J'avais plébiscité le premier roman de Sophie De Baere, découvert grâce aux 68, La dérobée et c'est avec un grand plaisir que j'ai ouvert le second, intitulé Les corps conjugaux.
Fille d’immigrés italiens, Alice Callandri consacre son enfance et son adolescence à prendre la pose pour des catalogues publicitaires et à défiler lors de concours de beauté. Mais, à dix-huit ans, elle part étudier à Paris. Elle y rencontre Jean. Ils s’aiment intensément, fondent une famille, se marient. Pourtant, quelques jours après la cérémonie, Alice disparaît. Les années passent mais pas les questions. Qu’est-elle devenue ? Pourquoi Alice a-t-elle abandonné son bonheur parfait, et son immense amour, sa fille de dix ans ?
Je ne vais évidemment pas vous dévoiler les tenants et les aboutissants de cette histoire d'amour fou qui se vivra au coeur de multiples secrets de famille, mais il y a tout de même quelques petits détails à savoir pour l'apprécier pleinement, et paradoxalement surtout pour ceux qui furent ses premiers lecteurs.
Sophie de Baere aime tant les héros raciniens qu'elle a donné leur tempérament à Alice et Jean dont elle a choisi de situer l'histoire dans le contexte encore conformiste des années 90 (sur certains aspects puisque la pédocriminalité était curieusement très acceptable dans certains milieux).
Cette clé de lecture vous permettra d'accepter l'effroi qu'Alice peut ressentir à l'idée que son entourage découvre qui est véritablement l'homme qu'elle a épousé. Car il me semble que pareille situation ne serait pas aussi dramatique aujourd'hui où la puissance des sentiments, quand ils sont vrais et partagés, ne condamne pas le bonheur.
D'ailleurs Catherine Locandro avait publié l'année dernière sur cette même veine Des coeurs ordinaires qui est un roman dont l'action se déroule plus près de nous.
C'est un fait divers s'étant déroulé au Brésil qui a été le point de départ du roman. Dans la réalité l'histoire se poursuit puisque les amoureux restent ensemble. Sophie de Baere a décidé d'écrire une tragédie, celle d'Alice qui se trouve empêchée par sa mère (extrêmement toxique au demeurant) pygmalion tant aimée et tant subie (p. 58) de vivre sa passion en la menaçant de tout révéler à sa fille âgée alors d'une dizaine d'années, et qui aurait tant souhaité que ses parents soient de simples "corps conjugaux".
Alice ne voit alors que deux issues, avaler sa honte et prendre la fuite ou sombrer dans la folie et se donner la mort. Le lecteur lui aussi oscille entre compassion et terreur, en ne pouvant s'empêcher de prendre parti, même si, nous en serons d'accord, il ne faut jamais juger l'amour (p. 293).
L'auteure nous offre une parabole bouleversante à partir d'un évènement hors du commun. C'est parfois glaçant mais superbement écrit ! A titre d'exemple Jean est présenté (p. 47) comme un mélange de brindilles vite emportées par la brise et de solides racines souterraines.
Je peux vous annoncer que Sophie de Baere est déjà en train d'écrire un troisième roman, lequel devrait être moins "racinien" que celui-ci. Il ne faudrait donc pas la classer comme autrice de tragédies.
Les corps conjugaux de Sophie de Baere, chez JC Lattès, en librairie depuis le 22 janvier 20
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