Chacun y va de son coming-out. J'ai quasiment vécu en direct la révélation de la bipolarité de Nicolas Demorand, journaliste de France Inter, animant depuis 2017 la matinale avec (à l'époque) Léa Salamé. C'était dans La Grande Librairie, une émission que je suis très épisodiquement et j'ai été très surprise par les paroles du journaliste à plus d'un titre.Ce n'est pas l'annonce de sa maniaco-dépression qui m'a étonnée, encore que je n'aurais jamais imaginé qu'il en souffrait, mais une révélation de grande ampleur, succédant à un secret si bien gardé, jusqu'à l'édition du livre dont rien n'avait fuité.
Je n'ai pas envie d'employer le terme de maladie mentale à propos de cette affection que je connais depuis longtemps. Je l'ai sans doute découverte par le biais d'un autre livre, L'intranquille de Gérard Garouste, à l'époque où j'étais jury du Grand Prix des Lectrices de ELLE. Ont suivi ensuite plusieurs ouvrages sur le sujet, dont le témoignage de Delphine de Vigan à propos de sa mère dans Rien ne s'oppose à la nuit. Sans parler de Certains coeurs lâchent pour trois fois rien dans lequel Gilles Paris (qui n'est pas bipolaire) raconte ses huit dépressions et ses séjours en hôpital psychiatrique.
Autant dire que je connais le sujet depuis plus de vingt ans. Mais jamais je n'avais assisté à un tel retentissement. La cause, dit l'auteur, au fait que la maladie mentale reste un tabou. De fait, son témoignage est très intéressant à plusieurs aspects. Le diagnostic a été très tardif et il a longtemps été "soigné" pour de la dépression, ce qui alimentait les épisodes maniaques, et donc aggravait les choses. Et surtout, la gravité de son état ne l'a pas "empêché" de travailler, et qui plus est brillamment.
Il serait donc parfaitement injuste de dire que ce livre est un de plus sur le sujet, alors que certains médias dénoncent une épidémie de dépressions et de tentatives de suicide chez les jeunes, dont la santé mentale est dangereusement impactée par le smartphone et les réseaux sociaux.
Le texte de Nicolas Demorand a ceci de frappant qu'il n'aborde pas la question de la cause et qu'il est (relativement) bref pour relater autant d'années de souffrance et d'errements médicaux.
Les événements racontés dans ce livre se déroulent sur plus de vingt ans. Pendant toutes ces années, je me suis tu. Aujourd’hui, j’écris en pensant à toutes celles et ceux, des centaines de milliers, peut-être des millions, qui souffrent en silence du même mal.
Tel est le résumé que Nicolas Demorand fait figurer sur la dernière de couverture d'un livre dont le titre fait (sans doute) écho à Extérieur, nuit, le film de Jacques Bral, avec Christine Boisson (Cora) et André Dussollier (Bony), sorti le 10 septembre 1980. Léo (Gérard Lanvin) y est un musicien de jazz qui pour vivre travaille à écrire des fonds musicaux pour des agences de publicités et vit chez ses copines successives. Il décide un matin de déprime de plaquer celle du moment.
Dans le langage cinématographique l'expression s'applique à un plan ou à une séquence qui se déroule à l’extérieur durant la nuit. On comprend que, pour le journaliste, la nuit était constante, 24 heures sur 24, malgré le moment (où il lui fallait des ressources indues d'énergie pour donner le change) où il travaillait comme si de rien n'était à France Inter.
Il a compté entre les phases up et les phases down n'être "tranquille" que deux mois par an. Il relate avec des mots simples l'enfer de la souffrance psychique quand elle est massive, y compris (et surtout) quand il commence à aller mieux, invoquant la formule terrible et magnifique de Gérard Garouste : Pour un bipolaire être heureux est dangereux (p. 32). Quelle autre maladie doit-on se méfier de se sentir mieux ?
Le vrai tabou n'est pas celui de l'existence de cette maladie, malgré la honte qu'elle engendre. Il n'est pas non plus le fait de toucher tout un chacun et particulièrement une célébrité dans le plus grand secret. Il est dans le mystère des médicaments qui ne servaient à rien et sur lequel personne ne s'est interrogé (p. 50), ce que Demorand ne comprend toujours pas aujourd'hui. En ce sens son livre est une bombe car il dénonce un scandale qui ne touche pas que lui. Et on espère que les choses changeront.
Ce n'est pas du tout un livre médical. Que le lithium soit devenu la clé de voute de son traitement (p. 34) n'est pas un scoop. Mais on sait -au moins- et cela grâce à lui, que si un antidépresseur ne fonctionne pas il faut changer de molécule. On apprend aussi que ce type de médicament aggrave les périodes maniaques de la bipolarité. On comprend enfin la tentation du suicide. Je soignais l'échec thérapeutique avec l'idée du suicide (p. 64) (… ). Je n'avais aucune envie de mourir, je ne voulais simplement plus endurer le martyre de la souffrance psychique (p. 65). Quand on sait la longueur des prescriptions on devine que le patient a tout le nécessaire à portée de main pour passer à l'acte.
Comme il a eu raison d'écrire ! En se dévêtant de son uniforme de bon petit soldat, victime de l'errance médicale, et de plusieurs psychanalystes (comment n'ont-ils pas deviné alors que pour moi ses symptômes relèvent de l'évidence ?) dénonçant au final avec une rage folle à l'égard de l'incompétence des médecins la mise en danger de sa personne et tant de temps perdu pour le soin. Jusqu'à cette rencontre salvatrice à l’hôpital Saint-Anne avec le médecin qui saura poser le juste mot et agir contre.
Le nom de cet établissement effraie. On y soigna Antonin Artaud, Camille Claudel, Louis Althusser. Certains patients ont même donné leur nom à des allées qui, presque toutes (les exceptions sont très rares), portent le nom de personnalités dont la folie est de notoriété publique (Antonin Artaud, Paul Verlaine, Gérard de Nerval, Guillaume Apollinaire, Vincent Van Gogh, Henri Michaux, Maurice Ravel, Franz Kafka …).
Le journaliste rend hommage aussi aux qualités d'écoute de sa collègue de France Inter Léa Salamé. Ce serait elle qui lui aurait conseillé l'écriture. Comme elle a bien fait !
On souhaite à Nicolas Demorand de ne plus connaitre cette alternance de phases up et down. L'ultime leçon de son ouvrage est d'accepter de vivre dans un entre deux, qu'il qualifie de gris mais qui apporte une immense tranquillité, et dont nous devrions, nous aussi, avoir la sagesse de nous satisfaire.
Intérieur Nuit de Nicolas Demorand, Les Arènes, en librairie depuis le 27 mars 2025
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