Facebook, MySpace, Skyblogs, Twitter ... Deux internautes sur trois s’y connectent régulièrement, alors que ces sites étaient encore quasi inconnus il y a deux ans. Pas une semaine sans que les médias ne se fassent l’écho de ce succès... ou n’en rapportent les dérapages. Car par leur nature même, les réseaux sociaux mettent à mal la notion de vie privée.
Risques pour les mineurs, escroqueries, usurpations d’identité, utilisation commerciale de données privées... Comment ces sites ont-ils organisé leur ascension ? Qu’est-ce qui poussent les internautes à s’y mettre à nu au vu de tous ? Comment Facebook et Myspace gagnent-ils de l’argent en vendant les profils des internautes ? En interrogeant sociologues, avocats, policiers, psychanalystes, et bien sûr, les dirigeants de ces sites ainsi que ceux qui en ont été victimes, Olivier Levrard et Delphine Soulas promettent de nous dévoiler la face cachée des réseaux sociaux dans le livre qu’ils ont publiés au début de l’année 2010 aux éditions Michalon, Facebook : mes amis, mes amours ... des emmerdes !
Sauf qu’en utilisant le nom d’une série télé qui revient sur les antennes … et qui a sa propre page sur Facebook les auteurs ajoutent encore de la confusion là où très franchement il n’y en avait pas besoin.
En résumé et pour « faire utile », incitations incontrôlées, fichages de toutes origines, escroqueries, actes délictueux, enfermement informatiques… sont effectivement des dangers réels. La lecture du livre pourra renforcer une prudence élémentaire que nous oublions parfois de suivre. Ces réseaux « sociaux » ne sont pas des pièges dangereux pour nos libertés si on les utilise en gardant la mesure.
Être sur Facebook c’est devoir assumer une visibilité
Il ne nous viendrait pas à l’idée de faire disparaitre tous les couteaux de la cuisine au motif qu’un assassin a employé cet outil pour tuer sa femme. Il ne faut pas confondre l’objet et son usage. Ce n’est pas non plus parce qu’on a un blog qu’on étale sa vie privée. Autrement dit ce qui importe, ce n’est pas le média, mais le contenu qu’il véhicule et dont nous sommes parfaitement maitres, ne l’oublions pas.
Un désir de reconnaissance insatiable
FB étymologiquement signifie trombinoscope. Inscrivez-vous et vous aurez à coup sûr la possibilité de recontacter toutes les personnes que vous avez approchées de près ou de loin. C’est en quelque sorte une formidable machine à remonter le temps, qui répondrait au fol espoir de pouvoir recommencer sa vie. La tentation est forte d’établir un parallèle avec le nombre croissant de mariages avec son premier amour … quelques décennies plus tard ?
Ce qui est drôle c’est que nous avions été des milliers à exiger l’inscription de notre numéro de téléphone sur la fameuse liste rouge de France Telecom pour ne pas risquer d’être repéré dans l’annuaire téléphonique. L’opérateur est devenu Orange. Et depuis le réseau bleu, alias Facebook, a ouvert ses pages. Et voilà que les mêmes qui se protégeaient hier s’y affichent maintenant sans retenue. Faut-il vraiment être en manque de communication pour agir de manière aussi écervelée ?
Tout le monde ne s’inscrit pas sous son vrai nom. Mais dans ce cas les chances de se (re)lier à des connaissances perdues de vue sont minces, par définition. Les malins qui se cachent derrière un pseudonyme publient souvent des photos compromettantes qui projettent leurs frasques en pleine lumière.
Facebook, ou “The” Social Network
Le film est annoncé comme une histoire vraie, mais « librement » adaptée de la vie de Mark Zuckerberg, le créateur du réseau social Facebook. Les scénaristes ont puisé leurs ingrédients dans le livre de Ben Mezrich "The accidental Billionaires", titré en France "La revanche d'un solitaire" et qui retrace la création de Facebook dans un dortoir de Harvard par Mark Zuckerberg aidé de son ami Eduardo Saverin.
D’après mes sources le livre décrypterait davantage les origines de Facebook. Je suis ressortie déçue de la projection, avec l’amère impression de m’être fait hameçonner. Le visionnage de la bande-annonce est un résumé qui m’aurait suffit. Je n’en ai guère appris davantage en deux heures 30 sur « le » réseau social par excellence, si ce n’est que son créateur a suivi le conseil d’un collaborateur de retirer l’article.
L’anecdote est exacte mais incomplète. A l’origine le réseau s’appelait Friendster avant de devenir Facemash.com puis ce qu’on sait.
A l’image de « faites entrer l’accusé » le film juxtapose une reconstitution du procès opposant le créateur du site à ses détracteurs (pour une histoire de gros sous) à des flash-backs censé narrer la création et l’ascension d’une poignée de geeks, entendez par là des mordus d’informatique.
Le film écrase le mythe. J’y ai vu un post-ado qui ne s’épanouit jamais, même par simple mégalomanie, même pas antipathique, simplement apathique. Tout le contraire de ce que font ses fans. Vous pourrez toujours me dire que c’est cela qui est génial. Qu’un étudiant frustré ait conçu ce formidable outil de communication en réponse à son handicap. On ne fera jamais assez l’apologie de la frustration !
Au final rien n’est éclairci, ce qui était peut-être voulu. Mark Zuckerberg peut dormir tranquille. On me dirait qu’il n’a jamais existé que je le croirais tant le personnage semble n’avoir aucun affect. J’ai donc vérifié.
C’était un jeu d’enfant que de taper son nom sur Facebook et je vous offre la photo de son « mur ». Son sourire m’a plu davantage que le nombre de ses « amis », plus d’un million trois cent mille.
Car la diction hachée et le regard inexpressif de l’acteur interprète Jesse Eisenberg m’avaient grandement donné envie de fermer mon compte, ne me reconnaissant pas plus dans cette communauté, que je n’aurais apprécié autrefois avoir eu un compte à la Société générale ou au Crédit Lyonnais.
Me voilà rassurée. Et je consens à admettre que le film fait (un peu) connaitre le mode de fonctionnement de ces grandes universités américaines où naissent les success-stories. L’accent harvardien des détracteurs de mark est assez savoureux. C’est le seul intérêt à choisir la V.O. parce que le débit est tellement rapide qu’il ne faut pas espérer le soutien des sous-titres pour affiner la compréhension des dialogues.
Où s’arrête le virtuel, où commence le réel ?
Facebook est également décrié comme faisant concurrence aux sites de rencontres qui avaient le vent en poupe il y a seulement quatre ou cinq ans. La rencontre virtuelle n’est pas née d’Internet. Longtemps le courrier, les petites annonces, ont médiatisé les rencontres. Ce fut le « réseau » dans les années 70, quand plusieurs personnes composaient au même moment des numéros non attribués qui les mettaient en relation au petit bonheur. Il y eut aussi les CB (cibi), le minitel … De tous temps hommes et femmes ont eu envie d’entrer en contact sans être trop vite confronté au corps, parce que seul le corps peut mettre en péril une rencontre. Et pourtant seul le corps permet une résonance émotionnelle ...
Or Internet permet d’augmenter sa surface sociale en engageant moins le corps. Du coup il ne faut pas s’étonner (ni regretter) que la réintroduction du corps soit un quitte ou double. Au-delà de l’étonnement, de l’inattendu, il pourra y avoir malgré tout une agréable surprise, et pourquoi pas l'exaltation.
Le désir est-il compatible avec Internet ?
La chirurgie esthétique améliore l’ordinaire corporel … parce qu’on nous serine qu’on le vaut bien. Alors la tentation est grande de maquiller (aussi) son profil au lieu de prendre le risque d’aller authentiquement à la rencontre de l’autre. Remarquons au passage que la manière dont on se perçoit n’est pas forcément en adéquation avec celle avec laquelle les autres nous voient ou vont nous regarder.
On ne peut pas échapper au formatage des fiches mais l’erreur, entretenue par les sites de rencontre, est précisément de chercher quelqu’un à qui on ressemble et dont on partagerait les goûts. La mythologie de la ressemblance, qui voudrait que chacun cherche son alter ego n’est pas un critère a priori valable. Comment vivre (heureux) à deux si on sait à l’avance qu’on aimera les mêmes choses ? Une vie sans surprise devient vite fade. La réassurance conduit à l’immobilisme.
Les gens s’entendent (ou pas) pour une manière de bouger, de sourire, un ton de voix, des odeurs, … et cela ne se met pas en fiches. Le corps (ému) fait la rencontre de l'autre ... parce que c'était lui, parce que c'était moi ... comme l'écrivait Montaigne, comme l'a chanté Michel Sardou.
Serge Tisseron a exploré ce que devient le désir sur les sites de rencontres. L’écouter remet les ordinateurs à l’heure.
Il était venu discuter de cette question du désir le samedi 9 octobre à l’invitation de l’association Autrement à la médiathèque d’Antony (92). Ce psychanalyste, docteur en psychologie, directeur de recherche (CNRS, Université Paris X) est d’ailleurs cité par les auteurs du livre consacré à Facebook. Il fait désormais référence dans le domaine des nouvelles technologies et qui plus est sa pensée est limpide.
L’épreuve de réalité est incontournable
Tout commence à partir du moment où on va se voir « pour de vrai ». La confrontation avec cet autre que l'on croit connaitre est déterminante. Et s’il y a un conseil à retenir c’est bien de ne pas tarder à programmer la « rencontre », laquelle ne démarre réellement que la première fois qu’on se voit "pour de vrai". Même si personne n’a enjolivé son portrait, le face à face sera forcément une découverte.
Au XIX° siècle on se repérait aux fêtes familiales. On se revoyait aux fêtes de village et petit à petit on nouait une relation. Désormais on veut une réponse sans délai et Serge Tisseron nous rappelle qu'il est de plus en plus difficile de supporter le refus de l'autre. D'autant plus que nous vivons dans une culture fâchée avec le corps réel qui nous invite à idolâtrer le corps éternellement jeune.
Des dérives existent. Certaines personnes se marient par leur avatar, sur le site second Life. D'autres utilisent Internet pour assouvir leurs instincts sans conscience. Michel Houellebecq a écrit sur le sujet. Les adolescents déploient une sexualité extrême qui s'apparente à des rites de passage. Ils semblent intervertir le mode d'emploi de la rencontre, d'abord le sexe, plus si entente. Derrière cet usage se cache toujours la même angoisse, celle de la confrontation au refus.
Après tout est-ce que la façon de draguer des anciens, promettant le mariage alors qu'ils n'y songeaient pas un instant était plus morale ?
Les jeux vidéo, c'est bon pour la santé
C’est la question qui soulève le plus de polémiques. Vous êtes légion à vilipender Internet à ce propos. Je n’étais pas loin de penser comme vous. Et si je vous dis maintenant que les jeux vidéo ne sont pas condamnables vous allez croire que je suis victime d’un drôle de virus informatique. Mais non !
Serge Tisseron a bousculé mes représentations. Il connait très bien cet univers, y compris de l’intérieur. Il a notamment publié "L’intimité surexposée" (2001), - "Virtuel mon amour : aimer, penser, souffrir à l’ère des nouvelles technologies" (2008), - "L’empathie au cœur du jeu social" (2010).
S’il s’insurge contre les chaines de télévision dédiées aux enfants de moins de trois ans c’est qu’il en mesure les risques. Il fait l’apologie des jeux de rôles en maternelle. Les adultes croient que les élèves jouent mais ils ne font pas que cela. Les jeux d’imitation permettent de se structurer et de se socialiser, ce qui n’est pas un acquis négligeable.
Selon lui les jeux vidéo constituent (et jamais avant six ans) dans une certaine mesure un apprentissage des règles, d'abord celles du jeu, qui le plus souvent sont à découvrir en jouant, ce qui n'est jamais facile. C'est aussi le moyen de manipuler symboliquement son double narcissique et extérioriser ses conflits inconscients. Ou une élévation de la confiance en soi. Mais l'aire du jeu ne doit être qu'un territoire de simulation et d'entrainement. sans reprise par la parole de ce qui a été ressenti, l'effet thérapeutique sera limité.
Les nouvelles technologies ont bel et bien changé les règles. Le risque n'est pas d'y faire de mauvaises rencontres mais de perdre l'esprit critique qui se nourrit de la confrontation et de la discussion.
Avez-vous remarqué que sur Facebook on peut manifester sa satisfaction ou son accord en cliquant sur l'icône pouce levé signifiant j'aime mais que la réciproque n'est pas prévue.
Hier on bouclait la bouche des filles avec l'injonction sois belle et tais-toi ! Aujourd'hui on a mis tout le monde sur le même pied en prônant aime ou tais-toi !
C’est dans le cadre du partenariat avec Babelio que j’ai lu Facebook : mes amis, mes amours ... des emmerdes ! La vérité sur les réseaux sociaux d’Olivier Levard et Delphine SOULAS
Éditions Michalon - 34, rue de Lancry - 75010 Paris, 192 pages, 16 €
Pour connaitre les prochains débats de l’association Autrement : consulter leur site
Risques pour les mineurs, escroqueries, usurpations d’identité, utilisation commerciale de données privées... Comment ces sites ont-ils organisé leur ascension ? Qu’est-ce qui poussent les internautes à s’y mettre à nu au vu de tous ? Comment Facebook et Myspace gagnent-ils de l’argent en vendant les profils des internautes ? En interrogeant sociologues, avocats, policiers, psychanalystes, et bien sûr, les dirigeants de ces sites ainsi que ceux qui en ont été victimes, Olivier Levrard et Delphine Soulas promettent de nous dévoiler la face cachée des réseaux sociaux dans le livre qu’ils ont publiés au début de l’année 2010 aux éditions Michalon, Facebook : mes amis, mes amours ... des emmerdes !
Sauf qu’en utilisant le nom d’une série télé qui revient sur les antennes … et qui a sa propre page sur Facebook les auteurs ajoutent encore de la confusion là où très franchement il n’y en avait pas besoin.
En résumé et pour « faire utile », incitations incontrôlées, fichages de toutes origines, escroqueries, actes délictueux, enfermement informatiques… sont effectivement des dangers réels. La lecture du livre pourra renforcer une prudence élémentaire que nous oublions parfois de suivre. Ces réseaux « sociaux » ne sont pas des pièges dangereux pour nos libertés si on les utilise en gardant la mesure.
Être sur Facebook c’est devoir assumer une visibilité
Il ne nous viendrait pas à l’idée de faire disparaitre tous les couteaux de la cuisine au motif qu’un assassin a employé cet outil pour tuer sa femme. Il ne faut pas confondre l’objet et son usage. Ce n’est pas non plus parce qu’on a un blog qu’on étale sa vie privée. Autrement dit ce qui importe, ce n’est pas le média, mais le contenu qu’il véhicule et dont nous sommes parfaitement maitres, ne l’oublions pas.
Un désir de reconnaissance insatiable
FB étymologiquement signifie trombinoscope. Inscrivez-vous et vous aurez à coup sûr la possibilité de recontacter toutes les personnes que vous avez approchées de près ou de loin. C’est en quelque sorte une formidable machine à remonter le temps, qui répondrait au fol espoir de pouvoir recommencer sa vie. La tentation est forte d’établir un parallèle avec le nombre croissant de mariages avec son premier amour … quelques décennies plus tard ?
Ce qui est drôle c’est que nous avions été des milliers à exiger l’inscription de notre numéro de téléphone sur la fameuse liste rouge de France Telecom pour ne pas risquer d’être repéré dans l’annuaire téléphonique. L’opérateur est devenu Orange. Et depuis le réseau bleu, alias Facebook, a ouvert ses pages. Et voilà que les mêmes qui se protégeaient hier s’y affichent maintenant sans retenue. Faut-il vraiment être en manque de communication pour agir de manière aussi écervelée ?
Tout le monde ne s’inscrit pas sous son vrai nom. Mais dans ce cas les chances de se (re)lier à des connaissances perdues de vue sont minces, par définition. Les malins qui se cachent derrière un pseudonyme publient souvent des photos compromettantes qui projettent leurs frasques en pleine lumière.
Facebook, ou “The” Social Network
Le film est annoncé comme une histoire vraie, mais « librement » adaptée de la vie de Mark Zuckerberg, le créateur du réseau social Facebook. Les scénaristes ont puisé leurs ingrédients dans le livre de Ben Mezrich "The accidental Billionaires", titré en France "La revanche d'un solitaire" et qui retrace la création de Facebook dans un dortoir de Harvard par Mark Zuckerberg aidé de son ami Eduardo Saverin.
D’après mes sources le livre décrypterait davantage les origines de Facebook. Je suis ressortie déçue de la projection, avec l’amère impression de m’être fait hameçonner. Le visionnage de la bande-annonce est un résumé qui m’aurait suffit. Je n’en ai guère appris davantage en deux heures 30 sur « le » réseau social par excellence, si ce n’est que son créateur a suivi le conseil d’un collaborateur de retirer l’article.
L’anecdote est exacte mais incomplète. A l’origine le réseau s’appelait Friendster avant de devenir Facemash.com puis ce qu’on sait.
A l’image de « faites entrer l’accusé » le film juxtapose une reconstitution du procès opposant le créateur du site à ses détracteurs (pour une histoire de gros sous) à des flash-backs censé narrer la création et l’ascension d’une poignée de geeks, entendez par là des mordus d’informatique.
Le film écrase le mythe. J’y ai vu un post-ado qui ne s’épanouit jamais, même par simple mégalomanie, même pas antipathique, simplement apathique. Tout le contraire de ce que font ses fans. Vous pourrez toujours me dire que c’est cela qui est génial. Qu’un étudiant frustré ait conçu ce formidable outil de communication en réponse à son handicap. On ne fera jamais assez l’apologie de la frustration !
Au final rien n’est éclairci, ce qui était peut-être voulu. Mark Zuckerberg peut dormir tranquille. On me dirait qu’il n’a jamais existé que je le croirais tant le personnage semble n’avoir aucun affect. J’ai donc vérifié.
C’était un jeu d’enfant que de taper son nom sur Facebook et je vous offre la photo de son « mur ». Son sourire m’a plu davantage que le nombre de ses « amis », plus d’un million trois cent mille.
Car la diction hachée et le regard inexpressif de l’acteur interprète Jesse Eisenberg m’avaient grandement donné envie de fermer mon compte, ne me reconnaissant pas plus dans cette communauté, que je n’aurais apprécié autrefois avoir eu un compte à la Société générale ou au Crédit Lyonnais.
Me voilà rassurée. Et je consens à admettre que le film fait (un peu) connaitre le mode de fonctionnement de ces grandes universités américaines où naissent les success-stories. L’accent harvardien des détracteurs de mark est assez savoureux. C’est le seul intérêt à choisir la V.O. parce que le débit est tellement rapide qu’il ne faut pas espérer le soutien des sous-titres pour affiner la compréhension des dialogues.
Où s’arrête le virtuel, où commence le réel ?
Facebook est également décrié comme faisant concurrence aux sites de rencontres qui avaient le vent en poupe il y a seulement quatre ou cinq ans. La rencontre virtuelle n’est pas née d’Internet. Longtemps le courrier, les petites annonces, ont médiatisé les rencontres. Ce fut le « réseau » dans les années 70, quand plusieurs personnes composaient au même moment des numéros non attribués qui les mettaient en relation au petit bonheur. Il y eut aussi les CB (cibi), le minitel … De tous temps hommes et femmes ont eu envie d’entrer en contact sans être trop vite confronté au corps, parce que seul le corps peut mettre en péril une rencontre. Et pourtant seul le corps permet une résonance émotionnelle ...
Or Internet permet d’augmenter sa surface sociale en engageant moins le corps. Du coup il ne faut pas s’étonner (ni regretter) que la réintroduction du corps soit un quitte ou double. Au-delà de l’étonnement, de l’inattendu, il pourra y avoir malgré tout une agréable surprise, et pourquoi pas l'exaltation.
Le désir est-il compatible avec Internet ?
La chirurgie esthétique améliore l’ordinaire corporel … parce qu’on nous serine qu’on le vaut bien. Alors la tentation est grande de maquiller (aussi) son profil au lieu de prendre le risque d’aller authentiquement à la rencontre de l’autre. Remarquons au passage que la manière dont on se perçoit n’est pas forcément en adéquation avec celle avec laquelle les autres nous voient ou vont nous regarder.
On ne peut pas échapper au formatage des fiches mais l’erreur, entretenue par les sites de rencontre, est précisément de chercher quelqu’un à qui on ressemble et dont on partagerait les goûts. La mythologie de la ressemblance, qui voudrait que chacun cherche son alter ego n’est pas un critère a priori valable. Comment vivre (heureux) à deux si on sait à l’avance qu’on aimera les mêmes choses ? Une vie sans surprise devient vite fade. La réassurance conduit à l’immobilisme.
Les gens s’entendent (ou pas) pour une manière de bouger, de sourire, un ton de voix, des odeurs, … et cela ne se met pas en fiches. Le corps (ému) fait la rencontre de l'autre ... parce que c'était lui, parce que c'était moi ... comme l'écrivait Montaigne, comme l'a chanté Michel Sardou.
Serge Tisseron a exploré ce que devient le désir sur les sites de rencontres. L’écouter remet les ordinateurs à l’heure.
Il était venu discuter de cette question du désir le samedi 9 octobre à l’invitation de l’association Autrement à la médiathèque d’Antony (92). Ce psychanalyste, docteur en psychologie, directeur de recherche (CNRS, Université Paris X) est d’ailleurs cité par les auteurs du livre consacré à Facebook. Il fait désormais référence dans le domaine des nouvelles technologies et qui plus est sa pensée est limpide.
L’épreuve de réalité est incontournable
Tout commence à partir du moment où on va se voir « pour de vrai ». La confrontation avec cet autre que l'on croit connaitre est déterminante. Et s’il y a un conseil à retenir c’est bien de ne pas tarder à programmer la « rencontre », laquelle ne démarre réellement que la première fois qu’on se voit "pour de vrai". Même si personne n’a enjolivé son portrait, le face à face sera forcément une découverte.
Au XIX° siècle on se repérait aux fêtes familiales. On se revoyait aux fêtes de village et petit à petit on nouait une relation. Désormais on veut une réponse sans délai et Serge Tisseron nous rappelle qu'il est de plus en plus difficile de supporter le refus de l'autre. D'autant plus que nous vivons dans une culture fâchée avec le corps réel qui nous invite à idolâtrer le corps éternellement jeune.
Des dérives existent. Certaines personnes se marient par leur avatar, sur le site second Life. D'autres utilisent Internet pour assouvir leurs instincts sans conscience. Michel Houellebecq a écrit sur le sujet. Les adolescents déploient une sexualité extrême qui s'apparente à des rites de passage. Ils semblent intervertir le mode d'emploi de la rencontre, d'abord le sexe, plus si entente. Derrière cet usage se cache toujours la même angoisse, celle de la confrontation au refus.
Après tout est-ce que la façon de draguer des anciens, promettant le mariage alors qu'ils n'y songeaient pas un instant était plus morale ?
Les jeux vidéo, c'est bon pour la santé
C’est la question qui soulève le plus de polémiques. Vous êtes légion à vilipender Internet à ce propos. Je n’étais pas loin de penser comme vous. Et si je vous dis maintenant que les jeux vidéo ne sont pas condamnables vous allez croire que je suis victime d’un drôle de virus informatique. Mais non !
Serge Tisseron a bousculé mes représentations. Il connait très bien cet univers, y compris de l’intérieur. Il a notamment publié "L’intimité surexposée" (2001), - "Virtuel mon amour : aimer, penser, souffrir à l’ère des nouvelles technologies" (2008), - "L’empathie au cœur du jeu social" (2010).
S’il s’insurge contre les chaines de télévision dédiées aux enfants de moins de trois ans c’est qu’il en mesure les risques. Il fait l’apologie des jeux de rôles en maternelle. Les adultes croient que les élèves jouent mais ils ne font pas que cela. Les jeux d’imitation permettent de se structurer et de se socialiser, ce qui n’est pas un acquis négligeable.
Selon lui les jeux vidéo constituent (et jamais avant six ans) dans une certaine mesure un apprentissage des règles, d'abord celles du jeu, qui le plus souvent sont à découvrir en jouant, ce qui n'est jamais facile. C'est aussi le moyen de manipuler symboliquement son double narcissique et extérioriser ses conflits inconscients. Ou une élévation de la confiance en soi. Mais l'aire du jeu ne doit être qu'un territoire de simulation et d'entrainement. sans reprise par la parole de ce qui a été ressenti, l'effet thérapeutique sera limité.
Les nouvelles technologies ont bel et bien changé les règles. Le risque n'est pas d'y faire de mauvaises rencontres mais de perdre l'esprit critique qui se nourrit de la confrontation et de la discussion.
Avez-vous remarqué que sur Facebook on peut manifester sa satisfaction ou son accord en cliquant sur l'icône pouce levé signifiant j'aime mais que la réciproque n'est pas prévue.
Hier on bouclait la bouche des filles avec l'injonction sois belle et tais-toi ! Aujourd'hui on a mis tout le monde sur le même pied en prônant aime ou tais-toi !
C’est dans le cadre du partenariat avec Babelio que j’ai lu Facebook : mes amis, mes amours ... des emmerdes ! La vérité sur les réseaux sociaux d’Olivier Levard et Delphine SOULAS
Éditions Michalon - 34, rue de Lancry - 75010 Paris, 192 pages, 16 €
Pour connaitre les prochains débats de l’association Autrement : consulter leur site
1 commentaire:
Bonsoir, moi aussi, j'ai reçu ce livre avec l'opération Masse critique de Babelio. C'est un essai qui a prêché une convertie. Je ne suis pas pour ce genre de réseau social en ligne où les amis de vos amis ne sont pas forcément VOS amis (voir mon billet du 13/10/10) Quant à The Social Network, je n'ai pas été déçue du tout, bien au contraire. La réalisation est brillante. J'ai été scotchée à mon fauteuil pendant deux heures. Je pense que le sujet n'était pas "Facebook" mais l'histoire de son créateur, jeune homme assez peu sympathique. Bonne soirée.
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