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dimanche 7 février 2021

Nos corps étrangers de Carine Joaquim

Il m’est difficile de parler en toute objectivité de Nos corps étrangers de Carine Joaquim. Parce que ce livre a échoué entre mes mains après le bouleversant et très réussi Over the rainbow de constance Joly. Difficilement égalable en émotions (et pourtant si, je vous le dirai bientôt car je suis déjà plongée dans un autre roman, éblouissant).

Il se pourrait aussi qu’une année de crise sanitaire m’a rendue sensible au réalisme d’un récit dit contemporain. Et celui-ci me semble appartenir à un monde révolu. Non pas que nous sommes devenus plus humains, certes non. Les problématiques d’intolérance soulevées par l’auteure demeurent d’actualité. Mais je suis persuadée qu’elles ne peuvent plus être abordées comme si rien n’avait changé.

On ne quitte plus la région parisienne avec des motivations comme celles d’Élisabeth et de Stéphane en se persuadant qu’on prendra un nouveau départ. Admettons donc que l’histoire se situe dans les années 2010-2015. Il est vrai qu’alors beaucoup ont voulu croire au rêve campagnard dans une grande maison (vous remarquerez que tant qu’à faire les évadés de l’agitation parisienne ne se cloîtrent jamais dans de petits espaces) qui leur permettra de repartir sur de bonnes bases : sauver leur couple, réaliser enfin de vieux rêves, retrouver le bonheur et l’insouciance avec leur fille Maëva.

Carine Joaquim met en garde ses lecteurs en les interrogeant sur la simplicité supposée de recréer des liens qui se sont délités, et d’oublier les trahisons. J’ajouterai, surtout lorsque le destin fait croiser des personnalités atypiques, qui ont bien du mal à exister dans un milieu provincial un peu étriqué.

Le roman se déroule sur une année balancée entre le rythme des trimestres scolaires. Au nombre de trois, ils composent la gestation d’un avenir qu’ils ont voulu meilleur mais qui ne le sera point. Sans déflorer la fin on admettra qu’il ne pouvait en être autrement en remarquant son édition par La Manufacture de livres, un éditeur indépendant se situant dans l’héritage du roman noir et du roman social, se voulant être témoin de notre époque, et en ce sens, le roman est réussi.

Au début tout est gris, c’est normal, c’est l’automne. Les personnages sont d’humeur morose. Rien ne va comme ils le voudraient. Sauf peut-être pour Elisabeth dont le retour à la nature va inspirer la peinture d’immenses toiles mais les deux autres ne trouveront pas leur compte dans ce changement. Combien ont-ils été d’ailleurs à déchanter après une hypothétique nouvelle vie à la campagne, essorés par les trajets domicile-travail, à une époque où le télé-travail n’avait pas encore la cote, déroutés par d’autres modes de vie, par des systèmes de pensée psycho-rigides ?

Le ciel semble donc s’éclairer pour cette femme. Et puis aussi pour sa fille, Maëva qui s’épanouit dans une adolescence insouciante. A tel point qu’elle ne mesure pas les dégâts qu’elle peut provoquer par le partage d’une vidéo sur les réseaux sociaux. Tout dérape alors.

Il y aura donc Stéphane et Elisabeth, Maëlla et Ritchie, Stéphane et Maxence, et puis Carla dont les portraits nous seront brossés par petites touches, savamment juxtaposées par l’auteure, pour révéler chacune de leurs sautes d’humeur, leurs espoirs enfouis, leurs sursauts, toujours en noir et blanc, et dont les personnalités apparaîtront comme diffractées, à l’instar de la couverture. Je n’ai réussi à m’attacher à aucun. Ils me sont restés étrangers, malgré leurs évidentes souffrances, exacerbées par les dysfonctionnements de notre société, en particulier la manière dont on dénie aux handicapés et aux migrants le droit à une existence paisible.

On pourrait dire que le roman entier décline le concept de déni, à commencer par celui des sentiments. Finalement seuls les adolescents sont dans le vrai, comme s’ils n’avaient pas encore épuisé leurs illusions. Je referme le livre avec un goût amer dans la bouche.

Née en 1976 à Paris où elle grandit, Carine Joaquim vit aujourd’hui en région parisienne et y enseigne l’histoire-géographie. Si elle écrit depuis toujours, c’est depuis six ans qu’elle s’y consacre avec ardeur. Nos corps étrangers est son premier roman publié.

Nos corps étrangers de Carine Joaquim, La Manufacture de livres, en librairie depuis le 7 janvier 2021

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