L’argent ne fait pas le bonheur. C’était vrai du temps de Molière et ça l’est encore. Pour preuve les costumes sont contemporains et le décor en est la démonstration flagrante. Il est à l’image de la sécheresse de cœur d’Harpagon qui, à l’automne de sa vie, n’accorde d’importance qu’à son argent au détriment de tout et de tous.
Rien d’étonnant à ce que le jardin soit à l’abandon derrière deux palissades. Novembre a desséché les buissons et décoloré les têtes des hortensias. Les feuilles sont tombées en un épais tapis. Une bêche à peine rouillée git dans un coin. La ruche est au repos. Rarement un décor aura été pensé avec autant de justesse. La crise est proche. D’ailleurs l’orage éclate tandis que le public le voit l’Avare cacher sa précieuse cassette, là sous nos yeux.
Pourtant le vieil homme se sent encore la fougue d’espérer convoler. Les jeunes gens aussi, pour peu qu’on lui lâche la bride. La famille Lazarini nous propose de redécouvrir le texte de Molière en y voyant les prémices d’un marivaudage assez canaille. C’est peut être que le père, Henri, a pris le parti d’Harpagon tandis que sa fille, Frédérique, est au service de la jeunesse.
Il fut le dramaturge de la pièce. Elle signe la mise en scène. Et elle joue une Frosine joliment intrigante. Tous deux avaient l’habitude de travailler ensemble et on peut imaginer la peine de Frédérique de savoir que cette collaboration est la dernière puisque son père nous a quittés l’été dernier.
Nous sommes en automne mais il reste quelques beaux jours à profiter ... Après la pluie, le beau temps. La pièce s’achève dans la joie et la bonne humeur. Chacun avec sa chacune, dans l’ordre des choses. Après avoir surmonté une crise de paranoïa, somme toute légitime parce qu’il n’y a rien de pire pour un avare que de s’être fait dépouiller, Harpagon s’étonne de voir tant de gens assemblés (le public) qui rit de bon cœur devant une famille, non pas recomposée, mais reconstituée.
La fête peut avoir lieu. Des guirlandes éclairent un jardin qui prend une allure romantique. On ressort du théâtre le cœur léger.
Sous couvert de dénoncer un péché capital, ici l’avarice, Molière s’attaque surtout à l’hypocrisie comme il l’a fait dans de nombreuses pièces, mais cette fois sous sa traduction la plus manifeste, à savoir le mensonge. Cette pièce a été créée sur la scène du Palais-Royal le 9 septembre 1668. Il lui avait alors donné ce mot de Mensonge comme sous-titre, ce que j’ignorais et qui fait écho pour moi à la dernière comédie baroque de Corneille, représentée en 1644 au théâtre du Marais ... Le Menteur, que j'ai vu dans la mise en scène très contemporaine de Julia Vidit, et dont je vous parlerai bientôt.
Les choix de dramaturgie soulignent tous les moments où ce travers se manifeste. Ce sont les flatteries prononcées pour gagner les hommes. C’est aussi le conseil de faire semblant pour mieux arriver à ses fins. C’est l’inclinaison consistant à plaider le faux pour savoir le vrai. On remarque vite que tout le monde triche, se surveille, cherche à manipuler. Le pauvre Maitre Jacques qui tente de rétablir la vérité abandonne : Peste soit la sincérité, c'est un mauvais métier. Désormais j'y renonce, et je ne veux plus dire vrai. (Acte III scène 2)
Le même homme, dans la scène finale, est désabusé : Hélas ! Comment faut-il donc faire ? On me donne des coups de bâton pour dire vrai ; et on me veut pendre pour mentir. (Acte V scène 6)
Harpagon est interprété par Emmanuel Dechartre, que l’on ne présente plus puisqu’outre un excellent comédien il est aussi le directeur du Théâtre 14. Jean-Jacques Cordival est un autre visage familier des spectateurs qui s’adressent à lui pour recevoir le sésame qui leur permet d’entrer au théâtre. Il est tour à tour Dame Claude, le Commissaire et Maitre Simon, pour notre plus grand plaisir.
Tous les comédiens sont à louer. Ils contribuent à rendre cet Avare fort réjouissant. Et comme preuve de la générosité de l’équipe, ils sacrifient leur Réveillon du 31 décembre pour le passer en compagnie du public. C'est une riche idée.
L’Avare de Molière
Mise en scène Frédérique Lazarini
Dramaturgie Henri Lazarini
Musique de John Miller
Avec Emmanuel Dechartre, Frédérique Lazarini, Denis Laustriat, Guillaume Bienvenu, Didier Lesour, Jean-Jacques Cordival, Michel Baladi, Katia Miran, Charlotte Durand Raucher et Cédric Colas
Du 14 novembre au 31 décembre 2017
Lundi, mercredi et jeudi à 19h, mardi, vendredi à 20h30, matinée samedi à 16h
Relâches exceptionnelles les lundi 4, vendredi 8 et lundi 25 décembre 2017
Représentation exceptionnelle dimanche 31 décembre à 20h30
Au Théâtre 14 - 20 avenue Marc Sangnier - 75014 Paris - 01 45 45 49 77
Les photos qui ne sont pas logotypées A bride abattue sont de Laurencine Lot
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