (on aurait aimé voir des danses traditionnelles indiennes) mais ils sont exécutés au millimètre. J'admire la performance qui dure presque trois heures d'autant qu'il y a deux représentations chaque samedi et chaque dimanche (voir horaires à la fin de l'article).
Les effets pyrotechniques sont impressionnants et la présence de deux fosses aquatiques est une autre prouesse. Bien entendu le nombre d'artistes (j'en ai compté plus de 50 aux saluts) est un autre atout, d'autant que des images projetées sur l'écran géant les multiplient parfois à l'infini. Par contre j'ai moins apprécié les gros plans qui reprennent certaines scènes, sans doute la faute à des cadrages en contre-plongée peu valorisants et déformant les corps. C'est facilement corrigible puisque c'est réalisé en direct.
C'est dommage parce que ça coupe l'image (exemple ci-dessus, à gauche, et qui n'est pas le pire, loin de là) alors que, je le souligne, la performance des danseurs est exceptionnelle. J'ai adoré la scène de ballet des chevaux.
Les ballets sont signés par Jesús Carmona, qui fusionne le flamenco avec le hip-hop et les danses urbaines et qui danse en direct en interprétant le conquistador Pedro de Alvarado.
De plus le surtitrage, en mexicain et en anglais permet de suivre, plus ou moins, le déroulé des faits historiques, lesquels sont assez complexes pour qui ignore ces épisodes de la conquête du Mexique. Je vous conseille de choisir des sièges à partir du cinquième rang afin de pouvoir les lire en même temps que vous suivrez les péripéties.
Si vous le souhaitez vous pouvez aussi profiter de la soirée pour dîner dans l'espace restauration spécialement conçu pour l'occasion.
Malinche The Musical
Frontón México Entertainment Center, Mexico City
Avenida de la República 17, Tabacalera, Ciudad de México, 06050
Du mercredi au vendredi à 20 h 30, samedi à 16 h 30 et 20 h 30, dimanche à 13 h et 17 h
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Esclave, interprète, confidente et maîtresse d'Hernán Cortés, mère du premier "Mexicain", la Malinche (Malinalli de son nom nahuatl, ensuite baptisée Doña Marina) est un véritable personnage historique et emblématique de la conquête espagnole, dont la vie diffère selon les récits.

Elle naquit au début du XVI° dans une famille noble aztèque, bien que certains historiens prétendent que non. Son père meurt lors de son enfance. Sa mère se remarie alors et donne naissance à un garçon. Afin que ce dernier soit l'unique héritier, la petite fille est vendue à des commerçants de passage. Elle quitte sa région natale qu'est Veracruz et devient alors l'esclave d'un chef militaire de la région de Tabasco où elle apprend les dialectes mayas.

Elle travaille alors en équipe avec Geronimo de Aguilar, un des naufragés qui vécut quelques années chez les Mayas, Malinche traduisant de nahuatl à maya puis Geronimo de maya à espagnol.

Suite à une bataille perdue, elle est offerte à Hernán Cortés comme butin avec des métaux précieux et esclaves. Découvrant ses talents linguistiques, Cortès en fait son interprète, puis sa maitresse. Elle aide le conquistador espagnol à défaire l'Empire aztèque en conquérant le Mexique et sa capitale Tenochtitlan. Elle lui sert de traductrice, mais également de conseillère en diplomatie locale. En effet, la conquête du Nouveau Monde n'oppose pas simplement Espagnols d'une part et Amérindiens de l'autre, car l'Amérique précolombienne est un monde complexe où plusieurs groupes sont en compétition. N'oublions pas néanmoins que les Espagnols étaient militairement supérieurs et que la variole a joué un rôle fondamental dans l'élimination de nombreux combattants préhispaniques. Après lui avoir donné un fils, elle se marie à un lieutenant castillan Don Juan Jaramillo avec qui elle a une fille. Quant à sa mort, elle aurait été atteinte de la variole ou aurait été assassinée par une des servantes de Cortés.
 
Bien qu'elle soit détestée par de nombreux Mexicains, elle reste la mère du premier d'entre eux, reconnu comme tel, le fils qu'elle a eu de Cortès, baptisé Don Martin Cortés Tenepal qui devint le premier de la lignée métisse, mélange de sang espagnol et indien. 
Extrêmement célèbre aujourd'hui au Mexique, la Malinche représente un personnage ambigu, symbole des controverses autour de l'héritage colonial. Vue par les uns comme victime des circonstances, bouc émissaire de la défaite de Moctezumaou traîtresse par d'autres, on attribue à son action d'avoir sauvé de la mort plusieurs milliers d'Indiens en favorisant les négociations entre Espagnols et les divers clans. 

La Malinche constitue quoiqu'il en soit une des clés de compréhension de l'identité mexicaine et ce spectacle célèbre les racines de ce peuple.
Mecano est un groupe de pop-rock espagnol dont le nom fait référence à celui des frères Cano, ainsi qu'au jeu de construction Meccano. Formé en 1979, séparé en 1995, de retour en 1998, il est composé des frères Nacho et José María Cano (guitaristes et compositeurs) et d'Ana Torroja qui chante en espagnol, mais aussi en français, italien et anglais. Ce fut un groupe phare de la pop espagnole, lancé à l'époque de la movida des années 1980 qui a aussi connu le succès en Amérique latine et en France. 

Il a vendu plus de 25 millions d'albums dans le monde (dans les pays hispanophones pour l'essentiel), ce qui lui valut le surnom de Beatles espagnols. Il est considéré comme une référence pop en Espagne, grâce aux thèmes abordés, modernes pour l'époque (homosexualité, drogue, vie sociale). Ses plus grands succès en France sont Hijo de la Luna et Mujer contra mujer, Une femme avec une femme, qui fut numéro un en France pendant des mois.

Nacho Cano fut le fondateur du groupe Mécano, auteur d’immenses succès (voir la encore le résumé de son parcours en fin d'article). Il a consacré dix ans de sa vie à la création de la Malinche après deux comédies musicales. D'abord "Hoy No Me Podemos Levantar" (Aujourd'hui, je ne peux pas me lever), inspirée de "Mamma Mia !" et reprenant plus de 30 tubes de Mecano, créée à Madrid en 2005 et qui est largement considérée comme la comédie musicale espagnole la plus populaire de tous les temps.

La deuxième comédie musicale de Cano, "A", dont les chansons ont été composées spécifiquement pour le théâtre, raconte l’histoire magique d’un garçon aux talents extraordinaires. Elle a été jouée à Madrid (2009) et à Barcelone (2010), mais a connu un succès bien moindre que la précédente.

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