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samedi 11 octobre 2025

Respect d’Anouk Grinberg

J’ignore si le titre de Respect est une supplique, une menace ou l’affirmation d’un succès. J’espère que cette troisième hypothèse est juste parce que le récit que nous livre Anouk Grinberg est souvent insoutenable. Comme je m’estime chanceuse de n’avoir pas vécu ce qu’elle a subi !

C’est absolument terrible de découvrir combien sa vie fut un enfer, dès le début, et avant même  sa naissance puisque sa mère fut la première victime. Elle a en effet été stérilisée à son insu après 4 grossesses en 4 ou 5 ans.

Le mari (père d’Anouk) était le très estimé auteur Michel Vinaver (1927-2022), spécialiste du théâtre du quotidien, dramaturge et universitaire, démontrant ainsi le hiatus qui peut exister entre la personne publique et la personne privée. Il a d’ailleurs eu pendant plusieurs années une double vie professionnellement parlant, PDG de Gillette France de 1966 à 1980 sous sa véritable identité, Michel Grinberg.

Dans la famille Grinberg, le fils ainé est lui aussi malfaisant, même si aujourd’hui il prétend n’en avoir aucun souvenir. C’est le frère incestueux d’Anouk qui est plutôt indulgente à son égard, estimant qu’il faut des années parfois pour recevoir l’information nette qu’un événement grave a eu lieu (p. 89).

Et la spirale infernale continue de s’enrouler autour de la victime avec l’emprise de Bertrand Blier, éminent cinéaste dont elle sera la compagne, pendant une dizaine années dans les années 1990, avec qui elle a eu un fils, Léonard, né en 1993. Elle a confié depuis qu’il l’a mise pendant 6 ans sous camisole chimique avec la complicité d’un psychiatre. Elle a raconté la torture du tournage de Mon homme (1995), où elle joue le rôle d'une prostituée, et obtient cette même année le prix d'Interprétation au Festival de Berlin.

D’autres prédateurs abuseront d’elle, notamment le metteur en scène de "La Preuve" au théâtre des Mathurins. Si son nom n'est pas mentionné, peut-être parce que cet homme est encore en vie, il est facile de savoir de qui il s’agit. Le "jeu miraculeux" de la comédienne est salué par Le Monde et lui vaut une nomination aux Molières.

Pour ma part Anouk Grinberg, que j'ai vue plusieurs fois au théâtre, comme au cinéma, est une actrice exceptionnelle et je trouve légitime que la profession reconnaisse son talent, et l'honore. Mais n'est-il pas essentiel que nous, public, réfléchissions aux conséquences de nos enthousiasmes ? Est-il bien normal que des jurés, soient-ils de théâtre ou de cinéma, n’aient pas perçu combien les metteurs en scène qu’ils encensaient étaient malsains ?

Je m'étonnais de ne pas m'extasier sur le génie du réalisateur des Valseuses. Je me pensais "stupide" de voir dans plusieurs scènes que vulgarité et maltraitance perverse au service d'une misogynie dégradante. J'étais peut-être à contre-courant. J'ai compris en lisant Respect que j'avais vu juste.

Ce n’est qu’en 2025, alors qu’il est décédé, qu’elle accusera publiquement Bertrand Blier d'emprise à son égard. Sans la lettre ouverte de Gérard Depardieu niant les viols qui lui sont reprochés et le procès de mai 2025 auquel elle assista, elle n’aurait probablement jamais écrit ce livre. Les récits de victimes m’ont finalement donné courage (p. 79) déclare-t-elle.

Alors oui, sa parole est courageuse. Nous sommes sans doute des millions de femmes à souffrir en silence et continuer de subit la sexualité officielle ; c’est dommage de ne pas oser le dire parce que la vérité ouvre d’autres possibles qui rendent vraiment heureux (p. 125).

Il semblerait qu’elle goûte ce bonheur là avec Michel Broué, le mathématicien dont elle partage la vie depuis janvier 2003 et qu’elle a épousé en 2016. On le lui souhaite bien sincèrement en la remerciant de son témoignage.

Elle a eu de la chance parce qu'elle est forte, mais ça ne retire rien du tout à la culpabilité des agresseurs. On voulait m’écrabouiller, mais il y avait en moi un soleil increvable. (…) On aimerait que les hommes abusifs réfléchissent à ce qu’ils ont été (p. 132). Les morts ne feront jamais d'excuses mais les vivants en ont le devoir !

Anouk Grinberg est une femme qui réfléchit et qui nous fait réfléchir. Il y a quelques années elle s'était appuyée sur des rencontres avec des acteurs et des scientifiques pour écrire Dans le cerveau des comédiens, Odile Jacob, 2021 et en avait déduit que "Rien n’est comme on croit dans la vie" mais elle dit aussi être sortie transformée de cet exercice (p. 124). Il a peut-être participé à forger l'audace nécessaire à une prise de parole publique.

Plusieurs le disent, l'écrivent, le traduisent en chansons ou en films mais il faut le répéter encore et encore : L’omerta est une fabrique de mort (p. 101. Pire encore que l’inceste, l’omerta fut une double trahison (p. 105).

La couverture du livre est une photographie prise par sa grande amie Sarah Moon dont elle dit qu’elle l’a sauvée de la mort bien des fois (p. 118). Il était plus que légitime qu'elle soit en quelque sorte présente à ses côtés sur cet ouvrage si sensible.

Anouk Grinberg pratique le dessin, la peinture et la broderie, qu’elle a appris de façon autodidacte. Par l’entremise de Sarah Moon elle a rencontré des personnalités du monde de l’art et des galeries, ce qui la conduit à exposer à partir de 2017.

Comédienne, elle a joué sous la direction de Jacques Lassalle, Patrice Chéreau, Jean-Louis Martinelli, Alain Françon … Actrice, elle a tourné pour le cinéma et la télévision avec Philippe Garrel, Olivier Assayas, Elisabeth Rappeneau, Arnaud Desplechin … et Bertrand Blier dans Merci la vie (1991), Un, deux, trois soleil (1993) et Mon homme (1993).

En octobre 2023, elle répond à la lettre ouverte publiée par le comédien Gérard Depardieu dans les pages du Figaro pour nier les agressions sexuelles et viols dont il est accusé, en déclarant qu’il est coupable, et en prenant . Elle assiste au procès de l’acteur en mai 2025.

Respect d’Anouk Grinberg, Julliard, en librairie depuis le 3 avril 2025

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