C’est le premier des livres de la sélection 2022 des 68 premières fois que je reçois par la Poste, avec joie et appréhension parce que Le parfum des cendres m’arrive auréolé de critiques dithyrambiques. Serai-je autant enthousiaste que l’ont été ses précédents lecteurs ?
Ce qui m’a déroutée, ce n’est pas tant le sujet. Après tout, c’est assez passionnant de découvrir un métier, celui de thanatopracteur, dont je ne savais pas grand chose.
Ce ne furent pas non plus les deux personnages principaux. Alice, une jeune anthropologue (est-ce un hasard si l’auteure est plongée elle aussi dans une thèse en anthropologie ?) et Sylvain, cet homme étrange au métier inhabituel, buveur de vinaigre, peu enclin à exprimer ce qu’il ressent et qui, précisément, sent sans cesse toutes sortes d’effluves dont le commun des mortels n’a pas idée. Ses parents peuvent bien dire de lui qu’il est « d’une tranquille absence d’originalité » (p.52). Pour nous il est tout le contraire.
C’est le mode opératoire de Marie Mangez qui m’a heurtée comme le ferait un plat dont les ingrédients se marient mal entre eux. Son humour est trop proche du langage parlé (vous en aurez un exemple frappant p. 68). Quelle idée aussi de donner à Sylvain ce patronyme de Bragonard, si proche du célèbre parfumeur Fragonard qu’il fallait que je me fasse violence à chaque fois pour que mes yeux le lisent correctement, jusqu’à instaurer une sorte de malaise. J’attendais qu’une scène ait lieu dans les hauteurs de Grasse, la capitale française du parfum. Ça n’a pas loupé.
Me revenaient constamment en mémoire des passages du Parfum de Patrice Süskind. J’ai été quasi soulagée qu‘elle ose enfin la référence à Grenouille, qui en est le personnage principal (p. 54). On apprend que c’est le surnom qu’Aude donne à son frère, « affectueusement en référence au héros psychopathe du Parfum capable de discerner les plus infinitésimales nuances olfactives ». Je ne comprends pas qu’il n’y ait même pas la mention du nom de l’auteur en bas de page ou au minimum dans des remerciements en fin de volume. Je trouve cela indécent.
Le moins que je puisse reconnaître est que l’auteure déborde d’imagination et que ce premier roman est d’une grande cohérence. Néanmoins, je suis loin d’avoir réussi à savourer cette lecture.
Nous vivons surtout dans un monde d’images. Il est facile de retranscrire des souvenirs visuels, de les décrire de manière à ce que qu’ils soient partageables, mais les odeurs, si on ne les a jamais senties, sont difficilement racontables. Je le sais bien pour participer régulièrement à des dégustations. Le vin, on y parvient à peu près. Mais allez vous en décrire les nuances de parfums de plusieurs huiles d’olive … ! Et pourtant je m‘y connais en plantes aromatiques, poivres et piments, donc en odeurs dont je maitrise le lexique.
Je connais le patchouli mais pour le caractériser il n’y a pas de doute possible, c’est l’odeur âcre de la balle de ping-pong. Rien à voir avec la description que je lis dans le roman. Très souvent je ne « sentais » pas la même chose. Et la lecture m’est vite devenue insipide. Un comble. Mais il faut dire qu’en ces temps de covid il est devenu banal de perdre le goût et l’odorat.
Je n’ai pas éprouvé d’attachement particulier ni à l’égard de Sylvain dont pourtant la présentation qui nous en est faite devrait inspirer de la sympathie, ni à l’égard d’Alice dont on ne comprend pas bien quelles sont ses vraies motivations à découvrir le métier de thanatopracteur, si ce n’est de récolter des informations qui lui permettront un jour, peut-être, de rédiger cette fameuse thèse d’anthropologie. Mais on verra que lorsque sa directrice de thèse la contacte elle n’a en fait pas avancé sur le sujet.
Sylvain a été follement amoureux d’une jeune femme dont le surnom est Ju’. Evidemment on pense au jus qui signifie le parfum. Les interférences entre le lexique de la parfumerie et celui de la mort sont constantes et c’est ce systématisme qui m’a agacée. Cela commence avec le titre même du roman, démontrant combien Marie Mangez jongle à la perfection avec les deux registres, mais souvent trop bien, comme par exemple Le claquement de la porte avait le parfum du soulagement (p. 59), le cercueil du souvenir (p. 128), Sylvain s’était évaporé (p. 138), Elle lui colle à la peau comme un baume urticant (p. 141), Ju’ n’était pas en odeur de sainteté (p. 147), la marmelade revenue d’outre-tombe (p. 160), la neuvième symphonie de Beethoven qui martelait héroïquement ses dernières notes (p. 199) … si avec tout ça on n’a pas compris que Sylvain était un mort-vivant …
On remarque très vite que cet homme est hyper compétent dans le domaine de l’odorat et que Alice ne l’est pas du tout. D’ailleurs elle n’a jamais respiré le vétiver (p. 136). Son sens le plus exacerbé est celui de l’ouïe, en réaction peut-être à une enfance auprès d’une mère sourde. Elle connait la musique dont elle pollue le fourgon. La caméra de Marie Mangez s’infiltre tantôt chez l’un, tantôt chez l’autre, tantôt leur tourne autour en adoptant une certaine distance si bien que, très régulièrement, je ne savais plus de « quel côté elle était », ni quel était son parti-pris. Ça tambourinait pas mal et cela devenait fatigant, me rendant la projection difficile, et a fortiori l’identification.
Néanmoins il y a (p. 184) une bascule dans le récit avec la révélation d’un traumatisme qui a affecté Sylvain et je trouve que le roman devient soudain plus intéressant parce qu’il n’y a plus de cache-cache à l’égard du lecteur avec lequel enfin on ne joue plus à faire semblant d’employer par hasard des mots qui seraient posés là comme des indices. D’ailleurs Sylvain, qu’on nous présentait comme maitre dans l’art de la dissimulation devient plus humain.
J’ai tout de même appris un nouveau mot, celui d’abstrus, que Marie Mangez utilise pour qualifier le regard de Sylvain (p. 132). Il signifie une difficulté de compréhension et je dirai donc que Le parfum des cendres aura été pour moi un roman abstrus, mais je me réjouis pour l’auteure de voir la longue liste des Prix pour lesquels son exercice de style est remarqué. Car l’idée de retranscrire les sensations en odeurs comme Rimbaud les lettres en couleurs est intéressante.
Marie Mangez vit à Paris où -et c’est elle-même qui le dit- elle s’efforce de plancher sur sa thèse en anthropologie qui la mène régulièrement sur les rives du Bosphore.
Si ce livre est bien le premier que je découvre dans le cadre de la sélection des il n’est pas le seul que j’ai lu puisque j’avais, à la rentrée, beaucoup apprécié Revenir fils dont j’ai appris qu’il figurait désormais dans le corpus.
Le parfum des cendres de Marie Mangez, Finitude, en librairie depuis le 19 août 2021
Prix Corpus Mortui
Finaliste Prix Jean-Claude Brialy
Sélection Prix Envoyé par la Poste
Sélection Prix Première Plume
Sélection Prix du roman Coiffard
Sélection Prix des lecteurs de l’Escale du Livre
Sélection Prix des lecteurs Esprit large
Sélection Prix du roman Cezam
Sélection Prix Expression
Sélection Prix Libraires en Seine
Sélection Prix Audiolib
Sélection Prix du premier roman de la Ville de Limoges
Sélection Prix du Festival du Premier roman de Chambéry
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