Crédit illimité est annoncé comme "premier roman de pure fiction" (on est soulagé de le savoir une fois qu’on l’a lu) de Nicolas Rey, entre polar et comédie de mœurs : délicieusement immoral !
Fils déchu totalement ruiné à l’approche de la cinquantaine, Diego Lambert n’a qu’une seule issue, demander de l’aide à son père, directeur d’une multinationale de céréales. Celui-ci, maitre en manipulation, lui propose 50.000 € s’il accepte de remplacer sa DRH, en arrêt maladie le temps de la restructuration de l’entreprise, et d’effectuer son plan social. Diego accepte et prend les choses en main, mais pas exactement comme son père l’aurait souhaité
On devine le père et le fils sur la couverture. Le combat sera sans merci, brossé de chapitre en chapitre, courts, suffisamment longs en fait parce que la plume est incisive, facile à lire, l’écriture cinématographique, dans la double veine du roman social et du thriller.
La description du personnage du père n’attire aucune empathie bien que l’homme, leader incontesté, PDG reconnu, affichant les meilleurs bilans, estimé par les actionnaires et les salariés (…) inspirait à ses proches une confiance hors du commun" (p. 22). Celle de la société, dont le bénéfice reposait sur l’intoxication de la terre (ce n’est pas nouveau), ne fait pas davantage pitié. On se réjouit même que des lois aient (enfin) été prises pour encadrer les OGM et que les écologistes se manifestent.
On se demande comment le fils du boss va pouvoir se tirer d'affaire "dans le rôle de la pire des putes : celui de liquidateur, au poste de pseudo-DRH, en fait chef du personnel, faisait de moi l’affreux capitaliste qui allait devoir se séparer de quinze salariés. (p. 23)"
Réussira-t-il sa mission ? On peut deviner qu'il boira à notre santé en suivant le principe de Churchill, toujours prêt à déboucher une bouteille de champagne, nécessaire en cas de défaite, indispensable en cas de victoire (p. 33).
L'auteur est ironique envers lui comme envers les autres. C’est du Nicolas Rey pur jus. Il n'y a sans doute pas grand chose d’autobiographique dans ce roman -et c'est notre souhait-si ce ne sont "la barbe de trois jours et des cheveux hirsutes" (p. 23), ses "cinquante ans qui se pointent à toute vitesse (p. 162 "quand atteindre un sixième étage sans ascenseur relève de l’exploit ")
On retrouve avec grand plaisir l'humour qu’on aime chez lui. Par exemple, toujours p. 162 : je prends largement conscience que les cinquante années qui vont suivre (il est optimiste mais passons, souhaitons lui d’être au moins centenaire comme Micheline Presle) vont être largement moins marrantes que les cinquante années précédentes. La mort est un truc franchement détestable. Elle existe depuis la nuit des temps. La partie se termine toujours de la même façon et on ne voit personne se révolter contre çà.
Il nous distrait avec cette histoire assez rocambolesque mais il aborde aussi des thèmes qui sont de plus en plus prégnants dans les actualités, en particulier celui de la misère sociale : on commence par compter ses sous, et c’est déjà trop tard. On descend les marches les unes après les autres. Ensuite, on dégringole (p. 12).
Il me semble qu'il est de plus en plus le fil conducteur de la rentrée littéraire. On le retrouve nettement dans Les corps solides de Joseph Incardona.
Mais lavée dans l'encre de Nicolas Rey, la réalité devient supportable, et même joyeuse.
Nicolas Rey a déjà publié dix romans au Diable Vauvert dont Mémoire courte (Prix de Flore 2000), et avec Emma Lucchini le scénario La Femme de Rio, César du court-métrage 2015. Longtemps chroniqueur sur France Inter, il a créé en 2015 avec Mathieu Saïkaly le duo les Garçons Manqués qui s’est produit dans toute la France.
Crédit illimité de Nicolas Rey au Diable Vauvert, en librairie le 25 août 2022
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