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jeudi 14 septembre 2017

Cet autre amour de Dominique Dyens


Ce que j'apprécie depuis mon retour en France c'est de recommencer à pouvoir lire en tenant l'objet livre entre mes mains.

Et surtout quand c'est un régal comme Cet autre amour de Dominique Dyens dont j'ai commencé la lecture alors que personne n'en parlait.

Je n'avais même pas lu la quatrième de couverture et du coup j'ignorais tout de la personne qui pouvait être cet "autre" amour et en quoi consistait cette double vie qui est annoncée p.12.

Une fois que tout le monde saura il n'y aura plus de suspense et même s'il n'est pas indispensable de le maintenir il me semble que cela présente un intérêt.

Ce qui m'a plu, outre le développement de ce sentiment, sa raison d'être (je dirais même sa légitimité), c'est aussi la capacité que Dominique Dyens a eu d'enfin accepter d'avancer sur le registre de l'autobiographie tout en maintenir un vrai travail d'auteur.

Ce n'est d'ailleurs pas un récit qu'elle nous offre mais bien un roman. Et il commence comme tel. Enfin, c'est anecdotique, mais je suis toujours émue lorsque des lieux que je connais bien sont mentionnés dans un livre. Je me suis si souvent rendue dans cet immeuble de dix-huit étages à la façade d'aluminium et de verre construit en 1966 au-dessus de la Gare Montparnasse, rue du Commandant Mouchotte (p.91) que je m'interroge sur la probabilité que nous avions de nous y croiser. Nous aurions pu tout autant nous rencontrer dans la résidence universitaire d'Antony (p. 105), aujourd'hui réhabilitée et toute de rouge flamboyante.

L'amour que je ressens pour vous ne remet cependant pas en question celui que j'éprouve pour M. Je sais qui j'aime, qui est ma famille, mon homme. Les fondations de notre couple ne sont donc pas ébranlées, même s'il leur arrive certains jours de vaciller. (p. 82)

Vous est en italiques dans le livre. On comprend que c'est lui "cet autre amour", expression qui apparaît page suivante, p.83. Le transfert a commencé à opérer et l'auteure est bouleversée, très inquiète, le mot est faible. Elle va lutter pendant longtemps jusqu'à comprendre que cette forme d'amour est une condition nécessaire au travail analytique. Et alors ne plus le réfuter.

Mais avant cela et peut être dans l'esprit de rationaliser pour se rassurer Dominique Dyens listera (p.  153 dans un chapitre annonçant La quatrième dimension affective) plusieurs formes d'amour. L'amour amoureux qu'on porte à une homme ou une femme à qui on fait l'amour. Celui, total, absolu, indéfectible, que l'on porte à ses enfants. L'amour pour ses parents, parfois commué en haine. Le transfert est comparable à une quatrième dimension, un truc sidérant (le mot figure en italiques) à tel point qu'en le découvrant elle pressent qu'il lui sera impossible de ne pas rendre compte dans le futur de son expérience et du cataclysme que cet autre amour avait provoqué en elle. Surtout après avoir recueilli les confidences d'une personne souffrant d'éprouver le transfert, sur lequel elle ne met pas de nom.

J'ai voulu témoigner, dit-elle, pour toutes celles et ceux qui, tombés brutalement en amour, ont rêvé si fort d'être pris dans les bras de leur psychanalyste, comme les enfants qu'ils ne sont plus.

Connaissant ce qu'était le transfert (et le contre-transfert qui est son corollaire) je n'ai pas partagé ses émotions de la même manière que si je découvrais le phénomène. Pourtant ce livre m'a beaucoup intéressé parce qu'il décrit cette situation de manière authentique et néanmoins distanciée par l'écriture.

Et surtout parce qu'elle interroge la place de l'écriture dans sa vie tout autan que celle qu'elle peut tenir dans le milieu littéraire : d'où me vient cette impression de n'avoir aucune légitimité ? Ni à écrire ni à être publiée ?  Et encore : quelle légitimité ai-je à me faire du bien, à faire ce qui me plait (p. 89).

Dans un bref chapitre intitulé L'écriture dans ma vie (p. 149) elle partage son inquiétude et confie combien la poursuite d'une psychanalyse ne s'accorde pas avec l'exercice de l'écriture, en tout cas comme écrivain, puisqu'on a vu auparavant qu'elle remplit des pages et des pages après chaque séance. Quand elle s'y remet elle ignore encore que ce sera impossible de mener les deux de front (p.151) deux vies bien distinctes, une vie personnelle et une vie d'écrivain, et que jamais l'une n'interférera sur l'autre si tel n'est pas mon désir.

L'interférence est à son comble et justifiera le roman. La corrélation étroite entre écrivains et psychanalyse la fascine. Un article publié dans le numéro 544 de Magazine littéraire relate, dans le dossier Fictions de la psychanalyse, l'expérience de Georges Perec et Dominique Dyens découvre l'universalité de l'expérience intime. De ses quatre ans d'analyse il a tiré un texte bref, les lieux d'une ruse. Elle aussi pourrait ... écrire en sortant de la fiction. Elle qui est persuadée à ce moment là ne savoir écrire que cela.

Si elle admet (p. 175) que sa personnalité transparaît dans ses livres, et s'inspirer de certains lieux, pour le reste, personnages scénario ne sont (seraient) que pur produit de son imaginaire, sans la transposition d'aucun élément de sa vie. Sa certitude amuse son analyste qui ne doute pas de sincérité, pas plus qu'il ne doute de son art. Elle découvrira, à la faveur d'une réédition, qu'effectivement sa rage d'écrire se fonde sur un événement traumatique bel et bien vécu dans l'enfance et qui a servi de combustible à l'écriture de La femme éclaboussée.

Elle comprendra du même coup combien ses mots lui ont servi d'arme. Et par voie de conséquence elle mesurera désormais (p. 219) le rôle puissamment cathartique de l'écriture intime.

L'auteure relate une expérience très positive, quoique parfois difficile. Tout le monde n'a pas la chance d'entreprendre un travail avec un psychanalyste qui puisse à ce point accompagner l'analysant avec intelligence et bienveillance dans ce voyage. (p. 148) On comprend que l'auteure puisse avoir une telel confiance en cette science.

Cet autre amour de Dominique Dyens, Robert Laffont, en librairie depuis le 17 août 2017

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