Vous savez combien j'apprécie les préconisations des bibliothécaires qui nous conduisent vers des découvertes inattendues. Après 99 homes qui concernait la propriété urbaine, c'est maintenant un film sur la ruralité que l'équipe d'Antony (92) a mis en avant, en invitant les réalisateurs à un débat après la projection.
Les Liberterres retrace des parcours professionnels d'agriculteurs qui revendiquent la liberté d’action tout en se rebellant contre le système imposé par l'industrie agro-alimentaire, à l’instar des libertaires qui prônent une liberté absolue fondée sur la négation du principe d'autorité dans l'organisation sociale et le refus de toute contrainte découlant des institutions fondées sur ce principe.
Le réalisateur a suivi les initiatives militantes de quatre paysans à travers l'Europe et l'Afrique qui ont tourné le dos, définitivement, aux méthodes de l’agriculture conventionnelle, avec passion pour la terre et pour la liberté de la cultiver en la respectant sans l'appauvrir et avec une rentabilité très satisfaisante. D'où cet intitulé de liberterre qui est fort à propos.
Les images alternent avec les entretiens tout au long de quatre saisons en entrecroisant des discours de personnages émouvants et provocants, qui ont un point commun : il est possible de travailler autrement que sous le diktat de la pétrochimie ... sans pour autant renoncer à la rentabilité. Celle-ci n’est pas une utopie. L'agriculture biologique est un bienfait pour le paysan, pour le consommateur et pour la terre. Elle est indispensable quand on pense que nous serons 9 milliards en 2050 et que e nourrir deviendra difficile puisque déjà aujourd’hui 1 milliard d’êtres humains souffrent de la faim et de la malnutrition. Bien davantage n’ont pas accès à l’eau potable. Par exemple au Mexique où l’eau du robinet est impropre à la consommation.
Jean-Christophe Lamy a commencé le film en 2008 avec pour objectif de donner la parole sans intervenir lui-même. Il a tourné une séquence puis une autre, au fur et à mesure qu’il gagnait des financements et a terminé en 2014. Depuis sa sortie, fin 2015, les Liberterres tournent dans de nombreux festivals et ont déjà reçu de nombreuses récompenses comme le site dédié le retrace.
Il faut rappeler que l’expression agriculture biologique est née en 1975. Autrefois elle n’était pas nécessaire puisque tout était bio par la force des choses.
Les premières images illustrent des paysages de campagne comme on les voit encore dans les livres d’écoliers : un champ de blé, des prairies. Les saisons se suivent. Apparaissent des visages, tous sérieux, et déterminés. Ce sont les quatre personnages principaux, dont la voix s’élève avec force, en off, forçant le spectateur à l’écouter tandis que sur l’écran la table est dressée en pleine nature.
Chacun savoure sa spécialité, saucisson, pain ou fromage réalisé avec ce qu’il produit. Olga, Giuseppe, Rémi et André vont démontrer qu’il est possible de faire vivre leur famille en cultivant la terre ou en élevant des animaux en suivant un modèle économique qui n’est pas spéculatif. Et les réalisateurs démontrent que produire localement est une réponse qualitative au problème mondial de la famine.
Je vous invite à visionner la bande-annonce pour vous convaincre :
Giuseppe Li Rosi est établi en Sicile. Producteur de variétés de blé anciennes en biologique, il s'est élevé contre les manipulations génétiques du blé et la pression de l’industrie semencière en Italie. Ici, quand je réduis les quantités pour obtenir plus de qualité, les gens me prennent pour un fou ! Il a dénoncé qu’il faille acheter les semences 80% plus cher si on voulait faire pousser des variétés anciennes. Et le combat a été gagné. On espère que d'autres pays pourront obtenir la même chose.
Olga Voglauer habite en Autriche, à la frontière slovène. Le lait de ses vaches est vendu en filière courte. Elle refuse d’agrandir son cheptel et de dépendre des banques : la "décroissance heureuse", chez elle, est tout sauf une utopie. J’ai toujours dit à mon père que je ne voulais pas être l’esclave du lobby agricole. Elle souligne une des aberrations de notre système puisqu'il faut payer pour obtenir la certification bio alors que la logique voudrait que ce soit ceux qui emploient des produits chimiques qui soient être mis à l’amende. La réglementation cautionne de fait une agriculture qu'on pourrait qualifier d'industrielle alors que le circuit court et local est une réponse économiquement favorable.
André Grevisse est agriculteur et éleveur en Wallonie. On le voit à coté de sa mère confier à la caméra que vouloir rester agriculteur comme ses parents était autrefois perçu comme un manque d’ambition, alors que c'est un noble métier. Il était éleveur de vaches Blanc-Bleu Belge, une race à viande de bêtes à concours. Il raconte que sa prise de conscience s'est faite lorsqu'il s'est vu passer son temps un thermomètre dans une main, la seringue dans l’autre, sans plus avoir le temps de vivre. Le taux de césarienne était de 100 sur 120 avec un coup moyen de 7000 francs par veau en vétérinaire et traitements. Il est passé au bio, a changé de race en préférant l’Angus, plus résistant et de plus de bien meilleure viande.
Remarquant que le liseron et la menthe étouffent les céréales, et ne trouvant pas de molécule (traitement) pour les éradiquer il comprend que la nature se rebelle et abandonne les engrais. C'est en quelque sorte une chance que la chimie ne lui ait pas fourni de solution. On n'a pas besoin de roundup (désherbant). On s’en occupe mécaniquement dit-il avec fierté. On doit être libre. Il montre à la caméra combien la terre est redevenue souple et douce comme du sable en l'espace de quatre ans parce que les vers de terre ont réussi à remuer toute la couche de terre arable. Les racines n’auront aucun mal à y descendre.
Depuis vingt ans il mène une guerre ouverte contre l'agriculture conventionnelle. L’humus n’a plus de secret pour lui. Moi, je suis persuadé que la conventionnelle ne pourra pas nourrir le monde. La preuve : il y a des gens qui meurent de faim partout aujourd’hui !
Remi Schiffeleers est éleveur de chèvres en Flandre belge. Il forme aussi de jeunes agriculteurs africains aux méthodes d’élevage et d’agriculture durables. Pour moi, le bio est trop blanc. C’est pour les gens qui ont assez de pognon, les gens d'ici, en Europe.
Remi œuvre dans le mouvement Paysans sans frontières depuis plus de 10 ans, prônant la solidarité, et non la charité. L’Afrique subit de plein fouet le changement climatique, la surpopulation et le déficit alimentaire. La pratique du nomadisme est une catastrophe écologique, et politique, car l’arrivée des troupeaux en quête de nourriture peut suffire pour déclencher une guerre pour peu que les chèvres broutent de l'autre coté de la frontière (invisible sur le terrain), ce qui est perçu comme un envahissement par les voisins.
Il démontre qu’on peut toutefois élever des chèvres en Afrique, à condition de le faire en stabulation et de leur cueillir le feuillage des acacias, laissant ainsi aux arbres le temps de se régénérer. C'est une manière de lutter contre la déforestation massive quand celle-ci prétend libérer des terres agricoles. De plus laisser les chèvres dans l’étable permet de récupérer le fumier toute l’année et d’en nourrir la terre. Car un bon compost se fabrique avec une part d’organique. Le meilleur se compose pour moitié de végétaux et d’animaux. Je me souviens d’un voisin qui avait des melons d’exception parce qu'il amendait son jardin avec du fumier de poule.
Ils sont wallon, sicilien, autrichien mais ils auraient pu tous être français. Beaucoup d’agriculteurs ont compris que l’avenir de leur terre n’était pas dans les engrais et les traitements chimiques. Mais les lobbys de l’industrie agroalimentaire et de la pétrochimie sont ultra puissants pour convaincre du contraire. Ils imposent un modèle encore dominant aujourd’hui. La terre, épuisée, a perdu son humus. On mange de plus en plus mal, et la nourriture n’est pas pour autant accessible à tous.
Ce sont des agriculteurs mais Jean-Chritophe Lamy aurait pu recueillir des propos semblables auprès de viticulteurs ou de cidriers. J'ai discuté avec plusieurs à Cambremer, dans le cadre des rencontres AOC-AOP qui ont le même raisonnement et arrivent aux mêmes conclusions.
Ce documentaire de création est plus qu'un reportage dont il se distingue par son esthétisme. Il a aussi toutes les qualités d'un "film". Il séduit en effet autant par ce qu’il dit que par sa manière de traiter le sujet.
La manière de poser la caméra donne de très belles images. L'oeil du réalisateur a capté des instants élégants comme cette scène, pourtant d'une grande simplicité, montrant un chat perché sur un poteau, évoquant pour moi La pie du tableau de Claude Monet.
Il nous fait aussi remonter le temps, en insérant des archives d'époque, en noir et blanc. Le spectateur est replacé dans le contexte de l'après-guerre alors qu'il était essentiel d'accroitre la production. C'était une époque où on était persuadé que la science allait définitivement sauver le monde de la faim et de la malnutrition. Et c'est quasiment tout le contraire qui s'est produit.
D'autres documentaires ont dénoncé la dureté de la vie des agriculteurs. Par exemple Les fils de la terre d'Edouard Bergeon présenté en 2011 et dont Elise Noiraud a fait une adaptation pour le théâtre. La grande différence avec Les Liberterres est de porter un message très positif. A ce titre il est essentiel.
Jean-Christophe Lamy a commencé le film en 2008 avec pour objectif de donner la parole sans intervenir lui-même. Il a tourné une séquence puis une autre, au fur et à mesure qu’il gagnait des financements et a terminé en 2014. Depuis sa sortie, fin 2015, les Liberterres tournent dans de nombreux festivals et ont déjà reçu de nombreuses récompenses comme le site dédié le retrace.
Il faut rappeler que l’expression agriculture biologique est née en 1975. Autrefois elle n’était pas nécessaire puisque tout était bio par la force des choses.
Les premières images illustrent des paysages de campagne comme on les voit encore dans les livres d’écoliers : un champ de blé, des prairies. Les saisons se suivent. Apparaissent des visages, tous sérieux, et déterminés. Ce sont les quatre personnages principaux, dont la voix s’élève avec force, en off, forçant le spectateur à l’écouter tandis que sur l’écran la table est dressée en pleine nature.
Chacun savoure sa spécialité, saucisson, pain ou fromage réalisé avec ce qu’il produit. Olga, Giuseppe, Rémi et André vont démontrer qu’il est possible de faire vivre leur famille en cultivant la terre ou en élevant des animaux en suivant un modèle économique qui n’est pas spéculatif. Et les réalisateurs démontrent que produire localement est une réponse qualitative au problème mondial de la famine.
Je vous invite à visionner la bande-annonce pour vous convaincre :
Giuseppe Li Rosi est établi en Sicile. Producteur de variétés de blé anciennes en biologique, il s'est élevé contre les manipulations génétiques du blé et la pression de l’industrie semencière en Italie. Ici, quand je réduis les quantités pour obtenir plus de qualité, les gens me prennent pour un fou ! Il a dénoncé qu’il faille acheter les semences 80% plus cher si on voulait faire pousser des variétés anciennes. Et le combat a été gagné. On espère que d'autres pays pourront obtenir la même chose.
Olga Voglauer habite en Autriche, à la frontière slovène. Le lait de ses vaches est vendu en filière courte. Elle refuse d’agrandir son cheptel et de dépendre des banques : la "décroissance heureuse", chez elle, est tout sauf une utopie. J’ai toujours dit à mon père que je ne voulais pas être l’esclave du lobby agricole. Elle souligne une des aberrations de notre système puisqu'il faut payer pour obtenir la certification bio alors que la logique voudrait que ce soit ceux qui emploient des produits chimiques qui soient être mis à l’amende. La réglementation cautionne de fait une agriculture qu'on pourrait qualifier d'industrielle alors que le circuit court et local est une réponse économiquement favorable.
André Grevisse est agriculteur et éleveur en Wallonie. On le voit à coté de sa mère confier à la caméra que vouloir rester agriculteur comme ses parents était autrefois perçu comme un manque d’ambition, alors que c'est un noble métier. Il était éleveur de vaches Blanc-Bleu Belge, une race à viande de bêtes à concours. Il raconte que sa prise de conscience s'est faite lorsqu'il s'est vu passer son temps un thermomètre dans une main, la seringue dans l’autre, sans plus avoir le temps de vivre. Le taux de césarienne était de 100 sur 120 avec un coup moyen de 7000 francs par veau en vétérinaire et traitements. Il est passé au bio, a changé de race en préférant l’Angus, plus résistant et de plus de bien meilleure viande.
Remarquant que le liseron et la menthe étouffent les céréales, et ne trouvant pas de molécule (traitement) pour les éradiquer il comprend que la nature se rebelle et abandonne les engrais. C'est en quelque sorte une chance que la chimie ne lui ait pas fourni de solution. On n'a pas besoin de roundup (désherbant). On s’en occupe mécaniquement dit-il avec fierté. On doit être libre. Il montre à la caméra combien la terre est redevenue souple et douce comme du sable en l'espace de quatre ans parce que les vers de terre ont réussi à remuer toute la couche de terre arable. Les racines n’auront aucun mal à y descendre.
Depuis vingt ans il mène une guerre ouverte contre l'agriculture conventionnelle. L’humus n’a plus de secret pour lui. Moi, je suis persuadé que la conventionnelle ne pourra pas nourrir le monde. La preuve : il y a des gens qui meurent de faim partout aujourd’hui !
Remi Schiffeleers est éleveur de chèvres en Flandre belge. Il forme aussi de jeunes agriculteurs africains aux méthodes d’élevage et d’agriculture durables. Pour moi, le bio est trop blanc. C’est pour les gens qui ont assez de pognon, les gens d'ici, en Europe.
Remi œuvre dans le mouvement Paysans sans frontières depuis plus de 10 ans, prônant la solidarité, et non la charité. L’Afrique subit de plein fouet le changement climatique, la surpopulation et le déficit alimentaire. La pratique du nomadisme est une catastrophe écologique, et politique, car l’arrivée des troupeaux en quête de nourriture peut suffire pour déclencher une guerre pour peu que les chèvres broutent de l'autre coté de la frontière (invisible sur le terrain), ce qui est perçu comme un envahissement par les voisins.
Il démontre qu’on peut toutefois élever des chèvres en Afrique, à condition de le faire en stabulation et de leur cueillir le feuillage des acacias, laissant ainsi aux arbres le temps de se régénérer. C'est une manière de lutter contre la déforestation massive quand celle-ci prétend libérer des terres agricoles. De plus laisser les chèvres dans l’étable permet de récupérer le fumier toute l’année et d’en nourrir la terre. Car un bon compost se fabrique avec une part d’organique. Le meilleur se compose pour moitié de végétaux et d’animaux. Je me souviens d’un voisin qui avait des melons d’exception parce qu'il amendait son jardin avec du fumier de poule.
Ce sont des agriculteurs mais Jean-Chritophe Lamy aurait pu recueillir des propos semblables auprès de viticulteurs ou de cidriers. J'ai discuté avec plusieurs à Cambremer, dans le cadre des rencontres AOC-AOP qui ont le même raisonnement et arrivent aux mêmes conclusions.
Ce documentaire de création est plus qu'un reportage dont il se distingue par son esthétisme. Il a aussi toutes les qualités d'un "film". Il séduit en effet autant par ce qu’il dit que par sa manière de traiter le sujet.
La manière de poser la caméra donne de très belles images. L'oeil du réalisateur a capté des instants élégants comme cette scène, pourtant d'une grande simplicité, montrant un chat perché sur un poteau, évoquant pour moi La pie du tableau de Claude Monet.
Il nous fait aussi remonter le temps, en insérant des archives d'époque, en noir et blanc. Le spectateur est replacé dans le contexte de l'après-guerre alors qu'il était essentiel d'accroitre la production. C'était une époque où on était persuadé que la science allait définitivement sauver le monde de la faim et de la malnutrition. Et c'est quasiment tout le contraire qui s'est produit.
D'autres documentaires ont dénoncé la dureté de la vie des agriculteurs. Par exemple Les fils de la terre d'Edouard Bergeon présenté en 2011 et dont Elise Noiraud a fait une adaptation pour le théâtre. La grande différence avec Les Liberterres est de porter un message très positif. A ce titre il est essentiel.
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