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mardi 6 mars 2012

Antigone dans la mise en scène d'Adel Hakim avec les acteurs du Théâtre national palestinien

J’étais traversée de pulsions contradictoires. J’ai failli, jusqu’au dernier moment, ne pas venir. Sophocle en arabe, surtitré en français, dans une salle de banlieue … je me disais qu’il fallait rudement aimer le théâtre pour faire le déplacement. Et puis, les lecteurs du blog le comprendront, cette histoire de funérailles qui tourne mal m’effrayait, entrant trop en résonance avec ce que je suis en train de vivre.

On connait Antigone que nous avons « étudié » au lycée. Qu’y aurait-il à apprendre de plus ?
C’est peut-être un fantôme qui m’a soufflé à l’oreille qu’il ne fallait pas reculer. Je songeais ce soir là à Antoine Vitez, à qui Sophocle, avait porté chance à la Maison de la culture de Caen en 1966 avec Électre, et qui fut le mémorable fondateur du Théâtre des Quartiers d’Ivry en 1972 (avant d’animer ensuite Chaillot puis la Comédie française).

C’est peut-être aussi la prémonition que la confrontation avec cette œuvre me serait bénéfique. J’avais été sensibilisée à la situation en Palestine par divers évènements, et plus récemment par le film de Thierry Binisti, Une bouteille à la mer. On y aborde la question de la paix, en quelque sorte en cohérence avec le message d’Antigone.

J’étais curieuse de voir sur scène les acteurs du Théâtre national palestinien. Je savais que la création de la pièce avait provoqué une émotion intense en juin dernier. Il me semblait, très modestement, que je me devais d’agir à ma manière pour les soutenir. On aurait trop tendance à vite oublier que Jérusalem-Est est une ville sous occupation.

Je suis arrivée malgré tout au théâtre pleine d’appréhensions. Je suis repartie légère et je vous encourage à suivre le même parcours.

Thierry Binisti a été le premier (le seul encore aujourd’hui) à obtenir une autorisation de tournage exceptionnelle pour la séquence du passage d'Erez, entre Gaza et Israël. Avoir pu sortir en quelque sorte de la fiction sur ce lieu même du vrai Check Point était hautement symbolique. En voir la reproduction grandeur nature sur le mur du studio et passer nous-mêmes cette frontière pour assister au spectacle est une très belle idée. On ne tend pas sa contremarque à l’ouvreur avec la même spontanéité.

Le décor est simple et magique, évoquant l’atmosphère de secret d’un moucharabieh, une porte de prison ou des enfers, et surtout le mur des lamentations où l’on glisserait entre les pierres une prière écrite sur un papier roulé.

La musique du Trio Joubran, apaisante et lancinante, couvre à peine de lointains coups de fusil. Arrivent les linceuls des deux frères. Entrent Créon, devenu roi après l’issue fatale de la guerre que se sont livrés Etéocle et Polynice, et ses deux nièces, Ismène et Antigone, sœurs des défunts. Le rituel commence par une danse envoutante.

On connait la suite. Créon, furieux que Polynice ait monté une armée contre son frère (lequel tout de même n’a pas respecté sa promesse d’alternance du pouvoir, ne l’oublions pas) interdit la sépulture religieuse du traitre. Antigone s’oppose. Elle est condamnée à mort. Son fiancé, qui est le fils de Créon, ne parviendra pas à la sauver et ce n’est qu’après avoir perdu son fils que le roi comprendra qu’il s’est fourvoyé alors qu’il pensait avoir les mains propres de la mort de sa nièce.

On connait mais on redécouvre. Le discours moralisateur de Créon résonne différemment en ce moment où nous sommes abreuvés d’injonctions électorales. Certaines « petites phrases » font différemment réfléchir que lorsque nous étions adolescents, penchés sur cette pièce parce qu’elle était au programme du Bac.

Antigone préfère mourir que de vivre dans la honte. Elle a voulu par amour éviter un sacrilège. Il n’y a pas de vérité unique. (…) Ce qui arrive ne nous appartient pas.Les sept comédiens assurent une douzaine de rôles. Leur interprétation est absolument formidable. Je devrais dire un mot à propos de chacun. Le messager bégaie (on pourrait croire naturellement) sous le coup de l’émotion lorsqu’il est chargé de prévenir qu’ils pensent tous comme elle (Antigone) mais n’osent pas le dire, et que le peuple estime qu’elle mérite une médaille. Les spectateurs s’étonnaient de la musicalité de l’arabe classique. Le spectacle n’a rien de grandiloquent et on a l’impression de découvrir combien ce que le texte original avait de simple et de fort. Les comédiens palestiniens restituent aussi la dimension religieuse perdue par les comédiens français.

L’éclairage vient essentiellement de la terre. Le travail de scénographie d’Yves Collet est mesuré tout au long de la pièce, avec d’heureuses trouvailles comme la juxtaposition clignotante des prénoms d’Antigone et de Polynice sur le mur de fond, symbolisant leurs retrouvailles dans l’au-delà et la démultiplication de leur message. La mise en scène d'Adel Hakim est parfaitement juste, parvenant à moderniser la tragédie sans lui faire perdre sa spécificité.

Il faut aller voir la pièce … en famille et avec ses amis. C’est fort, beau. Ce n’est pas que troublant. C’est magnifique.

Antigone de Sophocle
texte français et mise en scène Adel Hakim
Au Théâtre des Quartiers d’Ivry - Studio Casanova du 5 au 31 mars 2012
69 avenue Danielle Casanova à Ivry-sur-seine, tel : 01 43 90 11 11
Tournée le 3 mai à La Piscine de Chatenay-Malabry (92) , le 13 avril au Centre culturel Jean Arp de Clamart, autres dates sur le site du théâtre

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