Publications prochaines :

La publication des articles est conçue selon une alternance entre le culinaire et la culture où prennent place des critiques de spectacles, de films, de concerts, de livres et d’expositions … pour y défendre les valeurs liées au patrimoine et la création, sous toutes ses formes.

samedi 18 novembre 2017

Le menteur ... de Pierre Corneille et Julia Vidit

On pourrait presque dire que le mensonge -où son pendant la vérité- est une vraie passion pour Julia Vidit. Ce n’est pas un hasard si elle a appelé sa compagnie Java vérité.

Tout est mensonge au théâtre et pourtant les acteurs sont de vraies personnes et leur performance est un vrai travail. Ajoutez à cela qu'elle a déjà interprété (en 2007, dans le Cid mis en scène par Alain Ollivier) et il vous paraîtra tout à fait logique que la jeune femme se soit attelé au Menteur.

Traitant du mensonge et du libertinage de mœurs, la pièce contient quelques passages parodiant Le Cid. Ces moments sont quasiment fredonnés par le public qui connait par coeur : O rage, ô désespoir, ô vieillesse ennemie etc ... Elle a été créée, dans cette nouvelle version le 3 octobre 2017 au CDN/La Manufacture de Nancy. c'est au Théâtre Firmin Gémier /La Piscine que je suis allée la voir.

Julia Vidit a trituré la pièce qui a été condensée, interprétée, modernisée, bref adaptée à notre époque, avec l'aide de Guillaume Cayet. Et cela se remarque partout. La place des femmes a été renforcée. Avec Julia il a travaillé à la chair du texte, élaguant quelquefois, reformulant tantôt mais sans anachronisme. Lorsque des vers nécessitaient une réécriture celle-ci obéissait à la convention baroque.

Thibaut Fack a cherché lui aussi à respecter l'esprit baroque tout en suggérant la folie de la multiplicité. Il s’est inspiré du rectangle de l’écran du portable pour imaginer un décor surprenant (belle prouesse de construction par l'Atelier de la Manufacture-CDN de Nancy), composant une façade de 12 fois 3 miroirs dans laquelle le public se reflète, le plaçant symboliquement sur scène .... et face à lui même. On pense aussi aux miroirs déformants des fêtes foraines, quand on est perdu dans un labyrinthe où notre image se reflète à l’infini. Les panneaux sont régulièrement déplacés, comme on battrait un jeu de cartes pour donner une nouvelle chance au destin. Il peuvent devenir cage d’oiseau ou composer un balcon. C'est très inventif et totalement au service de la dramaturgie.

On annonce que la scène se passe aux Tuileries, qui serait, nous dit Cliton, le plus beau pays du monde. L'homme aux allures de Pierrot en noir et blanc est le pendant masculin d'Isabelle qui apparaitra plus tard dans les mêmes tonalités. Cela tranche avec les vêtements multicolores des jeunes gens, rares sur une scène de théâtre, moins dans le registre du cirque ou du burlesque.

Car il y a beaucoup de symbolique aussi dans les costumes de Valérie Ranchoux. Les deux valets sont en noir et blanc, le sol est un tapis rouge, les dames ... portent des costumes aux couleurs clinquantes de la mode actuelle avec des jupons pailletés de princesse mais dont les coupes font penser au bustier qu’on portait au XVI siècle.

Le texte a été lui aussi revu et aménagé pour que nous puissions entendre en deux heures l’essentiel de ce qu’il y a à retenir. Autant dire que l’ennui n’est pas de mise. Bien sûr Julia est trop respectueuse de la langue de Corneille pour en voir perverti les caractéristiques. Les rimes et la perfection des alexandrins sont respectés.

Corneille a écrit le menteur en 1644 alors que la musique baroque était jouée depuis déjà une quarantaine d’années. Elle avait marqué une rupture très forte avec ce qui précédait. Comme pour nous l’électronique acoustique qui remonte à quatre décennies et à laquelle nous ne sommes pas tous encore habitués. On entend dès le début un air qui évoque cette époque baroque, et pour cause puisque c’est la Symphonie en ré m Op.21 n°2  de H-J.Rigel (Allegro maestoso) qui a servi de point de départ à Bernard Valléry et Martin Poncet pour composer la musique du spectacle qui prend souvent des accents pop rock

Des bruits de vaisselle brisée résonnent régulièrement depuis les coulisses. On casse du verre, des piles d’assiettes, ou autres objets fragiles ... comme la vérité. C’est que sur scène il n’y a pas qu’un menteur. Et chacun a une bonne raison de le faire. À commencer par chercher paradoxalement la vérité en changeant d’identité pour sonder le cœur de l’être dont on veut mettre les sentiments à l’épreuve. Marivaux excellera dans ce registre.

Dorante revient à Paris, fraîchement débarqué de Poitiers en compagnie de son valet Cliton. Paris, ce pays du beau monde et des galanteries, semble lui offrir ses charmes et ses attraits. Dorante le sait bien et c’est en galant qu’il se présentera pour courtiser Clarice. Très vite on sait qu’il est un menteur, un imposteur, un mytho dirait-on aujourd’hui. Dorante prend sa belle pour sa cousine Lucrèce. Le quiproquo ne s’arrêtera pas là, les cavalcades mensongères non plus.

Car quand Géronte - son père - le presse d’épouser une Clarice - qu’il croit ne pas connaître - rien ne va plus, et l’arrivée de son amant ne fera qu’amplifier l’imbroglio. D’autant plus que, de son côté, Clarice a l’idée de demander à Lucrèce, sa cousine, de prendre rendez-vous avec Dorante afin de pouvoir l’observer et de lui parler en empruntant son nom! Pour échapper au dévoilement de sa maigre condition, Dorante se dira chevalier ; pour échapper aux ordres de son père, il se dira déjà marié à Poitiers. Tantôt il usera de lyrisme pour charmer ses compagnons, tantôt il jouera au héros dans un duel fictif pour épater la galerie. C’est toujours la parole qui lui sert d’appui pour mentir. Et c’est aussi sa parole qui le sauvera.

Le spectateur a tendance à pardonner un mensonge quand l'écart part d'une bonne intention. Mais Dorante (Barthélémy Meridjen) ment pour un tout autre motif. Il manque de confiance et raconte des bobards dans le but de se faire aimer. Et ça marche ! Pourquoi alors cesserait il ? Ce comportement ne vous fait-il pas penser aux messages que tout un chacun poste sur Facebook pour témoigner d’une vie socialement riche ? Ou encore aux photos qui inondent Instagram ... après avoir été retouchées, recadrées et embellies.
À la toute fin les miroirs tomberont comme des masques dont on se débarrasse et le décor se refermera comme un piège sur le principal Menteur.  Le public s'entendra dire Et vous même admirez votre duplicité !

Mentir c’est pouvoir. Telle est la conclusion, on n’ose dire "la morale" de l’histoire. Cette comédie humaine fait en tout cas beaucoup rire la salle.

Le menteur
Adaptation Guillaume Cayet, Julia Vidit
Mise en scène Julia Vidit
Scénographie Thibaut Fack
Lumière Nathalie Perrier
Costume Valérie Ranchoux
Son Bernard Valléry, Martin Poncet
Avec Joris Avodo (Philiste), Aurore Déon (Lucrèce), Nathalie Kousnetzoff (Isabelle), Adil Laboudi (Alcippe), Barthélémy Meridjen (Dorante,) Lisa Pajon (Cliton), Karine Pédurand (Clarice) et Jacques Pieiller (Géronte)
Pour tous publics à partir de 13 ans
Du 17 au 19 et du 23 au 25 novembre au Théâtre Firmin Gémier/La Piscine – Châtenay-Malabry (92)
Le 5 décembre / Théâtre de l’Olivier – Istres
Du 7 au 9 décembre / Le Jeu de Paume – Aix-en-Provence
Le 19 décembre / Théâtre de Corbeil-Essonnes
Le 13 janvier 2018 / Théâtre de Fontainebleau
Du 18 janvier au 18 février 2018 / Théâtre de la Tempête – Paris
Le 14 mars 2018 / Théâtre Jacques Prévert – Aulnay-sous-Bois
Du 22 et 23 mars 2018/ Le Trident – Scène Nationale de Cherbourg
Du 27 au 29 mars 2018 / CDN de Normandie-Rouen

Aucun commentaire:

Articles les plus consultés (au cours des 7 derniers jours)