
Cette grande admiratrice de Tomi Ungerer et de Claude Ponti venait de publier son premier roman, Du même bois, chez Gallimard, mais je n’ai pas eu le temps de le lire à cette époque. Je viens de le faire et j’ai immensément apprécié cette centaine de pages qui se lisent comme des nouvelles, dans la veine de Marie-Hélène Lafon qui est une des auteures majeures pour décrire la ruralité (notez qu’elle préférerait que j’emploie le terme de paysannerie).
Si celle-ci fait revivre le Cantal, Marion Fayolle nous embarque en Ardèche et nous ne sommes pas loin de penser aussi à La montagne que Jean Ferrat voyait s’endormir. Celle de Marion est belle, quoique inquiétante, quand elle regarde vers la ferme en pleurant des cailloux (p. 30).
Les enfants, les bébés, ils les appellent les "petitous". Et c’est vrai qu’ils sont des petits touts. Qu’ils sont un peu de leur mère, un peu de leur père, un peu des grands-parents, un peu de ceux qui sont morts, il y a si longtemps. Tout ce qu’ils leur ont transmis, caché, inventé. Tout.C’est pas toujours facile d’être un petit tout, d’avoir en soi autant d’histoires, autant de gens, de réussir à les faire taire pour inventer encore une petite chose à soi.
C'est la gamine qui raconte son héritage et cette enfant, c’est elle, pas de doute là-dessus (même si le livre est une fiction) : on la reconnaît à sa manière de faire des plans dans des carnets (p. 29). L'auteure a puisé dans des souvenirs personnels et avoue avec humilité que la gamine n’a rien pu faire, à part noter des choses dans ses carnets, elle ne sait rien faire (p. 110). Avec les autres gamins, elle braconne le passé en fouillant le clapas derrière la ferme. Ils sont loins de la tristesse de la jeunesse actuelle, dont les yeux sont rivés sur des écrans. Qu’auront-ils engrangé comme souvenirs, les jeunes d'aujourd'hui, et qu’écriront-ils plus tard ?
Je me souviens que Marion Fayolle avait souligné à Beaubourg sa difficulté à décrire la réalité avec ses dessins. Dans ce premier roman elle parvient avec sensibilité à donner de la voix en faisant preuve d'une belle force poétique.
L’histoire se reproduit dans la ferme de génération en génération : on s’occupe des bêtes, on vit avec, celles qui sont dans l’étable et celles qui ruminent dans les têtes. Peintes sur le vif, à petites touches, les vies se dupliquent en dégradé face aux bêtes qui ont tout un paysage à pâturer. J’y ai retrouvé des expressions de ma propre enfance comme aller donner aux bêtes. J'ai été émue par cet homme obligé de tirer sur son chien avec son fusil (p. 36) et touchée par la justesse des réflexions comme celle-ci : Le vin n’estompe pas le désespoir mais en remet une épaisseur (p. 72). Ou encore celle-là, terrible : On peut mourir d’un excès de tendresse comme ces petits lapins ou d’avoir été gavé de luzerne aux bêtes alors la gamine fait gaffe avec son petitou (p. 94).
Ce n’est pas une vie de reprendre une ferme comme la leur … et pourtant ce fut toute la leur (p. 108). Et son besoin d'écrire est consécutif à la difficulté de son oncle de trouver un repreneur pour la ferme familiale.
Alors on ne s’étonne pas que le livre soit dédié à sa famille, qu'elle ait réalisé le bandeau et qu’elle ait glissé deux croquis.
Du même bois de Marion Fayolle, Gallimard, Collection Blanche, en librairie depuis le 4 janvier 2024
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