Après avoir partagé la recette des pralines d'Anissa, je reviens à la rentrée littéraire avec un ouvrage qui reste dans la même thématique.
J'ai savouré pleinement Le goûter du Lion d’Ito Ogawa aux Editions Picquier. J’étais loin de me douter, en achetant des cannelés avant de l'ouvrir, combien je serais en phase avec la douce philosophie de ce roman. Double régal en l'occurrence !
Je connaissais de cette auteure Le restaurant de l'amour retrouvé, et je retrouve avec plaisir sa manière bien à elle d'inscrire le récit avec un certain surréalisme dans l'univers du conte, et bien sûr aussi celui de la cuisine.
Publié au Japon en 2019, ce nouveau roman paraîtra en France le 25 août 2022. Il est très attendu après le succès de La Papeterie Tsubaki et sa suite La République du bonheur.
La couverture est fidèle à la version japonaise. Signée par Mari Kuno, elle évoquerait presque la littérature jeunesse. Mais il ne faudrait pas se laisser influencer. Le livre d'Ito Ogawa est un monument de philosophie, au moment où on commence à entendre les volontés politiques de reprendre le débat sur la fin de vie, et l'encadrer.
L'histoire se situe sur l’île aux citrons, dans la mer intérieure du Japon, qu’il faut gagner en bateau pour rejoindre la Maison du Lion, ce lieu de paix où Shizuku a choisi de venir pour vivre pleinement ses derniers jours en attendant la mort.Avec elle, nous ferons la connaissance des pensionnaires – ses camarades, ses alliés et pour tout dire, sa nouvelle famille – ainsi que de la chienne Rokka qui s’attache à elle pour son plus grand bonheur. En leur compagnie, et sous la houlette de l'extraordinaire infirmière Madonna, il y aura aussi les goûters du dimanche où grandit peu à peu son amour de la vie quand on la savoure en même temps qu’un dessert d’enfance, une vie qui aurait le goût du douhua de Takeo, de la tarte aux pommes de Momo, des mochis -pivoines de Shima, … ou des cannelés de Patron (dont l'auteure nos raconte l'origine p. 107).
Le roman est une oeuvre d'une délicatesse infinie. Je ne prétendrais pas que la fin n'est pas triste. Mais la manière qu'a le personnage principal d'exprimer sa gratitude à l'égard de ce que la vie lui a apporté, comme envers les personnes qu'elle rencontre au bout du chemin est d'une rare beauté. Elle exprime chaque pensée avec élégance : vivre c’est être la lumière de quelqu’un d’autre (p. 252).
Le ton est réaliste, toujours juste. Par exemple le bonheur, c’était de couler des jours ordinaires, à se plaindre juste un peu, sans se rendre compte que l’on était heureux (p. 7).
J'ai lu de jolis mots sur le travail de la vigne (p. 82). Comme Shizuku, j'apprends que la vie d’une banane a autant de valeur que ma propre vie (p. 168). Il ne serait donc pas exagéré de dire que le propos est en quelque sorte écologique, à tout le moins humaniste. Chaque personnage résident dans la Maison du lion est différent, mais attachant à sa manière.
J'ignore la saveur de beaucoup de plats, de boissons et de desserts qui sont cités. Je n'ai aucune idée du goût d'un bol d'Okayu aux haricots rouges (p. 43), pas plus que du thé de Kombu. Mais la description de leurs bienfaits suffit à me combler.
Il est probable que j'ai été influencée au-delà de ce que j'imagine et que l'envie de préparer un condiment proche des prunes salées si populaires au Japon m'a motivée à me lancer dans les préparation de prunelles facto-fermentées dont je vous donnerai bientôt la recette.
Quant au dessert préféré de Shizuku, le mille-crêpes, il existe en Europe et on voit très bien à quoi il ressemble.
On croit volontiers Ito Ogawa quand elle écrit que le goût des repas résonnait dans l’âme (p. 46) à La Maison du Lion où ils étaient d’un genre différent et où le menu changeait tous les jours.
Manger, dormir, lire et marcher deviennent des activités hautement ritualisées et d'une importance capitale pour accepter la perte de moyens qui n’est pas occultée, mais dite en mots simples. Le récit est grave mais toujours pudique. Alors si la vie ne se passe pas toujours comme prévu (ou souhaité) on est tenté de vouloir la finir comme l'entreprend l'héroïne.
Va-t-elle trop loin en prétendant (p. 160) que mourir pourrait être orgasmique ? J'ai beaucoup apprécié l'absence de langue de bois malgré une certaine naïveté dans les propos. La question récurrente à propos de ce qu’on devient après la mort interroge chacun d'entre nous.
Le résultat est un roman mélancolique mais qui n'est pas si triste qu’il en a l’air. C'est une histoire de cuisine, de partage et d’espoir d'une beauté envoutante. Il ne faudrait surtout pas craindre de l'ouvrir ni de l'offrir.
Le Goûter du Lion de Ito Ogawa, traduit du japonais par Déborah Pierret-Watanabe, éditions Picquier, août 2022
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