J'ai rencontré Carlotta Clerici pendant le festival d'Avignon, à l'occasion de ma venue au théâtre des Lucioles pour voir Ce qu'il reste d'un amour, un spectacle dont elle assurait la mise en scène et dont elle avait écrit le texte.
J'ai beaucoup aimé son travail et la découverte de son premier roman Éloge de la passion est vite devenu une évidence.
Elle écrit parfaitement le français, avec peut-être une sensibilité italienne. Du coup, elle réussit admirablement à faire ressentir l’absurdité autant que la nécessité de la passion.
Est-elle une maladie ? Un rêve ? Un fantasme ? N'y-a-t-il passion que dans le partage ? Serait-elle comparable à la baïne, ce courant marin invisible à première vue, qui surprend le nageur et le tire inexorablement vers le large ?
Un oeil attentif relève que le titre n'est pas Eloge d'une passion. L'emploi de l'article défini singulier "la" désigne le concept dans son ensemble, et pas seulement la relation qui a pu se nouer entre Mathilde et son amant.
Ainsi, l'auteure affiche l'ambition de décrire au lecteur la passion en général, du moins d'en tirer toutes les caractéristiques. Et c'est très juste. Qui n'a pas guetté les tling tling annonciateurs d'un message téléphonique qui sonnent comme bang bang, celui-là même de la chanson de Sheila ?
De courts chapitres apportent chacun sa pierre à l’édifice, au mémorial d'un amour promis à une fin peut-être tragique. Toute personne "raisonnable" connait les risques. L'auteure nous dépeint une héroïne qui ne les minimise pas.
Son mari lui reproche de tout foutre en l’air pour une amourette (p. 76) et nous sommes proches de lui donner raison. Mais il suffit que Mathilde dresse la liste de tout ce qui composait l’essentiel de leur vie depuis dix ans de couple parfait, idéal pour que notre point de vue bascule. J'ai été saisie par l'absence de fausse note. Chacun de nous aimerait connaître cela …
Tout en nous racontant une histoire singulière, Carlotta Clerici touche à l'universel. L'anecdote de la veste échangée (p. 92) est hautement symbolique. Mathilde reconnait d'abord qu'elle s’était adaptée à vivre avec une veste qui n’était pas la sienne, mais qui lui ressemblait. Et très vite, elle ajoute : Il ne faut jamais se contenter. Jamais. La vie est trop éphémère pour se contenter.
C'est pourtant en quelque sorte ce qu’elle fera quand elle ne luttera plus pour reconquérir son amour perdu. Les scènes, elle se les fera à elle seule.
Mathilde est touchante parce qu'elle n'ignorait rien des souffrances possibles. Il faut se méfier de la passion car elle ne dure pas (p. 98). Elle prétend d'ailleurs avoir choisi son mari exactement pour s’en prémunir : "je l’ai intégré à tel point que j’ai épousé un homme pour qui je n’en ai jamais éprouvé. Pour que ça marche. (…) pas d’incendie pour ne jamais regretter le feu."
Mais la passion est si forte que rien ni personne ne lui résiste.
Carlotta a donc bien raison d'en faire l'éloge.
Je n'ai qu'un minime reproche à lui faire. Il fallut parfois que je me concentre pour distinguer les trois femmes dont les prénoms sont phonétiquement et visuellement proches : Mathilde, Magali et Nathalie.
Et j'ai une forte et double attente, celle de son prochain roman et de sa prochaine mise en scène.
Eloge de la passion de Carlotta Clerici chez Denoël, 2017
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