Eté après été se savoure sur le sable, avec le déferlement des rouleaux en bruit de fond.
Cette "vraie fiction" m’a rafraîchie après les ouvrages qui ont suscité beaucoup de questionnements. Comme le passionnant Ce que nous désirons le plus de Caroline Laurent (chez le même éditeur) que je me réjouis de rencontrer à la fin du mois, et que donc je ne chroniquerai pas avant.
Les 500 pages de ont de quoi effrayer. Elles ont glissé aussi vite qu’une des meilleures séries de Netflix.
Elin Hildenbrand écrit dans la veine de Sur la route de Madison un récit d’un romantisme doux-amer qui traverse plus d’un quart de siècle avec légèreté.
Ce roman a les qualités idéales pour accompagner les après-midis de plage comme les fraîches soirées. Il mettra en appétit même les moins gourmands d'entre nous avec les intitulés des plats que les amoureux dégustent. L'auteure avoue d'ailleurs avoir trouvé l'inspiration auprès de Sarah Leah Chase qui est, avec son livre Open-House Cookbook sa boussole culinaire (p. 498).
L'histoire commence en dévoilant l'issue finale, fatale, avec la mort de Mallory Blessing au printemps 2020. Link découvre alors que la dernière volonté de sa mère est d'inviter Jake McCloud aux obsèques. Il connait cette personne de nom en raison de sa célébrité mais il ignore que sa mère avait entretenu une relation fusionnelle avec lui. Il ne comprend donc pas pourquoi sa présence est indispensable.
Ensuite tout nous sera raconté en suivant la chronologie à partir de l'été 1993. Mallory vient d’hériter d'une tante une petite maison sur l’île de Nantucket, à une centaine de kilomètres au sud-est de Boston, au motif qu’elle trouvait l’endroit magique (p. 29). Elle y reçoit les amis de son frère pour son enterrement de vie de garçon, dont un certain Jake McCloud. Entre eux, le coup de foudre est immédiat. Ils passent un week-end inoubliable, coupés du monde, cachant leur idylle aux autres invités.
Jake et Mallory savent que leur histoire d’amour est impossible. Mais ils vont se faire une promesse : quoi qu’il arrive, et peu importe leurs vies de famille respectives, ils se retrouveront chaque été en secret à Nantucket le temps d’un week-end.
Cette intrigue n'est pas nouvelle. Mais à l’inverse de Marie Mangez qui ne cite pas en référence le livre dont elle s’est inspirée pour écrire son premier roman, Elin Hilderbrand rend un bel hommage au dramaturge Bernard Slade dont la pièce, Même heure, l’année prochaine est, dit-elle la pierre angulaire du texte (p. 498).
Le titre original "28 summers" est plus parlant que la version française, au demeurant fort jolie. On comprend immédiatement combien de temps la romance durera, 28 ans, qui défilent au présent, rythmés comme une randonnée. Avec un récit qui progresse à phrases courtes. Avec beaucoup de parenthèses, pour nous livrer des remarques qui ajoutent du sel, du piquant, et qui instaurent une connivence avec l’auteure. Egalement une forme d’humour, sucré-salé, doux-amer. Le passage consacré à l’initiation vertigineuse à Facebook est très savoureux (p. 352).
Chaque chapitre commence par de quoi parle-t-on cette année-là ? A l’exception de drames ou de faits qui ont secoué le monde entier, les quelques faits énoncés ne me disent parfois pas grand chose car je suis française. Mais je trouve amusant de les faire précéder et de les relier à un évènement autrement plus capital pour notre héroïne, ses retrouvailles, été après été, avec Jake Mc Cloud.
Il n'empêche que nous aurions pu nous aussi avoir de semblables réflexions que celles que se font les protagonistes en 2012 à propos d’un ciel maussade, composé de "cinquante nuances de gris" (p. 361). L'ayant lu en bordure de mer, comme je le précisais plus haut, et plus précisément sur une île, je comprends parfaitement leurs émotions. J'ai rarement vu la mer aussi tranquille qu’aujourd’hui, semblable à un immense lac, au grand désarroi des surfeurs qui ont perdu leur espace de jeu.
Ces week-ends sont fortement ritualisés. Il est vrai que les (bonnes) habitudes sont sources d'apaisement et de bonheur. Ils échangent beaucoup de livres et on comprend combien c'est important pour Elin qui va jusqu'à écrire que La lecture est l’activité la plus sacrée qui soit (p. 30).
Le cadre des retrouvailles est sans doute "magique" en effet, et on peut croire l'auteure sur parole, car elle y habite elle-même. L’été y serait si beau que c’en est douloureux (…) et Mallory aspire à quelque chose qui survivrait à cette saison, quelque chose de permanent (p. 183).
On pourrait s'attendre à ce que la jeune femme intrigue pour épouser son amoureux. Cependant, avec une logique surprenante, ils jugent tous deux cette institution aléatoire puisque statistiquement il y a une chance sur deux que ça fonctionne. Le mariage est un pari. Alors pari pour pari, Mallory et Jake font adopter un choix radical (p.168).
Leur position est d'un romantisme fou, autant que féministe. Je reconnais que mon analyse peut surprendre et il faut lire le roman pour me croire. Ainsi, alors que Jake se marie, Mallory songe que cet homme ne lui appartenait pas, ne lui appartient pas. Les moments qu’ils ont partagés étaient un emprunt (p. 169). Et je comprend fort bien cette attitude.
L'architecture du roman repose sur le caractère des deux amants. Mallory est une fille superbe, très sympathique, influençable, et qu'on pourrait croire manipulable ? Mais non, elle est facile à vivre, conclut-elle (p. 173). Et à la fin de ma lecture j'ajouterais bienveillante et philosophe.
Quant à Jake, c'est un type bien. Qui fera des choix professionnels courageux, par exemple en ne devenant lobbyiste pour la NRA (p. 215).
Je ne vous en dis pas mais je serais tellement désolée que vous pensiez que ce livre est une "petite" comédie romantique alors qu'il est magnifique. Et que le suspense est souvent maintenu car il ne sera pas simple de garder secrèts des sentiments si forts pendant des décennies.
Après avoir travaillé dans l’édition, Elin Hilderbrand s'est lancée dans l’écriture en 2000. Depuis, ses romans ont été des best-sellers du New York Times de nombreuses fois. Je l'avais découverte en juin 2012 avec une très belle histoire d'amitié. L'année dernière un autre de ses romans, Un été à Nantucket, avait déjà été publié aux Escales.
En refermant Eté après été, je quitte (et toutes les personnes à qui j'ai personnellement recommandé le roman me diront la même chose) à regret Mallory, Jake, leurs familles et amis en me demandant sur quel autre livre ma main va se poser. Un premier roman peut-être…
Été après été d'Elin Hilderbrand, traduit par Alice Delarbre, publié aux Escales, en librairie depuis le 2 juin 2022
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