Après la Salorge, que j'avais visitée en septembre 2020 nous restons sur la commune de Grand Village pour découvrir le lendemain, juste à côté de la mairie, la Maison paysanne (qui bien entendu est fermée en ce moment au public pour cause de crise sanitaire).
Nous sommes le dernier jour de l'été mais le temps est encore magnifique.
Un édifice très contemporain (photo ci contre) abrite un centre d’interprétation, pour favoriser les multiples regards sur l’habitat écologique, d’hier à demain. Des stages d'éco-construction, ateliers enfants, balades commentées, conférences… y sont proposés pour donner envie à chacun d’agir au quotidien, et d'utiliser des écomatériaux qui, parfois, ne sont pas locaux.
Les autres bâtiments sont anciens et authentiques même s'ils ont été remontés pierre par pierre, pour rappeler ce qu'était la vie d'une famille de petits cultivateurs oléronnais dans un passé qui n'est pas si lointain.
C'est si bien fait qu'on a l'impression qu'ils ont toujours été là. C'est à des passionnés qu'on doit cette performance entreprise de 1971 à 1981, les Déjhouqués, du Groupe Folklorique de l'Ile d'Oléron à Grand Village Plage, fondé par André Botineau. Son ambition était de faire connaître et d'éviter l'oubli des coutumes locales, le patois, les danses et les chants. Une statue à leur honneur les célèbre anonymement dans le parc voisin.
Ils s'y sont mis après la construction du pont (1963 à 1966) qui, entre autres, entraina une augmentation du tourisme. Mais à ce moment-là cette périphérie du bourg de Grand Village était presque encore entièrement entouré par la nature, avec juste le camping comme voisinage.
L'association existe toujours, et l’expression est encore employée dans la région. Se déjhouquer signifie se lever. L'origine de ce verbe provient des poules qui dorment toujours sur un perchoir, un "juqueux" en patois. Dire se jouquer comme les poules indique qu'on se couche de très bonne heure.
Ils ont uni leurs forces, rassemblé des dons, trouvé du mobilier (lequel est en restauration) et des outils. La restauration est terminée à moitié, suite à des chantiers, des stages de formation, de peinture, ou de vernis sur meubles. L’ensemble est donné en 1994 à la municipalité, puis à la Communauté de communes, comme le port des Salines, et s'accompagne d'un changement de nom et de l’adjonction du terme "éco".
La maison paysanne est simple et comporte peu d'ouvertures, percées sur la façade sud, pour des raisons évidentes de salubrité. Il n'y a qu'une pièce dans la maison, à la fois chambre, salle à manger et surtout cuisine, d'où son nom de thieuzine emprunté au patois charentais.
Une seule pièce, trouée d'une seule fenêtre pour recevoir la lumière et regarder ce qui se passe dehors tout en travaillant sur l'évier. Car celui-ci est placé juste au-dessous. C'est une simple pierre creusée en son centre par une gorge, qu'on appelle bec, qui permet l'évacuation des eaux usées.
Jusqu'à la fin de la construction du pont, en 1966, qui a provoqué une vraie révolution, on puisait l'eau dans le puits qui était près de la maison, ou au milieu de la cour, et qui pouvait alimenter plusieurs familles. On peut donc imaginer qu'un seau était en permanence sur la pierre à gauche de l'évier pour s'y servir en eau avec une louche de métal, la cassotte. Il n'y avait évidemment pas de salle de bains.
L'encaissement du sol contraint à descendre en y pénétrant, ce qui est voulu car c’est un moyen d’assurer une régulation thermique, d’apporter de la fraîcheur en été et de la chaleur en hiver.
Le sol est composé d’une première couche de pozolane volcanique recouverte de chaux puis de terre battue. Au mur, la chau est mélangée à du chanvre, mais traditionnellement on employait de la fougère qui est imputrescible comme le chanvre. On remarque une bande noire en bas. C’est un coaltar imperméable, comme on l’utilise pour imperméabiliser la coque des navires. C'est un goudron, dérivé de la houille, et son nom vient de l'anglais coal (charbon) et tar (goudron). A force d’en respirer les odeurs toxiques les ouvriers devenaient ahuris, d'où l'expression "être dans le coltar".
La cheminée est immense pour chauffer la pièce et cuire les aliments. On posait dans l'âtre de gros galets de granit récupérés auprès des marins qui les avaient utilisés pour servir de lest aux navires venus chercher le sel. La nui, ces grisons réchauffaient les lits. Le mur situé entre l'évier et la cheminée accueillait les niches d'un potager que l'on garnissait de braises pour ensuite cuire et maintenir les plats au chaud. Ce type d'équipement se rencontre souvent dans les cuisines des châteaux du Val de Loire.
Une planche était accrochée à une poutre pour que les rongeurs ne viennent pas grignoter le pain qui y était posé.
Bien entendu c'est aussi la chambre, avec traditionnellement un grand lit à quenouilles. La pièce est actuellement en rénovation et a été vidée de ses objets. En sortant par la porte principale et après avoir dépassé la fenêtre on arrive au chai puis à la forge.
Contrairement à aujourd'hui, la maison n'est pas un lieu de vie. La famille ne s'y rassemble qu'en fin de journée. Seuls les aïeuls y restaient au chaud en journée. Les activités se déroulaient principalement à l'extérieur, dans les champs et dans le quéreu, place commune qui a aussi pour avantage de favoriser l'entraide.
Le jardin, cerné de murets de pierres sèches, abrite les plantes aromatiques et médicinales, qui servent autant à cuisiner qu'à soigner les hommes comme les bêtes.
Il y avait abondance de figuiers, des variétés anciennes de vignes. On pratique l'élevage et la polyculture microparcellaire très dense même sur les bosses des marais pour des fèves, céréales et pâtures.
On cultive beaucoup de légumes. Le fameux oignon Saint-Turjan, doux et sucré, était cultivé au XIX° dans les zones sableuses et les bosses de marais du sud-ouest de l'île. Il s'en produisait jusqu'à 5000 tonnes qui étaient expédiées par bateaux vers La Rochelle, Nantes et Bordeaux. La variété renait aujourd'hui avec la volonté d'une association. On le trouve donc au marché de Saint Trojan en saison.
Le chai servait à la vinification et à la conservations du vin. De petites ouvertures, qu'on appelle "babouettes", sur la façade nord, permettent d'évacuer la part des anges.
Il y avait 17 000 hectares de terres cultivables au XIX° siècle dont 6000 hectares de vignes contre 600 aujourd’hui. Le phylloxéra est arrivé sur île 20 ans plus tard que sur le continent, mais il y est hélas parvenu. Cela donne une indication pour la propagation du coronavirus …
De l'autre côté de la thieuzine, on accède au quéreu qui avec les cantons étaient de véritables prolongations de l'habitation. On y pratiquait de multiples activités comme le battage des céréales. Près du puits, les auges en pierre, appelées timbres, servaient à abreuver les animaux. Ils étaient parqués dans des bâtiments qu'on appelle parcs, parts ou encore toits. Ce sont des constructions simples, avec comme on le voit sur la photo ci-dessous, des toits à une pente en appentis et ils sont proportionnels à la taille de l'animal qu'ils abritent. De gauche à droite le poulailler puis le part à cochons et enfin aux bovins.
Le parc à poules comprend souvent de petites niches, le parc à gorets une auge en pierre, et le parc à boeufs est équipé d'anneaux ou de pierres percées pour les attacher.
Le ballet (on prononce ballète) est le hangar agricole. On le réserve maintenant à la démonstration des enduits. On enduit et on badigeonne pour protéger la maçonnerie de l’eau mais aussi des insectes. On remarquera que les gouttières sont très rares.
Revenons sur le côté de la maison, un chasse-roue protéger le mur des passages de charrettes. Un escalier extérieur conduit au grenier fermé par une porte toujours percée d'une ouverture ronde pour laisser passer un chat, car son rôle est déterminant dans la sauvegarde des récoltes. Il fera la chasse aux rongeurs
Une maçonnerie spéciale enserre au moins une perche à poissons ou parour, qui sert à hisser et faire sécher le poisson au soleil et au vent marin, à l'abri des prédateurs et des mouches bleues qui ne volent pas à cette hauteur.
La partie "musée" est complémentaire. On y apprend que les maisons traditionnelles étaient adaptées à l’environnement et donc déjà écologiques. Si les tuiles sont concaves c'est parce qu'elles étaient moulées directement sur la cuisse.
Des peintures annotées pointent cette dimension. Par exemple la mutualisation d'un escalier extérieur qui conduit aux greniers de plusieurs maisons.
La mitoyenneté permet d’économiser des matériaux. Elle évite le mitage, protège les terres cultivables (car il faut manger). Comme mentionné plus haut on pratique la polyculture et l’élevage, microparcellaire très dense même sur les bosses des marais. On cultive beaucoup de légumes. On pratique la pêche à pieds et dans les écluses sur les estrans. Le port de la Cotinière n'a été construit qu'au XIX°. L'ancienne criée, reconvertie en marché à poissons est charmante, quoique déprimante car bouclée.
Si sur l'île les maisons restent généralement basses, on remarque, vers la seconde moitié du XIX° un changement de modèle en rassemblant les bâtiments autour d’une cour commune qui devient privée. De multiples maquettes instruisent sur les habitats locaux.
Par contre les cartes postales dénotent une sur-représentation des quéreux (on cristallise l’identité oléronnaise et les usages collectifs qui sont déjà en voie de disparition). Des objets publicitaires démontrent combien l'imagerie touristique oléronaise est proche de celle de Ré alors qu'il n'en est rien. Il est amusant de voir qu'on a simplement écrit l'un ou l'autre nom sous un croquis identique.
En vous promenant dans l'île, vous aurez l'occasion de voir sur quelques vieilles maisons, des blocs de granit (ou de grès) et qui sont étrangers à l'île. Elles proviennent des navires marchands ayant déchargé leurs pierres de lest… dont certaines étaient récupérées pour servir de bouillottes.
Elles pouvaient ici constituer des appuis pour les échafaudages. Ces pierres créent aussi la liaison entre deux parements et assurent la solidité du mur. L'origine de ces "pierres dépassantes" fait l'objet de multiples autres interprétations. Il est dit qu’à chaque traite payée, le maçon faisait ressortir une pierre, ainsi dans chaque village on différenciait aisément les bons des mauvais payeurs !
Des sculptures sur pierre peuvent aussi être dignes d'intérêt. Au 55 rue de la République à 17310 Saint-Pierre-d'Oléron on remarquera une enseigne d'auberge qui s'élevait à la place de l'immeuble actuelle qui est encastrée dans la façade de la maison, à hauteur du premier étage. C'est une large pierre sculptée au XVI° où figurent une nef toutes voiles dehors et deux inscriptions. En haut : "Céans a bon vin et logis". En bas : "JHS RLE. OV. BLD 1585". Cette enseigne devait figurer sur l'auberge.
Aux passionnés d'architecture balnéaire je recommanderai une balade à La Brée où l'on voit encore des demeures typiques du siècle dernier. L'ancien siège de la Kommandantur, 8 Rue Ernest Morisset, 17650 Saint-Denis-d'Oléron, qui abrite maintenant des chambres d'hôtes est assez imposant.
On dit que Saint-Trojan aurait conservé les plus belles maisons le long de la plage et dans les rues adjacentes. Elles présentent des caractéristiques communes : toit débordant, décor de briques aux encadrements de fenêtres, avant-corps… En voici un modèle ci-dessous. Nous sommes loin de la maison paysanne mais c'est aussi une part du patrimoine. Et quand on pense qu'il fallait 2 heures 30 pour rallier Saint Denis et Saint Trojan en chemin de fer au début du siècle et jusque dans les années trente tout cela rend songeur.
La Maison éco-paysanne
Musée d'histoire locale à Le Grand-Village-Plage
7 Boulevard de la Plage, 17370 Le Grand-Village-Plage
Téléphone : 05 46 85 56 45
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