Le nouvel album, le troisième, de Mathias Duplessy, m'a totalement ravie et fait voyager très loin ... vers l'Est. Le concert qu'il a donné avec ses musiciens, les Violins of the World, au Café de la Danse le jeudi 27 février 2020 a été un grand moment de partage et de plaisir.
La soirée a commencé avec quelques morceaux de Macha Gharibian, une pianiste étonnante, capable de jouer assise ou debout, des deux mains comme d'une seule. Sa voix volcanique a sculpté l'atmosphère de la salle. Elle a enchanté nos oreilles avec une première chanson, Sari Siroun Yar, qui est un chant traditionnel arménien qu’elle avait eu l’habitude d’entendre chanter par son père, le guitariste Dan Gharibian, dont je rappelle qu'il est le co-fondateur de l'immense groupe Bratsch.
Elle dédia à toutes les femmes la quatrième, co-écrite avec Pierre de Tregomain, The Woman I Am Longing To Be, et nous a ensuite tous fait chanter. Le seul regret est de ne pas avoir réussi à la faire revenir pour un rappel alors que nous l’applaudissions chaleureusement. Retenez son nom, et son prénom, et le titre de son troisième album, Joy Ascension, sorti le 24 janvier 2020 (Meredith Records/Rue Bleue/Pias).
On peut en dire qu'il oscille entre jazz, soul-folk et blues, et qu'il a contribué parfaitement à nous préparer à la suite du concert. Mathias Duplessy (dont c'est lui aussi le troisième album, sortie le 24 janvier chez Absilone) est arrivé avec avec sa guitare folk et non pas trois, mais quatre musiciens, parmi lesquels Stephen Bedrossian, son compagnon de route contrebassiste depuis vingt ans.
Il était bien entendu accompagné des trois grands maîtres de vièles traditionnelles, qui composent le groupe des Violins of the World : Guo Gan, maître de la vièle chinoise erhu, reconnaissable à sa longue robe grise, Epi (Enkhjargal Dandarvaanchig) à la vièle mongole à tête de cheval, et l'impétueux Aliocha Regnard à la vièle scandinave, le ou la nyckelharpa qui est un instrument de musique traditionnel à cordes frottées d'origine suédoise, plus précisément de la région d'Uppland, au nord de Stockholm.
Ensemble ils ont le goût des aventures sonores et des voyages imaginaires. Si le plaisir qu'ils ont à jouer et chanter ensemble ils ne sont pas bavards et chacune de leurs compositions s'apparente à une petite cérémonie.
Mathias aime introduire un concert, non pas avec un morceau nouveau mais de manière rituelle avec le très beau et mélancolique morceau Montagnes, extrait de l'album "Crazy Horse" sorti en 2016 qui sera très applaudi. Il est seul à chanter avant d'être rejoint par les autres. Personne n'a de partition devant les yeux. Seule la "set-list" les guidera d'un morceau à l'autre.
Ce fut ensuite une sorte de jazz manouche chinois, très enlevé et rapide, Chinese Dumplings (piste 4) composé par Guo Gan.
Retour au calme et à une forme de romantisme lancinant avec Texas Bolero (piste 1).
C'est ensuite un des plus célèbres morceaux de guitare, Asturias, d'Isaac Albeniz (album Marco Polo, son premier album) que Mathias interprète avec le corps tout entier. C'est un spectacle de le voir taper du pied et les spectateurs lui font une ovation. Lorsqu'il prend ensuite la parole le guitariste est essoufflé comme s'il avait couru un marathon ... alors qu'il n'a pas chanté.
Une petite mélodie a été interprétée par Guo Gan en hommage aux chinois en train de lutter contre l'épidémie de coronavirus (ce soir là le virus n'avait pas encore pris le nom de Covid 19. On ne se doutait pas que ce serait une pandémie et j'étais loin de réaliser que j'assistais à mon "dernier" concert en public).
Japanese in Paris (piste 8) est une valse offerte en dédicace à Foujita qui s'est rendu en Chine en 1938 avec d'autres artistes, en tant que peintre attaché aux armées en guerre. Est-ce intentionnel mais j'entends une évocation à la musique du film In the Mood of Love.
Suivra la reprise de la si célèbre musique de film signée par Ennio Morricone The Good The Bad The Ugly (piste 2), reconnaissable entre mille dans les trois premières secondes, qui fut un succès international depuis 1966, si représentatif d'un genre qu'on appela le western spaghetti, car réalisé par des italiens, ici Sergio Leone. Ce morceau est autant joué, que chanté, et bruité. Il réussit le grand écart entre l'ouest et l'est et la voix hallucinante d’Epi (qui couvre quasiment 4 octaves) nous transporte totalement. L'illusion de vivre la rencontre entre un coyote et une cohorte de chevaux est frappante.
Cette fois c'est au tour d'Aliocha d'introduire le morceau suivant, Horizon Blues (piste 10) qui me fait penser, à chaque fois que je l'entend au refrain de La complainte du phoque en Alaska, écrite (paroles et musique) par l'auteur-compositeur-interprète québécois Michel Rivard et popularisé par le groupe Beau Dommage au début des années 70.
Changement de registre avec Kung Fu (piste 7) que Mathias a composé avec Guo en hommage aux films du genre. Il hurle sans retenue avant de faire grincer les cordes de sa guitare folk. Quelques miaulements s'entendront ça est là tandis que le quatuor crie Kung-Fu sur les dernière notes et que la scène est inondée de lumières roses.
Mathias avoue son admiration pour Dire Straits qui est, dit-il écouté même en Mongolie. Il a choisi de reprendre Brothers in arms (piste 6) pour le plus grand plaisir de l'assemblée, avec un peu de "réverb" et leurs instruments, en donnant une belle place à la nyckelharpa d’Aliocha, très élégante au niveau des ornements. Et pour la première fois ce soir, on entend Mathias chanter distinctement, d'une voix grave, profonde, terreuse.
Nous avons senti que nous approchions de la fin du concert. Epi a ses quelques minutes de solo pour nous emmener sur son cheval à la rencontre d'un petit garçon auquel un chamane raconterait la nature, les oiseaux, la vie animale. C'est le sujet de Tcheren Daya (album Crazy Horse, 2016) qui est cette fois interprété par Mathias dans une langue qu'il a inventée pour l'occasion.
Toujours plus fort, plus loin, nous sautons sur la selle des petits chevaux mongols sur Crazy Horse (album Crazy Horse) et nous chevauchons sauvagement la campagne, à toute vitesse, dopés par les cris des musiciens. C'est fougueux et l'équipage de violons semble sans limites pour conquérir le monde.
Que ce soit en revisitant de grands standards de Dire Straits et d'Ennio Morricone ou à travers des compositions originales ces musiciens nous font voyager très loin avec ce troisième opus et dans une direction différente à chaque morceau.
Difficile d'accepter de se quitter ... Ils reviennent après les saluts pour Road to East (album Crazy Horse) plus lent, enveloppant, avec sans doute l'intention de faire retomber un peu la pression. Et pour terminer vraiment Gnossienne No. 1 qui est une adaptation de Satie suivie du même Asturias que celui qui avait été joué un peu plus tôt (tous deux de l'album Marco Polo).
Après avoir été entrainante comme une sarabande, la musique deviendra slow langoureux et se fera berceuse pour un public qui restera longtemps sous le charme.
Après avoir été entrainante comme une sarabande, la musique deviendra slow langoureux et se fera berceuse pour un public qui restera longtemps sous le charme.
Avec ce nouvel album, les quatre virtuoses dressent une passerelle entre tradition et modernité, avec l'audace et la créativité qui permettent d'effacer les frontières de genre. La particularité de leurs harmonies font leur signature que nous apprécions tant, confirmant le succès du précédent album, Crazy Horse (20 millions de vues sur Facebook, et plusieurs tournées internationales …).
Duplessy & The Violins of The WorldNouvel album Brothers of String (Frères de chaine)
Sortie le 24/01/2020 chez Absilone
En concert le 27/02/2020 au Café de la Danse à Paris
Rappel biographique : (cf site de l'artiste)
Musicien autodidacte, Mathias Duplessy compose sur sa guitare depuis l’âge de 6 ans. Dans son jeune âge, il se passionne d’abord pour la musique classique, et plus particulièrement pour Ravel, son intarissable source d’inspiration. S’en suit la découverte du jazz, Miles Davis, John Coltrane, résonnent dans son walkman sur le trajet de l’école.
Il s’envole du nid familial à 18 ans et très vite, accompagne sur scène les grands noms de la World Music parisienne… Il séjourne régulièrement à Grenade, où il s’initie au flamenco parmi les gitans. Il y développe et invente des techniques particulières à la main droite (rasaguedo) dont il se servira sur scène ou dans ses compositions.
Amoureux des musiques traditionnelles il apprend à jouer des instruments venus des quatre coins du monde… Morin khuur, Igil, vièles, guimbarde, berimbao, flûtes et percussions en tous genre, saz, oud, banjo peuplent son studio d’enregistrement, et nourrissent ses orchestrations. Mathias se plaît à détourner, mélanger, réinventer l’univers artistique de ces instruments loin des sentiers de leurs origines en y superposant sa voix tantôt voluptueuse, tantôt diphonique.
Mathias est aussi cinéphile, il compose régulièrement pour des films, des documentaires, et réalise lui même tous ses clips. En 2014, la musique qu’il compose pour le film indien Finding Fanny, obtient deux nominations pour meilleur background score (Film fair award & Radio mirchi award). Son œuvre est particulièrement marquée par les compositeurs des années 60 et 70 tel Nino Rota, Ennio Morricone, Michel Legrand ou Vladimir Cosma…
En 2011 Mathias fait la rencontre de Jérémy Jouve qui deviendra très vite l’ambassadeur de ses pièces pour guitare classique, aujourd’hui jouées par les plus grands solistes internationaux.
Insatiable, curieux, Mathias n’a eu de cesse de diversifier ses sources d’inspiration, et de collaborer avec des artistes de toutes les traditions, abolissant ainsi les frontières des genres, pour aboutir à un style sans pareil.
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