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vendredi 3 mars 2017

Résister c'est exister, toujours en tournée avec François Bourcier

François Bourcier n'est pas à proprement parler seul en scène tant il fait revivre ces héros, célèbres ou anonymes, propres à toutes les guerres.

Le spectacle qu'il a conçu, Résister c'est exister est un hommage plus particulier aux Résistants de la Seconde Guerre Mondiale et à ceux qu'on appela les Justes, et qui, par de simples petits gestes, parfois au péril de leur propre vie, ont fait capituler l’ennemi et basculer l’Histoire.

Mais il a aussi une valeur universelle, à l'instar du Mémorial de Falaise, dédié depuis presque un an à tous les morts civils des guerres car il faut bien comprendre que si les militaires laissent leur nom au panthéon des héros, les populations civiles paient une très lourde contribution.

On se croirait dans une salle des pendus, et pour ceux qui comme moi ont visité une mine, l'émotion est furtive mais insidieuse, attisée par une lumière crue et bleutée de petit jour qui se lève à travers la brume, où de clair de lune angoissant.

La traditionnelle annonce d'extinction des portables est précédée d'un point sur le nombre faramineux de représentations du spectacle, déjà plus de 600, sur une très large zone géographique allant jusqu'à Nouméa. Malgré un spectacle un peu resserré en tournée par rapport à la création originale, on nous promet un artiste exceptionnel qui s'est emparé de très beaux portraits ressuscitant des actes de résistance qui ont tous été réels et que rien n'a été inventé.

Entendre de tels compliments me rend ultra exigeante d'autant que le sujet a été tant traité que j'ai le sentiment d'avoir tout vu, tout entendu. Ceci étant je pense aux générations plus jeunes et je concède qu'il est nécessaire de poursuivre le devoir (quel mot horrible pour quelque chose qui devrait être naturel et non une obligation) de mémoire, comme on dit.

La performance d'acteur est remarquable, c'est vrai. La justesse des témoignages est presque entière. Il y a de minuscules erreurs ou imprécisions mais sans conséquence au regard du thème. Je ne suis pas une acharnée de la vérité historique mais j'aurais préféré qu'on ne me l'a jure pas rigoureusement entière. Il est évident que le comédien ne joue pas exactement avec la même intensité chaque scène chaque soir. Il y a, et c'est heureux, une certaine élasticité dans l'interprétation.

On a compris que chacune des dix tenues qui sont accrochées aux cintres reprendront vie et seront le costume d'autant de héros. C'est peut être ce qui m'a dérangée, le fait que la soirée sera sans surprise, mais encore une fois sans doute parce que je connais très ( trop) bien le sujet.

François Bourcier commence avec une phrase apparemment banale : les allemands étaient chez moi. Un souvenir est immédiatement réveillé. Je me souviens de la gravité de la voix de Leonard Cohen, dont nous étions tous les groupies dans les années 70 et qui résonne dans ma mémoire, en anglais, comme une traduction simultanée des paroles que le comédien récite.

Il s'agit de la Complainte du partisan, une chanson écrite à Londres en 1943 par Emmanuel d'Astier de La Vigerie pour le texte et Anna Marly pour la musique et diffusée pour la première fois sur les ondes de la BBC à destination de la France occupée. Elle a été interprétée par de nombreux artistes comme Les Compagnons de la chanson, Leny Escudero, Mouloudji, Anna Prucnal, Cohen en 1969 puis Joan Baez, et je vous recommande d'écouter Partisan Dub feat Skalpel, la version très réussie que le groupe Dubamix en a faite en 2014.

La crainte exprimée à l'origine, On nous oubliera, nous rentrerons dans l'ombre, lance le spectacle qui se clôturera avec un autre chant patriotique, souvent confondu avec cette complainte, qui est le Chant des partisans.

Le bruit d'une fusillade est sans surprise, de même que les premières notes de l'indicatif de Radio Londres qui mettent fin à ce tableau introductif. Je ne suis pas sûre que les lycéens qui assistent au spectacle auront tout saisi mais ce sera le travail de leur enseignant que de faire une analyse après coup, avant de lancer le débat.

La 5ème Symphonie de Beethoven ponctuera régulièrement les changements de tableaux. François Bourcier, pieds nus, valise à la main, devient le personnage symbolique de toutes ces rafles qui ont fait trembler la France pendant plus de quatre ans.
On risquait sa vie pour tout. Il suffisait d'être surpris à crier Vive la France, vive de Gaulle pendant les actualités dans une salle de cinéma pour être envoyé en déportation. Il faut savoir que les allemands avaient changé la règle, exigeant que la salle reste éclairée de manière à pouvoir repérer les fauteurs de trouble.

Etre boîte aux lettres ( passer des informations entre les réseaux de résistants) a coûté la vie à beaucoup de personnes, surtout dans les villages qui se trouvaient de part et d'autre de la ligne de démarcation, coupant la France en deux, zone occupée au Nord, et France dite libre au sud. J'ai depuis eu la curiosité de regarder une carte et ai constaté que mes grands-parents ont suspendu leur exode à quelques kilomètres de cette frontière et ont donc vécu toute la guerre en zone occupée. Je comprends mieux aujourd'hui ce que ma mère a subi et chacun des spectacles autour de cette période apporte des indices supplémentaires sur les drames qui l'ont marquée et qui ont ressurgi à la fin de sa vie, hantée à jamais par tout un tas de précautions vitales qu'elle n'a jamais cessé de suivre. Elle ne supportait pas la vue des bottes, ni la couleur kaki d'un vêtement qui lui rappelait forcément des déploiements de soldats allemands.

Il y aura tout au long de la soirée de multiples exécutions sans sommation, et du sang répandu, mais on vivra aussi des moments de jubilation. Avec cet enfant demandant naïvement au policier exigeant qu'il lui montre ses papiers, oui mais lesquels ? Les vrais ou les faux ? Avec cet homme qui s'est ruiné en achat de sucre en poudre, qu'il versait la nuit dans les réservoirs à essence des ennemis. Moi j'avais pas de sucre à manger, mais eux plus de bagnoles.

Car le spectacle met en lumière les actes inscrits dans les livres d'histoire et menés par des hommes comme Charles Peguy, Pierre Brosolette ou Guy Môquet, sans les nommer, et c'est très bien parce qu'ils ne sont pas supérieurs aux anonymes qui ont simplement arraché leur étoile jaune ou tendu le bras en faisant le V de la victoire avec plusieurs mois d'avance.
Un prénom est parfois donné, parce que les grandes figures de la Résistance ne pouvaient pas être occultées mais elles s'infiltrent avec discrétion. On devine le Colonel Fabien derrière Pierre Georges le militant communiste, Honoré d'Éstienne d'Orves derrière le prénom d'Etienne et Jean Moulin à l'écharpe rouge. Il y a aussi L'alsacien Raymond, Olga la roumaine. Car le spectacle n'oublie pas les femmes.

On rit aussi en surprenant Hitler en clown au nez rouge ou en entendant l'accent de Benito (Mussolini). L'amusement est de courte durée. Je suis partout ! tel était le principal journal collaborationniste et antisémite français sous l'occupation nazie. Et l'évocation cette fois non masquée de la collaboration des Fernandel, Arletty, Sacha Guitry rappelle que la période fut troublée de bien des manières.
Le comédien fait le ménage en dansant. La chanteuse exprime sa peine : Tout se brise dans mon coeur lourd. Je suis seule ce soir avec mes rêves sans ton amour ... Oui la guerre est génératrice de groß malheur (grand malheur) pour tout le monde.

Le spectacle s'achève sur le Chant des partisans, entonnée par une voix féminine puisque c'est encore Anna Marly qui a écrit le texte d'origine (repris ensuite par Joseph Kessel). Mais rien n'est fini et le comédien donne rendez vous le 2 septembre 2017 ... sur les bancs de l'école. Ce sera le lundi 4 mais on ne lui en tiendra pas rigueur.
Très engagé, il confirme que son intention ne peut pas être de divertir (sans secouer les consciences) et de faire diversion. Résister c'est (encore) exister et la période que nous traversons y reste propice. Il nous laisse avec notre conscience en nous rappelant la promesse d'Aimé Césaire, dans Une Saison au Congo : Ma bouche sera la bouche des malheurs qui n'ont point de bouches. Ma voix la liberté de celles qui s'affaissent au cachot du désespoir.
J'aimerais terminer la chronique sur les paroles d'Honoré d'Estienne d'Orves dont on ne souligne pas assez l'humanité : N'ayez à cause de moi de haine pour personne, chacun a fait son devoir pour sa propre patrie. Apprenez au contraire à connaître et à comprendre mieux le caractère des peuples voisins de la France.

Et puis sur un petit conseil : en sortant de l'allée qui conduit au Studio Hébertot, pensez à tourner la tête sur la gauche pour voir se dresser la silhouette du Sacré Cœur.

Résister c'est exister est à recommander pour un large public, mais il faut l'accompagner d'une discussion à propos du "non" au fanatisme qui prend valeur de "oui" à l’honneur de vivre. C'est pourquoi chaque représentation scolaire est prolongée par un échange en "bord de scène", pour permettre aux élèves et professeurs de poser directement leurs questions au comédien, à propos du spectacle, ou du dossier pédagogique proposé en amont aux enseignants.
François Bourcier a suivi une formation à l’école de la Rue Blanche. Il s'est ensuite perfectionné avec Antoine Vitez,  Jacques Serres et Jean-Pierre Miquel. Lui-même enseignant , il est aussi metteur en scène de tous les spectacles de Sylvie Jolie, pour lesquels il sera nominés à deux reprises aux Molières, ainsi que Jean-claude Dreyfus dans Le Malade imaginaire. La comédie Française l’a accueilli comme acteur dans Le Voyage de Monsieur Périchon et Sertorius. Il ja monté et joué de nombreuses pièces dans divers théâtres. On l'a vu à la télévision notamment aux cotés de Richard Bohringer et de Véronique Gesnest dans Julie Lescaut.

Il a demandé à Alain Guyard, écrivain, auteur de pièces de théâtre, acteur de cinéma, et également philosophe, d'écrire le texte du spectacle. A l‘aide de témoignages authentiques, couvrant la période 1940-1945, transcrits avec finesse par l’auteur Alain Guyard, François Bourcier a créé un moment de théâtre vivant, parfois drôle, toujours poignant. Dans cette leçon d’histoire originale, le spectateur trouvera les clés pour comprendre la Résistance d'hier, d’aujourd’hui et de demain.

Résister c'est exister
Mise en scène et Scénographie d’Isabelle Starkier
Avec François Bourcier
Et les voix d’Eva Darlan, Evelyne Buyle, Daniel Mesguich, Yves Lecoq et Stéphane Freiss
Studio Hébertot,
78 bis Boulevard des Batignolles 75017 Paris
01.42.93.13.04

A partir de 11 ans
​Du mardi au samedi à 19h 00 - Le dimanche à 17h 00
Séances scolaires (14h 30) les 2 ,7, 9, 14 et 16 mars 2017

Les photos qui ne sont pas logotypées A bride abattue sont de Caroline Coste

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