(billet mis à jour le 9 nov 2010)
Quand vos parents vous ont donné, à vous et à vos sœurs, des prénoms qui sentent l’origine russe, que vous êtes tous acteurs dans la famille et que vous cumulez vous-même les fonctions de comédien et de metteur en scène … arrive forcément un jour où vous ne pouvez plus résister.C’est ce qui est arrivé « en toute logique » à Volodia Serre avec la célèbre pièce de Tchekhov, les Trois sœurs. Il était venu expliquer ses motivations au public du Centre culturel de l’Onde de Vélizy (78) au mois de juin.
Tchékhov écrivait pour nourrir sa famille. Il estimait avoir proposé fondamentalement une comédie Sa propre femme jouait le rôle de Macha. La particularité c’est qu’il se passe peu de choses. La vie se déroule entre les actes. Le destin imprime sa marque inexorablement sur la famille où le malheur arrive de façon imprévue, en quelque sorte à l’insu des personnages.
Volodia Serre utilise sa propre histoire familiale pour éclairer cette pièce sous un jour plus intime, courant le risque d’une mise en danger. Il aurait pu assumer jusqu’au bout sa logique et titrer « Alexandrine, Joséphine, Léopoldine, Volodia … et les autres ». J’ai vu ce spectacle un peu particulier à Vélizy juste avant qu’il ne soit exporté au théâtre parisien de l’Athénée.
S’ils n’ont aucune origine russe, l’influence fantasmatique a joué à fond et le résultat, original, est néanmoins très respectueux dans l’esprit et nous offre une jolie réflexion sur ce qu'est une famille.
Alors que les trois sœurs sont souvent interprétées par des actrices plus âgées les trois comédiennes ont exactement l'âge des trois sœurs au début de la pièce. C’est peut-être un détail mais cela renforce l’oscillation constante entre souvenir et réalité, entre vie réelle et vie d’avant, entre passé idéalisé et avenir hypothéqué
Un projecteur Super-8 envoie sur un rideau des vrais extraits de films d’enfance de leur propre famille, dans lesquels apparaissent chacun dans des moments choisis, intenses et rendus “heureux” par la magie surannée de la texture du Super-8, ramenant le spectateur à la notion d’une époque et d’une certaine insouciance révolues.
Les images, un peu floues et ondulantes, sont rétroprojetées sur un voile fin et translucide, qui ouvre ou ferme la scène au tout premier plan, créant ainsi une perspective temporelle entre la ligne du passé, au bord du cadre. L’avenir, lointain et incertain, est symbolisé par un ciel changeant au gré des lumières du cyclorama clôturant l’espace scénique.
Ces “séances” de projections amorcent et ferment les différents actes de la pièce, suspendant le temps dans un retour des personnages vers leur paradis perdu, ellipses menant vers l’épisode suivant. La vie passée, qu’elles se projettent, est éternellement regrettée dans une sorte de fuite en avant, une logique du “toujours pire” qui n’est pas spécifique au théâtre russe. Écoutons ce que dit Alexandrine : « Jadis on vivait mieux. La vie aujourd'hui est bien pire qu'autrefois »
Le théâtre de Tchékhov touche à l’universel. Et on pourrait multiplier les extraits qui résonnent étrangement. Olga se plaint : Depuis quatre ans que je travaille, je me sens devenir une vieille femme.
La difficulté de vivre, la peur de la mort, la crainte de l’avenir pour nos enfants dont on redoute le nombre des épreuves qu’ils auront à traverser, toutes ces angoisses sont encore d’actualité.
Qui d’entre nous n’a pas cru à 20 ans comme Irina que le monde s’offrait à lui. Alors qu’au soir de la vie on se dit que rien ne s’est déroulé selon nos plans ?
C’est que, comme le regrette Irina, on ne sait pas pourquoi on vit et à quoi servent nos souffrances. C’est peut-être que nous n’existons pas et que nous donnons simplement l’impression d’exister …
Volodia Serre et sa troupe ne font pas illusion. Ils mènent le spectacle tambour battant. Le texte est respecté. La liberté scénographique réside ailleurs : dans les décors, aussi inventifs qu’un jeu de Mecano qui se plie et se déplie selon les besoins. Dans les costumes aussi, appartenant à plusieurs époques. Et surtout par la place centrale donnée à la musique, avec l’introduction d’airs d’opéra du XIX° et des chansons des années 1960/80.
On reconnait pêle-mêle le célèbre air de Rigoletto, la Donna è mobile (Comme la plume au vent), le très romantique Temps de l’amour, chanté par Françoise Hardy depuis 1980, l’irrésistible In the mood de Glenn Miller, le si nostalgique Sound of silence de Simon et Garfunfel, (1966) imperceptiblement murmuré.
A la fin la télévision remplace le piano. Le film de la scène d’anniversaire d’Irina succède au super 8 historique. Tout change mais l’humanité elle, n’a pas bougé. Volodia Serre a réussi ce tour de force de relifter les Trois sœurs en conservant toute la force de la pièce. Le pari était osé. Bravo !
Après l’Athénée - Théâtre Louis Jouvet jusqu’au 20 novembre (01 53 05 19 19), ce sera le Centre culturel Boris Vian des Ulis (91) le 23 novembre (01 69 29 34 90).
Le Théâtre Romain Rolland de Villejuif, (01 49 58 17 00) producteur, du spectacle, qui l'accueillera du 25 novembre au 6 décembre, puis le Centre culturel des 3 Pierrots de Saint-Cloud le 9 décembre, et ce Centre Culturel des Portes de l'Essonne d’Athis-Mons (91) le 11 décembre.
Les photos non mentionnées A bride abattue proviennent de la page Facebook du spectacle, sauf la troisième (crédit photo : Dominique Gubser)
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