Beaucoup diront de ce livre qu'il est bouleversant. Ce n'est pas faux mais je retiens surtout la qualité des sentiments dans lesquels le récit baigne. On est dans la lignée de J'ai réussi à rester en vie, de Joyce Carol Oates, de ces récits très honnêtes qu'il me semble que seules des femmes américaines peuvent livrer ainsi, en osant faire figurer le mot "récit" sur la couverture alors que les auteures françaises introduiront davantage de recul en écrivant un "roman", tout en fictionnant certains épisodes.
N'y voyez pas un jugement de ma part, juste une explication pour pointer que nous sommes ici au-delà du témoignage, et du registre de l'autobiographie.
Raconter cette histoire aurait pu être pathétique. Pourtant non. L'auteure a, pendant dix-neuf mois de combat, soigné son mari, atteint d'un cancer du pancréas. Elle a dû mettre de coté l'écriture, faute de temps et de disponibilité d'esprit pour entreprendre un roman. Avec l'honnêteté qui la caractérise, elle s'ouvre à Jim de cette frustration. (p. 272)
Joyce Maynard avait déjà écrit son (une) autobiographie "Et devant moi le monde", qui fit l'objet d'une adaptation cinématographique par Jason Reitman, Long week-end. Le récit qu'elle entreprend cette fois est plus complet et plus intime.
Raconter cette histoire aurait pu être pathétique. Pourtant non. L'auteure a, pendant dix-neuf mois de combat, soigné son mari, atteint d'un cancer du pancréas. Elle a dû mettre de coté l'écriture, faute de temps et de disponibilité d'esprit pour entreprendre un roman. Avec l'honnêteté qui la caractérise, elle s'ouvre à Jim de cette frustration. (p. 272)
Tu n'écris pas en ce moment. Mais un jour tu raconteras cette histoire, lui dit-il.
L'éditeur français, Philippe Rey, a eu l'excellente idée de retenir ce verbatim pour intituler la version française de The Best ou Us. C'était Jim qui avait soufflé l'idée à sa femme, ou soutiré la promesse. Tout le livre, commencé alors que son corps vient juste de passer de vie à trépas (p. 416) est une façon de prolonger son existence. Si Joyce commence -physiquement s'entend- à écrire leur histoire, elle avait depuis longtemps collationné du matériau car elle prenait des notes sur tout tout le temps.
Joyce Maynard livre ses confidences sans concession. Elle se met à nu, avec une sincérité qui provoque la compassion. Je rends publique cette histoire avec l'espoir que elle aidera ceux qui empruntent une partie du chemin que j'ai connu et ceux qui ont la chance de ne pas l'avoir pris, dans l'espoir que notre expérience inspire la leur. (p.428)
Le livre ne commence pas avec le cancer mais par la rencontre avec Jim qui apporte presque aussitôt à Joyce une sérénité qui lui manquait cruellement. Elle relate ses multiples déménagements, son désir de s'installer dans une maison (ou un cabanon) où elle se sentirait bien ... Elle remonte le cours de sa propre histoire, sans l'enjoliver. Elle ne s'épargne pas. Rien ne l'obligeait à publier les tracas de l'adoption de ses deux filles éthiopiennes. Et pourtant ces confidences là sont nécessaires pour mesure l'ampleur (légitime) de sa perte de confiance en elle au moment où sa route croise celle de son futur compagnon.
Néanmoins le prologue résume et installe les choses. Le lecteur ne vivra donc aucun suspense. Et pourtant si, ... celui de la montée en puissance du sentiment amoureux car il fallut l'annonce de la maladie, suivie de la terrible bataille qu'ils ont menée ensemble, pour que Joyce perçoive ce que signifie former un couple : J'ai découvert ce qu'était l'amour quand le mien quittait le monde.
On comprend au fil des pages ce que c'est qu'être ivre d'amour. L'intensité des sentiments les amènent à reconsidérer leur parcours de vie. Un instant Jim envisage d'abandonner son métier d'avocat pour la photo. Elle ferait pousser des légumes et écrirait. (p. 112) Ils s'installeraient sans la maison que Joyce possède au Guatemala, pays supposément dangereux (à l'instar du Mexique) et où elle se sent pourtant plus en sécurité que dans leur maison de San Francisco découverte cambriolée à leur retour du Guatemala.
Progressivement une sorte d'équilibre s'établit entre eux, chacun ayant une influence positive sur l'autre. La vie est joyeuse. Je n'étais jamais à court d'idées. Son don caché- moins évident- consistait à être mon supporter et mon acolyte infatigable quelle que soit l'aventure que je proposais. Je parlais d'un projet. Il y adhérait et s'y cramponnait. (p.133)
Jim aura toujours été prêt à soutenir ses ambitieux projets. Acheter et vendre des maisons fut parfois un numéro d'équilibriste. Elle reconnait que vivre avec elle consistait à tenir " un tigre par la queue".
Le livre est scindé en deux parties : l'avant (jusqu'à la page 157). Et puis l'après. Le verdict de la tumeur au pancréas tombe sans délai. Même si elle exprime la difficulté à décrire le moment où l'univers s'effondre (p.162) c'est bien ce qu'elle partage avec nous. Ce qui lui arrivait m'arrivait aussi. Le diagnostic ne touchait pas Jim seulement, mais moi aussi. Très souvent elle relatera les faits à la première personne du pluriel comme s'il s'agissait de notre traitement, notre cancer, notre survie.
Le pronostic est très pessimiste puisque la rémission est de 20% à cinq ans après chirurgie (en réalité elle ne le sait pas mais il n'est que de 5%). Tout ce que Joyce imagine pour gober la nouvelle c'est de relire les vœux reçus à leur mariage.
Elle récapitule les désastres des années passées, et ils sont nombreux. Pourtant elle conclue que tous sont des chagrins mineurs comparés à celui qui la dévore maintenant (p.166).
Joyce raconte les visites, contre visites, sa quête insatiable d'informations. De toute évidence elle devint aussi spécialiste que les spécialistes. Elle googlelise, collationne, interroge, téléphone, se déplace, ingurgite des notes scientifiques. À qui se vouer ?
Comment savoir ce qu'il faut faire ? Nous ne sommes pas médecins et même les médecins ne savent pas vraiment. Il y a de quoi devenir fou si on pense à tout ce qu'on pourrait faire, ou à ce qu'on fait en se trompant peut-être complètement. (...) Et si le cancer était simplement si meurtrier que la personne aimée allait mourir de toute façon ? (p. 202)
Finalement et après des volte-face ils choisissent de faire confiance à un chirurgien, peu sympathique mais semblant avoir eu de bons résultats. Avec une ironie douce-amère Joyce donne une nouvelle définition de ce que peut être une bonne nouvelle (p. 211) subir une opération qui modifie radicalement la configuration du système digestif et entraîne de graves difficultés de digestion jusqu'à la fin de sa vie mais qui sous-entendu prolonge cette durée de vie.
Nous en étions là. Dissimuler à quel point il se sentait mal pour obtenir un médicament qui le rendrait dix fois plus malade. Faire bonne figure devant son médecin. (p. 334)
Joyce analyse après coup les évènement en y voyant des signes. Le rat qui s'installe chez eux et dont ils ne parviennent pas à se débarrasser serait le présage de ce qui les attend (p. 151). Elle reconnaît avec honnêteté avoir fait preuve de pensée magique. Ils voulaient le meilleur hôpital et le meilleur chirurgien. Tant pis s'il fallait faire cinq mille kilomètres pour y accéder alors que deux hôpitaux de classe internationale se trouvaient à moins d'une heure de chez eux. Plus l'effort à accomplir était grand et onéreux plus la chance de survie pouvait être proportionnelle.
Évidemment Joyce a du mal à travailler au manuscrit de son roman. Elle s'en plaint à son mari parce qu'elle partage tout avec lui. Mais elle ne cherche jamais à éviter quoi que ce soit : c'est ma vie et je ne veux pas en perdre une minute (p. 270). Du coup elle est intensément auprès de lui, combattante de tous les instants.
Elle partage aussi sur Facebook et cela lui fait du bien. Tout le monde n'approuvait pas sa manière de tout dire mais cette honnêteté sera fondamentale pour elle jusqu'au bout. Dire la vérité sur ce qui vous arrive permet peut être de mieux accepter cette vérité.
Si seulement on pouvait tirer les leçons du cancer sans avoir de cancer. (p. 339)
Toujours est-il qu'elle qui avait toujours une (bonne) idée fut à court dans les derniers jours. Le chagrin et la peine bien que terribles, avaient servi de professeurs. Nous avions subi un incendie, tous les deux, et j'aurais tout donné pour l'éviter, mais nous en étions sortis comme deux récipients noircis par la forge. (...) Il ne nous restait que nos deux cœurs battants et notre tendre confiance l'un pour l'autre. (p. 409)
Je ne dirais pas que l'auteur fait preuve d'humour mais ça y ressemble souvent. Elle parvient à mettre à distance. On la sent patiente malgré l'énergie folle qu'elle développe à explorer la moindre piste, en terme de soins ou de traitement pour sauver son Eagle Scout de mari, dont elle loue à juste titre le grand courage. On vit avec eux plusieurs épisodes intenses, une soirée entre amis, un concert de rock ... on boit un verre de Chardonnay et on déguste une de ses spécialités culinaires, car c'est une grande gourmande.
Elle aborde avec délicatesse le temps du lâcher-prise, quand il faut savoir reconnaître le moment de capituler. Jim aurait pu réagir très mal à ce renoncement à une énième chimio (qui ne pouvait plus entretenir d'espoir de guérison car son cancer était de stade 4) mais si l'amour ne fait pas des miracles, il permet beaucoup. Et Jim oublie sans cesse qu'il va mourir ... ou fait semblant. Comment supporter un présent si lourd sans projeter un minimum d'avenir ?
Dans la postface elle raconte, comme Joyce Carol Oates, la frénésie de ménage qui la prenait la nuit. On passe tous par là. Que donner, jeter, conserver .... sans devenir, comme elle l'écrit avec des mots justes, la gardienne du musée de Jim (p. 419). Et puis continuer à vivre ... et à écrire.
Après avoir refermé le livre je me suis documentée sur l'auteur et je suis tombée sur quelques reportages et photos de son mariage. J'ai mesuré combien le récit était fidèle à la réalité. Je n'en doutais pas mais la confirmation est patente. Je vous recommande de visiter le site de cette femme pour qui écrire vrai est essentiel.
Un jour tu raconteras cette histoire de Joyce Maynard, traduit de l'anglais (États-Unis) par Florence Lévy-Paoloni, éditions Philippe Rey, en librairie depuis le 7 septembre
On comprend au fil des pages ce que c'est qu'être ivre d'amour. L'intensité des sentiments les amènent à reconsidérer leur parcours de vie. Un instant Jim envisage d'abandonner son métier d'avocat pour la photo. Elle ferait pousser des légumes et écrirait. (p. 112) Ils s'installeraient sans la maison que Joyce possède au Guatemala, pays supposément dangereux (à l'instar du Mexique) et où elle se sent pourtant plus en sécurité que dans leur maison de San Francisco découverte cambriolée à leur retour du Guatemala.
Progressivement une sorte d'équilibre s'établit entre eux, chacun ayant une influence positive sur l'autre. La vie est joyeuse. Je n'étais jamais à court d'idées. Son don caché- moins évident- consistait à être mon supporter et mon acolyte infatigable quelle que soit l'aventure que je proposais. Je parlais d'un projet. Il y adhérait et s'y cramponnait. (p.133)
Jim aura toujours été prêt à soutenir ses ambitieux projets. Acheter et vendre des maisons fut parfois un numéro d'équilibriste. Elle reconnait que vivre avec elle consistait à tenir " un tigre par la queue".
Le livre est scindé en deux parties : l'avant (jusqu'à la page 157). Et puis l'après. Le verdict de la tumeur au pancréas tombe sans délai. Même si elle exprime la difficulté à décrire le moment où l'univers s'effondre (p.162) c'est bien ce qu'elle partage avec nous. Ce qui lui arrivait m'arrivait aussi. Le diagnostic ne touchait pas Jim seulement, mais moi aussi. Très souvent elle relatera les faits à la première personne du pluriel comme s'il s'agissait de notre traitement, notre cancer, notre survie.
Le pronostic est très pessimiste puisque la rémission est de 20% à cinq ans après chirurgie (en réalité elle ne le sait pas mais il n'est que de 5%). Tout ce que Joyce imagine pour gober la nouvelle c'est de relire les vœux reçus à leur mariage.
Elle récapitule les désastres des années passées, et ils sont nombreux. Pourtant elle conclue que tous sont des chagrins mineurs comparés à celui qui la dévore maintenant (p.166).
Joyce raconte les visites, contre visites, sa quête insatiable d'informations. De toute évidence elle devint aussi spécialiste que les spécialistes. Elle googlelise, collationne, interroge, téléphone, se déplace, ingurgite des notes scientifiques. À qui se vouer ?
Comment savoir ce qu'il faut faire ? Nous ne sommes pas médecins et même les médecins ne savent pas vraiment. Il y a de quoi devenir fou si on pense à tout ce qu'on pourrait faire, ou à ce qu'on fait en se trompant peut-être complètement. (...) Et si le cancer était simplement si meurtrier que la personne aimée allait mourir de toute façon ? (p. 202)
Finalement et après des volte-face ils choisissent de faire confiance à un chirurgien, peu sympathique mais semblant avoir eu de bons résultats. Avec une ironie douce-amère Joyce donne une nouvelle définition de ce que peut être une bonne nouvelle (p. 211) subir une opération qui modifie radicalement la configuration du système digestif et entraîne de graves difficultés de digestion jusqu'à la fin de sa vie mais qui sous-entendu prolonge cette durée de vie.
Nous en étions là. Dissimuler à quel point il se sentait mal pour obtenir un médicament qui le rendrait dix fois plus malade. Faire bonne figure devant son médecin. (p. 334)
Joyce analyse après coup les évènement en y voyant des signes. Le rat qui s'installe chez eux et dont ils ne parviennent pas à se débarrasser serait le présage de ce qui les attend (p. 151). Elle reconnaît avec honnêteté avoir fait preuve de pensée magique. Ils voulaient le meilleur hôpital et le meilleur chirurgien. Tant pis s'il fallait faire cinq mille kilomètres pour y accéder alors que deux hôpitaux de classe internationale se trouvaient à moins d'une heure de chez eux. Plus l'effort à accomplir était grand et onéreux plus la chance de survie pouvait être proportionnelle.
Évidemment Joyce a du mal à travailler au manuscrit de son roman. Elle s'en plaint à son mari parce qu'elle partage tout avec lui. Mais elle ne cherche jamais à éviter quoi que ce soit : c'est ma vie et je ne veux pas en perdre une minute (p. 270). Du coup elle est intensément auprès de lui, combattante de tous les instants.
Elle partage aussi sur Facebook et cela lui fait du bien. Tout le monde n'approuvait pas sa manière de tout dire mais cette honnêteté sera fondamentale pour elle jusqu'au bout. Dire la vérité sur ce qui vous arrive permet peut être de mieux accepter cette vérité.
Si seulement on pouvait tirer les leçons du cancer sans avoir de cancer. (p. 339)
Toujours est-il qu'elle qui avait toujours une (bonne) idée fut à court dans les derniers jours. Le chagrin et la peine bien que terribles, avaient servi de professeurs. Nous avions subi un incendie, tous les deux, et j'aurais tout donné pour l'éviter, mais nous en étions sortis comme deux récipients noircis par la forge. (...) Il ne nous restait que nos deux cœurs battants et notre tendre confiance l'un pour l'autre. (p. 409)
Je ne dirais pas que l'auteur fait preuve d'humour mais ça y ressemble souvent. Elle parvient à mettre à distance. On la sent patiente malgré l'énergie folle qu'elle développe à explorer la moindre piste, en terme de soins ou de traitement pour sauver son Eagle Scout de mari, dont elle loue à juste titre le grand courage. On vit avec eux plusieurs épisodes intenses, une soirée entre amis, un concert de rock ... on boit un verre de Chardonnay et on déguste une de ses spécialités culinaires, car c'est une grande gourmande.
Elle aborde avec délicatesse le temps du lâcher-prise, quand il faut savoir reconnaître le moment de capituler. Jim aurait pu réagir très mal à ce renoncement à une énième chimio (qui ne pouvait plus entretenir d'espoir de guérison car son cancer était de stade 4) mais si l'amour ne fait pas des miracles, il permet beaucoup. Et Jim oublie sans cesse qu'il va mourir ... ou fait semblant. Comment supporter un présent si lourd sans projeter un minimum d'avenir ?
Dans la postface elle raconte, comme Joyce Carol Oates, la frénésie de ménage qui la prenait la nuit. On passe tous par là. Que donner, jeter, conserver .... sans devenir, comme elle l'écrit avec des mots justes, la gardienne du musée de Jim (p. 419). Et puis continuer à vivre ... et à écrire.
Après avoir refermé le livre je me suis documentée sur l'auteur et je suis tombée sur quelques reportages et photos de son mariage. J'ai mesuré combien le récit était fidèle à la réalité. Je n'en doutais pas mais la confirmation est patente. Je vous recommande de visiter le site de cette femme pour qui écrire vrai est essentiel.
Un jour tu raconteras cette histoire de Joyce Maynard, traduit de l'anglais (États-Unis) par Florence Lévy-Paoloni, éditions Philippe Rey, en librairie depuis le 7 septembre
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