Le Studio Hébertot est un (petit) théâtre dont la programmation est variée, embrassant tous les genres, y compris la poésie.
Le spectacle conçu par Jean-Baptiste Ponsot a le mérite de faire le lien entre plusieurs courants de pensée, en analysant diverses conceptions du monde.
La première est celle de Baudelaire (1821-1867), qui, puisque Dieu n'existerait pas, doit donc saisir l’absolu dans le réel, en s'efforçant de tirer l’éternel du transitoire. Jean-Baptiste Ponsot nous l'explique en termes clairs et ce qui est agréable c'est qu'il est aussi un formidable interprète. Il enchaine sans aucunement lire le texte sur un long extrait du Voyage, le dernier poème des Fleurs du Mal où il est question d' Etonnants voyageurs dont on sait que c'est le nom du festival international du livre et du film organisé annuellement à Saint-Malo depuis 1990.
Il a choisi la musique d'Exodus de Wojciech Kilar, qui était la bande originale du film de Terrence Malick, Knight of cups pour faire la transition entre chacun des cinq poètes qu'il a retenus et qui, selon son analyse, chantent chacun leur expression de l’absolu, de la chute à la célébration.
Par contre, là où le spectacle pèche un peu c'est en terme de mise en scène. Déplacer une chaise pour signifier un changement de scène, n'est pas, pour moi, un geste très signifiant. Signer la création, la mise en scène et l'interprétation a ses limites. S'adjoindre ce qu'on appelle "un regard extérieur" ferait gagner le spectacle en puissance. Mais il n'en demeure pas moins très intéressant.
Rimbaud suit chronologiquement Baudelaire. Il veut, à travers la poésie, rendre l’Homme à son état primitif de fils du soleil ! Il fait rêver le possible ... mais cet absolu est une fiction, un délire, un mensonge même. Ce que démontre Jean-Baptiste Ponsot dès que l'on reconnait les premiers vers du Bateau ivre : comme je descendais des fleuves impassibles ... Ce texte résume toute son épopée, de son exaltation initiale jusqu’à son pathétique réveil, lorsqu’il réalise que tout cela n’était qu’un rêve.
Victor Hugo, lui, sait que le monde est un rêve, nous dit-il en rapprochant les idées de l'un à la perception du précédent. Mais il fait de la poésie une arme pour mener le combat. Il n'aura de cesse de perfectionner ce qui est perfectible ; cultiver, raffiner, sublimer ; ouvrir le champ du possible à l’homme afin qu’il se passionne pour la vie et oublie sa condition tragique. "À l’Homme" expose parfaitement ce rapport contrasté d’Hugo avec le monde.
Nietzsche lui aussi sait que l'absolu est insaisissable. Par contre cette constatation n'entraine chez lui aucune mélancolie. Elle ne conduit pas au drame mais au contraire à la légèreté. Il y a de l'optimisme à dégager puisque si tout est un rêve, alors tout est possible !
Même si l'expression n'est pas de lui, elle résume son point de vue : deviens ce que tu es. Et le comédien nous donne un aperçu du Chant du Oui et de l’Amen.
Il termine avec Whitman (1819-1892), dont La chanson de moi-même célèbre les retrouvailles avec l’absolu : Je me célèbre moi-même, me chante moi-même, (...) Qui vous a dit que la victoire était bonne ? Moi je prétends que l’échec n’est pas moins bon, que les batailles se perdent comme elles se gagnent, du même cœur. (...) Bravo à ceux qui ont échoué ! (...) Et puis, dites-moi, c’est quoi un homme ? c’est quoi, moi ? quoi, vous ?
Jean-Baptiste Ponsot réussit à faire entendre la poésie en la dépoussiérant de son côté récital et désincarné. On serait bien resté l'écouter plus longtemps. Je suis sure qu'il passionnerait (aussi) un public de scolaires.
Le feu du poète, de la chute à la célébration
Textes de Charles Baudelaire, Arthur Rimbaud, Victor Hugo, Friedrich Nietzsche et Walt Whitman
Depuis le 9 Septembre 2017, les Samedis à 15h
Au Studio Hébertot - 78 bis boulevard des Batignolles - 75017 Paris
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