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lundi 1 février 2021

Certains coeurs lâchent pour trois fois rien de Gilles Paris

Beaucoup de livres ont été consacrés à la dépression. Je me souviens du roman Tomber sept fois, se relever huit qui est un ouvrage autobiographique de Philippe Labro, écrit en 2003. L'auteur y décrit l'épreuve qu'il a connue entre 1999 et 2001 : son entrée dans la maladie, le douloureux passage, et sa lente sortie.

J’avoue que j’avais une certaine appréhension à découvrir celui de Gilles Paris qui d’ailleurs se classe dans les récits et non les romans parce que je le connais depuis plusieurs années et qu'il n'est pas facile d'en parler sans prendre parti.

J’ai réellement apprécié tout ce qu’il écrit sur le métier d’attaché de presse puisque j’ai d’abord connu Gilles sous cet angle. Je comprends mieux quelque sautes d’humeur qui ont pu m’agacer autrefois et je lui en demande pardon. Je ne savais pas ce qu’il traversait. Après tout, je dirais "tant mieux" car, du coup, je l’ai toujours considéré comme un "bien portant".

Et puis nous avons alterné. Parfois nos échanges concernaient des livres qu’il défendait, parfois les siens. Là encore je n’ai jamais été différente. Il me semble qu’il a toujours perçu la sincérité de mes propos. Ce n'est pas aujourd'hui que je vais changer de cap.

Bien sûr Certains coeurs lâchent pour trois fois rien contient des confidences bouleversantes. Je ne vais pas m’attarder dessus ici. Je pense particulièrement à ses rapports très conflictuels à son père, que j’allais qualifier d'hyper conflictuels. Il lui reconnaît cependant (p. 110) une circonstance atténuante puisqu’il a été abandonné par le sien à la naissance et reconnu tardivement. Mais il a complètement raison d’ajouter : Il aurait pu m’aimer, ne pas rejouer le même scénario que celui que son père lui a imposé. C’est peut-être aussi de ma faute. Toujours cette empathie qui m’empêche de juger.

Pour ma part je pense que ce n’est pas de sa faute du tout et que ce sont toujours les parents qui sont responsables de leurs enfants. Point barre.

Le passage concernant Françoise Sagan est assez terrible. Inversement, ce qu'il confie à propos de sa soeur Geneviève est positivement très touchant. Et je le trouve ultra courageux de raconter la soirée de ses vingt ans en sortant d’une boite du Marais. Il enfourche un solex et c’est le drame qu'il partage en quelques lignes décrivant une scène avec un réalisme cinématographique (p. 140-141).

Il confie avoir subi huit dépressions en 30 ans de vie (p. 27). Il en fait même une tête de chapitre et je me retiens de ponctuer : Ouah … pas de doute, il est compétent. Arrêtons-nous un instant p. 25 quand il écrit : Quand vient la dépression, à ce moment précis, je ne déteste pas ce lâcher-prise où je n’ai plus à me soucier de rien. Juste un trou dans lequel je tombe sans me soucier de la chute.

Évidemment, je pourrais pointer la répétition du verbe soucier mais ce que je trouve intéressant ici c’est que la dépression semble intervenir pour Gilles un peu comme le fait un burn-out pour d’autres personnes.

Un peu plus loin je lis  : Rien ne résiste au temps. (...) Comme si la maladie n’avait été qu’un long temps d’apnée. Et j'admire sa détermination à enclencher le processus de guérison. Je m’applique à guérir et à passer le temps comme un prisonnier qui attend son heure de sortie, puis sa réinsertion (p. 146).
 Il reconnaît spontanément que ses TS sont davantage des souhaits de vie que des pulsions de mort (p. 51). Alors pourquoi avoir intitulé le chapitre Vaines tentatives puisque en fait "ça marche" ? On se dit qu’il faudrait trouver un autre sigle que TS pour désigner cela. D’ailleurs il dit pour chaque échec (p. 52) : J’ai réussi. Je suis vivant. Est-ce pour autant qu'il peut les appeler mes tentatives de survie (p. 123) ?

La dernière remonte à quatre ans. Espérons tout de même qu’il n’y en aura pas de nouvelle puisque comme le titre du livre le signale, Certains cœurs lâchent pour trois fois rien (p. 53) et multiplier les TS est tout de même une activité plutôt dangereuse, même si ça marche à tous les coups et que dans sa famille où il n'est pas le seul à pratiquer la tentative de suicide (sa mère aussi) les coeurs sont très solides (p. 79). Et puis, surtout, comme il le souligne juste après, le mal-être ne s’est pas éloigné pour autant.

Voilà d’ailleurs pourquoi, et ceci est une position tout à fait personnelle, j’ai toujours refusé de prendre de la chimie quand je n’allais pas bien. Je faisais observer au médecin que ce dont j'avais besoin ce n'était pas de ses petites pilules mais de bonheur. Je n'ai jamais réussi à prendre le masque du clown comme il l'a si bien et si souvent fait. A tel point que le sourire qu’il affiche sur son visage le soir d’un des anniversaires de sa mère lui vaudra de passer un des meilleurs de sa vie lui dira t-elle (p. 201). Est-ce que cela ne le dessert pas ? Ma fille me fait en tout cas le reproche inverse, s'énervant que je ne songe même pas à cacher mes émotions.

Gilles est parfois comme une bouilloire sur le point d’imploser (p. 122) et pourtant, à chaque fois il remonte la pente et regagne la confiance de ses amis et de ses employeurs. Il faut savoir se taire. Être un employé parmi les autres. Se mentir à soi-même. C’est le prix à payer (p. 107).

Il me semble que pour Gilles cette attitude soit une sorte de politesse, d’élégance. Je ne sais pas si c’est très efficace de masquer son mal-être. Est-ce que ce n’est pas pour cela qu’il ressurgit sans cesse ? Ce n’est que ma propre hypothèse.

Quel Auguste ! Je suis admirative de son énergie. Car il en faut pour trouver des solutions à tout et sourire autrement qu’un clown. Voilà peut-être une facilité déconcertante que nous avons, Laurent et moi, de tourner la page (p. 155). Devrais-je à l'avenir me méfier de leurs sourires ? Et je suis épatée de lire qu'on peut être dépressif et quand même heureux, ou du moins apprécier un moment de bonheur (p. 136).

Ce qui m'a troublé dans l'analyse que Gilles Paris nous transmet c'est combien il souligne (p. 59) le rôle joué par ses livres dans ses rechutes, systématiques après chaque lancement. Ce qu'il nous dit à propos du succès d'Autobiographie d'une courgette est troublant (p. 126).

A ce qu’il confie (p. 146) j’en déduirais presque, alors que je ne suis nullement autorisée à le faire, que chaque épisode dépressif intervient comme une punition. Je n’irai évidemment pas jusqu’à dire qu’elle est méritée, loin de là alors que tous ses livres sont des succès. Peut-être, c’est une hypothèse, il n’y en aura plus lorsque Gilles s’autorisera (ou aura été autorisé) à être heureux.  Je lui souhaite bien sincèrement que ce livre n’aura pas le même effet. Celui souhaite du fond du coeur que le temps soit venu de s’autoriser le bonheur … sans réclamer un nouveau sursis pour le savourer.

Gilles Paris est un phénomène, ce que je mentionne affectueusement. Il a exercé plein de métiers, mais j’ai envie de dire un peu comme tous les gens de notre génération. La liste est inouïe, un peu plus diverse que celle que je pourrais dresser. Je savais que nous avions l'un et l'autre été attachés de presse (mais dans des milieux différents), un métier qu'il n’aurait jamais cru faire et pour lequel il a d'énormes compétences. Combien de fois ai-je moi aussi constaté que le succès était imputable au produit et l'échec à l'attaché de presse. Cette légende urbaine (p. 136) se vérifie fréquemment. Mais j’apprends aussi que nous avons tous les deux travaillé dans le même ministère mais pas au même moment, ni pour le même ministre. Et que nous aurions pu nous croiser au Mexique. Nous avons un autre point commun, peu agréable, celui du souvenir des martinets.

Je retiens quand même que Gilles parvient à laisser une place à l’imprévu et à l’insouciance et que c’est peut-être le secret qui lui a permis de ne pas sombrer. Je constate ce trait de caractère quasi quotidiennement dans les posts qu'il publie sur Facebook et c'est réjouissant. Il y a beaucoup de lumière qui se dégage et c'est très positif. Il a raison d'insister sur ce point et de dire à propos d’un papillon qui se pose sur son bras : la magie est partout (p. 147).

J'allais oublier. Nous sommes prévenus de ne surtout pas lui offrir le parfum Habit rouge en cadeau. C’est Barbara qui aurait été mécontente. Elle en avait un stock. Et quand j'apprends que sa mère reçoit comme cadeau d’anniversaire (p. 201) son sempiternel parfum de chez Guerlain, j'en conclus que Gilles a un problème avec ce parfumeur.

Lisez ce récit comme moi plusieurs fois. La profondeur de certaines réflexions ne surgit pas du premier coup. Comme l'intérêt d'écrire avec la musique, et aussi la rééducation à l’écoute à chaque sortie de dépression, en s'autorisant d’abord de l'entendre à faible volume. Ce qu'il écrit aussi à propos du hasard (p. 211) sur lequel tout un chacun s'interroge. S'il est exact qu'il n’existe pas et qu'il n’est qu’une succession de faits qui s’entrecroisent alors  je ne peut pas l'invoquer pour parler de Gilles. Et je ne peux rien dire à propos de sa rencontre avec Laurent qui habitait à 200 m de chez lui et qu’il n'avait jamais "croisé "jusqu'à leur rencontre (p. 127). Je voulais néanmoins hasarder une hypothèse : et si le hasard avait quelque chose à voir aussi avec la dépression ?

Absurde me direz-vous si on songe que le phénomène touche 300 millions de personnes dans le monde. Et que la proportion ne cesse de croitre avec les épisodes de confinement liés à la crise sanitaire.

Certains coeurs lâchent pour trois fois rien de Gilles Paris, Flammarion, Hors collection - Documents, témoignages et essais d’actualité, en librairie depuis le 27 janvier 2021

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