Voilà encore un spectacle essentiel et il se joue lui aussi à La Scène Parisienne qui offre pour sa réouverture une programmation de grande qualité.
Une table de bois avec une toile cirée fleurie comme on en a tous connue chez nos grands-parents ... cela semble pauvre comme décor mais c'est bien l'élément essentiel symbolisant alors la vie d'un foyer.
Coté jardin, une vareuse pend à un cintre et rappelle la mémoire du père.
Coté cour, un accordéoniste (Gregory Daltin) qui fait bien davantage qu'accompagner le spectacle.
Nous sommes à Nogent-sur-Marne, chez des immigrés italiens qu'on appela d'abord les Macaronis jusqu'aux années 1935, et puis qu'on désigna ensuite par le terme, sans doute pas plus élogieux de Ritals. On était les seuls étrangers explique le petit garçon (Bruno Putzulu). J'avais beau parfaitement savoir que François Cavanna (1923-2014) avait écrit Les Ritals (publié chez Belfond en 1978) et avoir entendu l'auteur en parler j'ai été tellement happée par l'histoire de ce petit garçon parlant de lui, quand il était gosse, en jurant que c’est rien que du vrai que j'ai complètement oublié l'origine du texte.
Sachant le comédien d'origine italienne je suis allée jusqu'à croire qu'il me racontait sa propre histoire familiale. Seules les dates m'ont fait tiquer. Bruno ne pouvait pas avoir 12 ans en 1935 : ça ne collait pas. J'ai failli le rencontrer à la fin du spectacle et j'aurais fait une belle gaffe en l'interrogeant là-dessus. ou peut-être non. Il aurait sans doute pris ma naïveté pour un immense compliment. Rien n'est mieux que de croire à ce qu'on voit sur la scène, non ? Surtout pour quelqu'un comme moi qui va beaucoup au théâtre.
Revenons au sujet. François Cavanna (dont on remarquera que le prénom ne pouvait pas être plus "français") offre, dans un roman autobiographique, un vibrant hommage à son père, sans pour autant renier sa mère et sans masquer sa colère contre les coups du sort. Manman, dit-il en gonflant les joues, ... quelle bourrasque ! Et le spectateur imagine très bien chaque scène parce que la drôlerie, la tendresse et le dynamisme de l'écriture sont respectés, quasiment sublimés.
Le roman a déjà été adapté au cinéma, mais c'est la première fois qu'il est joué sur une scène de théâtre. Si l'interprétation coule de source la performance est réelle et je peux dire que le comédien "mouille la chemise" pour interpréter tous les personnages, père, mère, enfant ... copains, et même une fille de joie… et pour chanter aussi, avec la complicité du musicien qui est un vrai partenaire, pendant une heure quinze, et sans jamais sortir de scène.
Pour la première fois de sa carrière, aussi belle au cinéma qu'au théâtre, ce grand acteur de la Comédie Française assume un seul-en-scène. Il était jusqu'à quelques jours le juré numéro 8 de Douze hommes en colère au Théâtre Hébertot, celui-là même interprété interprété au cinéma par Henri Fonda, qui ne lève pas la main parce qu'il n'est convaincu ni de l'innocence ni de la culpabilité de l'accusé, et dont la conscience fait tout basculer.
Ici il passe aisément du phrasé parisien aux vocalises italiennes. Il a en commun avec Cavanna (et je crois aussi avec Grégory Daltin) d'avoir eu pareillement une mère française (normande) et un père italien (sarde) qui, lui aussi a tout fait pour s'intégrer, allant jusqu'à franciser son prénom de Giovanni, devenu Jean, y compris sur sa pierre tombale. Celui de Cavanna, Luigi (1880-1954), était devenu Louis en obtenant la naturalisation en octobre 1939 à la suite des menaces de renvoi en Italie pendant les années 1930. La différence tient à ce qu'il n'a découvert le racisme subi par son père que lorsqu'il est allé travailler à l'usine où les camarades lui ont alors raconté quelques anecdotes.
Du coup (mais cela ne minore pas son mérite) il a sans doute été naturel de se glisser dans la peau de ce petit garçon à l'enfance modeste au sein d'une famille où l'on "tout fait pour ses enfants". Par contre, si François était enfant unique, Bruno avait un frère, Mario, et c'est lui qui le met en scène.
Moins médiatique que son frère, Mario Putzulu (né en 1952) partage avec Bruno (né en 1967) la passion du théâtre. Licencié en philosophie, il a exercé de nombreux métiers : manutentionnaire, ouvrier spécialisé, vendeur, régisseur… et il fut longtemps professeur des écoles. Mais Mario fut aussi comédien. De 1986 à 1988 il a suivi une formation au Théâtre des deux rives à Rouen, avec Catherine Delattres et Michel Bézu. Il a joué dans 19 pièces. Bruno dit volontiers que c'est grâce à lui qu'il est devenu comédien parce que c'est lui qui l’a fait monter sur scène la première fois. Comme il a eu raison de lui confier la mise en scène du spectacle!
Tout a commencé pour les Ritals avec la proposition faite par Rocco Femia, directeur de la revue Radici, à Bruno Putzulu et Grégory Daltin, d’intervenir à la Mutualité de Paris lors de conférences sur l’émigration italienne, en 2016, avec un extrait du texte de François Cavanna. Le public est partagé entre émotion et rires. Alors Bruno s'attelle à l'adaptation et Grégory à la musique. Une lecture mise en espace a lieu en octobre 2017 à Toulouse. Le succès se confirme et Mario est appelé pour la mise en scène.
De Cavanna, l'histoire retient la célébrité et les coups de gueule. Mais il faut savoir que n'ayant pas envie de poursuivre ses études il entra à la Poste en septembre 1939 (était-il influencé par sa mère qui aurait rêvé d'épouser un employé des Postes plutôt qu'un maçon ?) et perdra son emploi suite à des compressions de personnel. Il deviendra commis d'un marchand de fruits et légumes, puis travaillera dans plusieurs entreprises du bâtiment. Fin 1942, ironie de l'histoire, il sera recruté comme maçon par le service d'entretien d'une firme nogentaise, avant d'être requis pour le STO (début 1943).
On se souvient plus de lui comme chroniqueur, illustrateur et humoriste, souvent féroce avec ses contradicteurs. Il avait fondé Hara Kiri et Charlie (fusionnés en Charlie Hebdo), il ne faut pas oublier. Mais il était aussi capable d'une infinie tendresse et le comédien la restitue à la perfection, sans faire oublier la pauvreté, en sublimant les joies simples du quotidien. Les anecdotes pourraient faire rire mais elles ne font que sourire et l'on voudrait nous aussi serrer entre nos bras ce papa qui ne se révolte jamais.
Le spectacle commence comme le roman par l'évocation du père maçon, fabriquant de nouveaux mètres avec les bouts de mètres cassés ramassés sur les chantiers : Le dimanche matin, […], papa ouvre la fenêtre, […], et il répare des mètres. […] Avec un paquet de vieux mètres, papa en fait un neuf. Quand il est fait, il le regarde au soleil, content comme tout. Il y a juste le nombre de branches qu'il faut, cinq pour un mètre simple, dix pour un double mètre, juste le nombre, pas une branche de plus ou de moins, merde, c'est pas un con, papa. Je suis très fier de lui.
Nous quitterons la cuisine pour aller nous promener sur les bords de Marne, à Nogent, découvrir les guinguettes, les bals populaires, tout cela en marge du Front populaire et d'une crise économique.
Il s'achève de la même façon sur cette conclusion : J'étais parti pour raconter les Ritals, je crois qu'en fin de compte j'ai surtout raconté papa.
Je ne sais pas si le texte a une valeur universelle. Ce que je sais c'est qu'à de nombreux moments j'ai eu le sentiment de voir le mien de papa, qui n'est pourtant pas italien, mais qui a lui aussi subi une forme de racisme, celui d'être né dans une famille de paysans que l'on traitait de culs-terreux. Dans les années cinquante le mépris touchait tous ceux qui n'avaient pas la chance de "faire des études" et qui n'étaient pas pour autant des illettrés.
Puisse ce spectacle ouvrir les yeux sur tout ce que l'humanité a de simple et de beau. Et faire comprendre qu'on peut être humble sans risquer l'humiliation.
Et s'il nous est permis de faire un voeu, on aimerait bien que le trio se penche aussi sur la suite du récit de sa vie que Cavanna raconta dans Les Russkoffs (1979), à moins qu'il ne travaille d'abord sur la poursuite de l'enfance et sur la mère qui sont au coeur de L'Œil du lapin (1987).
Nous sommes à Nogent-sur-Marne, chez des immigrés italiens qu'on appela d'abord les Macaronis jusqu'aux années 1935, et puis qu'on désigna ensuite par le terme, sans doute pas plus élogieux de Ritals. On était les seuls étrangers explique le petit garçon (Bruno Putzulu). J'avais beau parfaitement savoir que François Cavanna (1923-2014) avait écrit Les Ritals (publié chez Belfond en 1978) et avoir entendu l'auteur en parler j'ai été tellement happée par l'histoire de ce petit garçon parlant de lui, quand il était gosse, en jurant que c’est rien que du vrai que j'ai complètement oublié l'origine du texte.
Sachant le comédien d'origine italienne je suis allée jusqu'à croire qu'il me racontait sa propre histoire familiale. Seules les dates m'ont fait tiquer. Bruno ne pouvait pas avoir 12 ans en 1935 : ça ne collait pas. J'ai failli le rencontrer à la fin du spectacle et j'aurais fait une belle gaffe en l'interrogeant là-dessus. ou peut-être non. Il aurait sans doute pris ma naïveté pour un immense compliment. Rien n'est mieux que de croire à ce qu'on voit sur la scène, non ? Surtout pour quelqu'un comme moi qui va beaucoup au théâtre.
Revenons au sujet. François Cavanna (dont on remarquera que le prénom ne pouvait pas être plus "français") offre, dans un roman autobiographique, un vibrant hommage à son père, sans pour autant renier sa mère et sans masquer sa colère contre les coups du sort. Manman, dit-il en gonflant les joues, ... quelle bourrasque ! Et le spectateur imagine très bien chaque scène parce que la drôlerie, la tendresse et le dynamisme de l'écriture sont respectés, quasiment sublimés.
Le roman a déjà été adapté au cinéma, mais c'est la première fois qu'il est joué sur une scène de théâtre. Si l'interprétation coule de source la performance est réelle et je peux dire que le comédien "mouille la chemise" pour interpréter tous les personnages, père, mère, enfant ... copains, et même une fille de joie… et pour chanter aussi, avec la complicité du musicien qui est un vrai partenaire, pendant une heure quinze, et sans jamais sortir de scène.
Pour la première fois de sa carrière, aussi belle au cinéma qu'au théâtre, ce grand acteur de la Comédie Française assume un seul-en-scène. Il était jusqu'à quelques jours le juré numéro 8 de Douze hommes en colère au Théâtre Hébertot, celui-là même interprété interprété au cinéma par Henri Fonda, qui ne lève pas la main parce qu'il n'est convaincu ni de l'innocence ni de la culpabilité de l'accusé, et dont la conscience fait tout basculer.
Ici il passe aisément du phrasé parisien aux vocalises italiennes. Il a en commun avec Cavanna (et je crois aussi avec Grégory Daltin) d'avoir eu pareillement une mère française (normande) et un père italien (sarde) qui, lui aussi a tout fait pour s'intégrer, allant jusqu'à franciser son prénom de Giovanni, devenu Jean, y compris sur sa pierre tombale. Celui de Cavanna, Luigi (1880-1954), était devenu Louis en obtenant la naturalisation en octobre 1939 à la suite des menaces de renvoi en Italie pendant les années 1930. La différence tient à ce qu'il n'a découvert le racisme subi par son père que lorsqu'il est allé travailler à l'usine où les camarades lui ont alors raconté quelques anecdotes.
Du coup (mais cela ne minore pas son mérite) il a sans doute été naturel de se glisser dans la peau de ce petit garçon à l'enfance modeste au sein d'une famille où l'on "tout fait pour ses enfants". Par contre, si François était enfant unique, Bruno avait un frère, Mario, et c'est lui qui le met en scène.
Moins médiatique que son frère, Mario Putzulu (né en 1952) partage avec Bruno (né en 1967) la passion du théâtre. Licencié en philosophie, il a exercé de nombreux métiers : manutentionnaire, ouvrier spécialisé, vendeur, régisseur… et il fut longtemps professeur des écoles. Mais Mario fut aussi comédien. De 1986 à 1988 il a suivi une formation au Théâtre des deux rives à Rouen, avec Catherine Delattres et Michel Bézu. Il a joué dans 19 pièces. Bruno dit volontiers que c'est grâce à lui qu'il est devenu comédien parce que c'est lui qui l’a fait monter sur scène la première fois. Comme il a eu raison de lui confier la mise en scène du spectacle!
Tout a commencé pour les Ritals avec la proposition faite par Rocco Femia, directeur de la revue Radici, à Bruno Putzulu et Grégory Daltin, d’intervenir à la Mutualité de Paris lors de conférences sur l’émigration italienne, en 2016, avec un extrait du texte de François Cavanna. Le public est partagé entre émotion et rires. Alors Bruno s'attelle à l'adaptation et Grégory à la musique. Une lecture mise en espace a lieu en octobre 2017 à Toulouse. Le succès se confirme et Mario est appelé pour la mise en scène.
De Cavanna, l'histoire retient la célébrité et les coups de gueule. Mais il faut savoir que n'ayant pas envie de poursuivre ses études il entra à la Poste en septembre 1939 (était-il influencé par sa mère qui aurait rêvé d'épouser un employé des Postes plutôt qu'un maçon ?) et perdra son emploi suite à des compressions de personnel. Il deviendra commis d'un marchand de fruits et légumes, puis travaillera dans plusieurs entreprises du bâtiment. Fin 1942, ironie de l'histoire, il sera recruté comme maçon par le service d'entretien d'une firme nogentaise, avant d'être requis pour le STO (début 1943).
On se souvient plus de lui comme chroniqueur, illustrateur et humoriste, souvent féroce avec ses contradicteurs. Il avait fondé Hara Kiri et Charlie (fusionnés en Charlie Hebdo), il ne faut pas oublier. Mais il était aussi capable d'une infinie tendresse et le comédien la restitue à la perfection, sans faire oublier la pauvreté, en sublimant les joies simples du quotidien. Les anecdotes pourraient faire rire mais elles ne font que sourire et l'on voudrait nous aussi serrer entre nos bras ce papa qui ne se révolte jamais.
Le spectacle commence comme le roman par l'évocation du père maçon, fabriquant de nouveaux mètres avec les bouts de mètres cassés ramassés sur les chantiers : Le dimanche matin, […], papa ouvre la fenêtre, […], et il répare des mètres. […] Avec un paquet de vieux mètres, papa en fait un neuf. Quand il est fait, il le regarde au soleil, content comme tout. Il y a juste le nombre de branches qu'il faut, cinq pour un mètre simple, dix pour un double mètre, juste le nombre, pas une branche de plus ou de moins, merde, c'est pas un con, papa. Je suis très fier de lui.
Nous quitterons la cuisine pour aller nous promener sur les bords de Marne, à Nogent, découvrir les guinguettes, les bals populaires, tout cela en marge du Front populaire et d'une crise économique.
Il s'achève de la même façon sur cette conclusion : J'étais parti pour raconter les Ritals, je crois qu'en fin de compte j'ai surtout raconté papa.
Je ne sais pas si le texte a une valeur universelle. Ce que je sais c'est qu'à de nombreux moments j'ai eu le sentiment de voir le mien de papa, qui n'est pourtant pas italien, mais qui a lui aussi subi une forme de racisme, celui d'être né dans une famille de paysans que l'on traitait de culs-terreux. Dans les années cinquante le mépris touchait tous ceux qui n'avaient pas la chance de "faire des études" et qui n'étaient pas pour autant des illettrés.
Puisse ce spectacle ouvrir les yeux sur tout ce que l'humanité a de simple et de beau. Et faire comprendre qu'on peut être humble sans risquer l'humiliation.
Plusieurs moments sont d'une intensité spéciale et les larmes me sont souvent montées aux yeux. Ah ... le chômage des années 1932-33 qui exacerbe la montée d'un racisme ordinaire, par ceux qui accuseront toujours les autres de venir prendre leur travail, (leur pain) et de toucher le chômage par-dessus le marché. On aurait voulu qu'après avoir participé à l'économie et fondé une famille ils rentrent subitement sur les terres de leur famille, alors que chez nous est devenu chez eux ?
Ah ... le mythe de l'employé des Postes que sa mère aurait rêvé d'épouser. Ah ... le calme du père qui ne proteste rien et qui tait sa honte. Ah ... l'histoire de la petite pêche qui deviendra un arbre. Ah ... le parapluie.
Et s'il nous est permis de faire un voeu, on aimerait bien que le trio se penche aussi sur la suite du récit de sa vie que Cavanna raconta dans Les Russkoffs (1979), à moins qu'il ne travaille d'abord sur la poursuite de l'enfance et sur la mère qui sont au coeur de L'Œil du lapin (1987).
Les Ritals de François Cavanna,
Mis en scène par Mario Putzulu
Avec Bruno Putzulu et Gregory Daltin (Aurélien Noël en alternance)
En tournée sur toute la France
Puis du 16 janvier 2020 au 26 avril 2020
A La Scène Parisienne
34, rue Richer, 75009 Paris
Du jeudi au samedi à 21 heures
Le dimanche à 18 heures
Programmation interrompue pour cause d'épidémie.
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