Judy est un biopic troublant. On savait plus ou moins que la vie de Judy Garland avait été tumultueuse mais, d'une part je ne pensais pas qu'elle était décédée si jeune, d'autre part je n'imaginais pas l'ampleur de l'enfer qu'elle a traversé.
Cela étant le film est particulier puisque la plupart des scènes se déroulent au cours de l'année 1968 et font revivre la série de concerts donnés par l'actrice et chanteuse, quelques mois avant son décès...
Elle traverse alors une très mauvaise passe, tant personnelle que professionnelle, et elle a été contrainte de quitter les Etats-Unis pour Londres afin de gagner l'argent pour subvenir aux besoins de ses enfants. Elle fait le constat terrible : Je dois quitter mes enfants pour avoir de quoi vivre avec mes enfants.
Judy accepte donc, pour une somme d’argent conséquente, de se produire pendant cinq semaines au Talk of the Town, un cabaret très à la mode tenu par le célèbre impresario Bernard Delfont, où très vite elle jouera à guichets fermés.
On voit une femme hantée par une enfance sacrifiée dès l'âge de deux ans pour Hollywood, qui aspire à rentrer chez elle pour consacrer du temps à ses enfants et dont le retour est sans cesse contrarié. Et on est admiratif de son courage pour aller toujours de l'avant et des efforts insensés qu'elle déploie pour récupérer ses enfants. Une des conversations qu'elle a avec sa fille, et au cours de laquelle celle-ci lui exprime clairement qu’elle a davantage besoin de calme que de la voir est extrêmement émouvante. Surtout lorsque Judy lui jure que ça ira très bien.
Rupert Goold s'est inspiré de la comédie musicale "End of the Rainbow", écrite par Peter Quilter en 2005. Le scénariste Tom Edge a toutefois voulu que le scénario de Judy soit davantage complexe, authentique et précis quant à la vie de Judy Garland. A cet égard j'ai appris qu'ils ont pu bénéficier des souvenirs d'un témoin clé de ces événements, Rosalyn Wilder (interprétée par Jessie Buckley dans le film), et qui a été l’assistante de Judy pendant son séjour londonien. Il est probable que cette collaboration a été essentielle dans le choix de cette période de la vie de Judy.
De son coté l'actrice Renée Zellweger s'est entraînée au chant pendant un an avec le coach vocal Eric Vetro, puis a travaillé sa voix pendant quatre mois avec le superviseur musical Matt Dunkley. Même si l'actrice avait déjà chanté dans Chicago, sa préparation pour Judy a constitué un travail de longue haleine car (et nous ne nous en rendons pas forcément compte) elle devait aussi maîtriser l'accent, la tonalité et la gestuelle de son modèle pour être capable de jouer Judy Garland avec le maximum de réalisme.
Il est manifeste que l'actrice a aussi du se transformer physiquement, par un maquillage adapté, le port de lentilles de contact gris foncé et changer de coiffure. Le résultat est exceptionnel. Je crois que la comédienne a l’âge du rôle. Et pourtant comment s'étonner qu'elle meurt six mois plus tard ? On jurerait -tant elle est exténuée- que le personnage que l'on voit à l’écran a 20 ans de plus, tout en étant magnifique et semblant conserver le caractère d'une éternelle adolescente, fantasque et parfois capricieuse, mais toujours séductrice.
Sur ce point le pari est totalement rempli. Renée insuffle au personnage un charme fou, à la limite de la folie. On éprouve une immense empathie pour cette femme épuisée par les attentes de tous, et dont la loge débordante de fleurs offre une bien piètre consolation, pas davantage que ses prodigieuses tenues (très inspirées de sa véritable garde-robe). A de multiples reprises on la surprend comme une bête se préparant à une corrida…
Et puis à d'autres moments elle devient ultra touchante et fragile, par exemple dans la scène d'adieu avec son assistante londonienne lorsqu'elle est attablée devant une pâtisserie (pas d'au-revoir sans gâteau à Londres !) qu'on dirait être la première de toute sa vie. Here's to you ! À votre santé lui souhaite-t-on alors.
Mais les paroles de certaines chansons ont un goût amer. Ainsi By myself ... car si elle chante I’ll go my way by myself on sait qu'elle n'aura pas réussi à suivre un chemin heureux. Jamais. Même enfant elle aura eu du mal à faire respecter une heure de pause dans son contrat et à obtenir la permission de grignoter quelque chose. Les scènes de manipulation subies dans l'enfance sont atroces. J'ai été effarée du nombre de médicaments qu’on lui fait avaler comme d’autres croqueraient des bonbons.
Rien d'étonnant à ce qu'elle soit devenue toxicomane et que sa santé ait lâché. Le conseil du médecin anglais la priant de prendre mieux soin d'elle est totalement irréaliste. Elle est d'ailleurs autant dépendante de la chimie que de la scène qui l'attire comme un aimant. Elle paiera de sa vie l'immense succès du Magicien d'Oz (qui lui valut l'Oscar spécial de la "meilleure jeune actrice" en 1940) après une trentaine d'années d'applaudissements et de larmes. Une vie dont personne ne rêverait.
Renée Zellweger a reçu l'oscar de la meilleure actrice pour cette prestation, face à Cynthia Erivo (Harriet), Scarlett Johansson (Marriage Story), Saoirse Ronan (Les Filles du docteur March) et Charlize Theron (Scandale). A noter que la comédienne avait eu, en 2003, l'oscar du meilleur second rôle féminin pour Retour à Cold Mountain.
Rupert Goold réalise ici son second film pour le cinéma après le thriller True Story, qui lui aussi prend racine dans des faits réels. A noter qu'on lui doit également King Charles III, un téléfilm consacré au célèbre roi d'Angleterre.
Judy, réalisé par Rupert Goold
Avec Renée Zellweger, Jessie Buckley, Finn Wittrock
Sortie en salles le 26 février 2020
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