12 hommes en colère est un spectacle tout à fait complémentaire à Plaidoiries... parce qu'il met en relief un autre aspect de la justice, l’élaboration de la prise de décision du jury, en nous permettant de vivre ce temps particulier pendant lequel se forge cette décision, à partir d’une intuition, ou d’un raisonnement, sans qu’alors un avocat ne vienne influencer chacun des jurés, même si l’un d’eux se comporte comme tel.
Pour ceux qui ne connaitrait pas le sujet je rappelle le contexte qui se situe aux Etats-Unis. 12 hommes, au cours de la délibération d’un procès, ont la responsabilité de juger un jeune homme accusé de parricide. Si pour 11 d’entre eux sa culpabilité est évidente, un juré va émettre des doutes. Or il faut l’unanimité pour prononcer un verdict d’acquittement ou la chaise électrique.
On assiste dans une tension palpable à un drame judiciaire dans lequel l’intelligence, l’humanité et la persévérance d’un seul homme vont mettre à mal les certitudes et les préjugés des 11 autres jurés, chacun habité et influencé par son histoire personnelle. Au-delà de l’enjeu du procès, cette pièce au propos éminemment moderne questionne sur la façon dont est rendue la justice, montrant à quel point les préjugés indéracinables et l’intolérance de certains peuvent décider de la vie d’un homme.
"Twelve Angry Men" a été écrit en 1953 par Reginald Rose pour le théâtre mais c’est l’adaptation cinématographique du premier film de Sidney Lumet qui l’a rendu célèbre quatre ans plus tard. Bruno Putzulu reprend le rôle tenu par Henry Fonda. C'est un très beau rôle puisqu'il fera basculer l'issue, avec patience et détermination, faisait triompher le doute. Francis Lombrail assume celui (ingrat) de l'américain arcquebouté dans le conformisme.
Je n'ai pas été étonnée à retrouver au Théâtre Hébertot l’atmosphère du film à quelques nuances près et l'adaptation faite par Francis Lombrail est remarquable. Quant au metteur en scène, Charles Tordjman, il ne pouvait pas user de focales différentes pour rendre compte de la sensation d’étouffement. Il s'appuie donc davantage sur le décor, évoquant une pièce en sous-sol et sur la bande son, discrète, ponctuée de coups de tonnerre, avec un éclairage qui diminue au fil de la représentation.
Peu importe que le prévenu ait 16 ans et non plus 18, et que la cigarette ait disparu, il fallait bien en quelque sorte "actualiser" le contexte. Cidalia da Costa s’est subtilement inspirée des vêtements portés dans le film, nous permettant d'être dans un espace-temps qui n'est pas vraiment daté. Si les murs sont intemporels les costumes, les coiffures et une certaine manière de se tenir et de parler évoquent d'une façon à peine appuyée la fin des années cinquante, dans une Amérique très conformiste et machiste. Ce qui étonne le plus, c’est par contre l’absence de femme et de personne de couleur évidemment.
Le casting est parfait. On reconnaît chacun des jurés dont l'image était si marquée dans le film, et pourtant il se dégage une forme de contemporanéité qui tient le spectateur en haleine. Pour moi qui me souviens du film, et de chaque rebondissement, il n’y a aucune surprise et cependant je n’ai pas perdu une bribe des dialogues, tant l’interprétation est juste.
La question de la culpabilité et du doute est un sujet qui nous préoccupe tous à une époque où les réseaux sociaux semblent gouverner les opinions. La surprise est venue de la découverte d’un potentiel humoristique que je m'explique mal. Tient-il au jeu des comédiens, à la volonté du metteur en scène de rendre la soirée agréable ou était-ce le public de ce soir là qui était particulièrement réceptif aux nuances ?
Le premier rire a parcouru la salle à l’annonce de la sentence : c’est jugé d’avance, il est foutu. Parce qu’on sait parfaitement que non. Les dés sont pipés. La pièce ne semble alors pas pouvoir avoir la capacité à provoquer une crise de conscience comparable à celle que suscita le film. On est en France aussi et la peine de mort n’existe plus. Cependant l’erreur judiciaire est hélas éternelle et au fil de la soirée plus d’un raisonnement fera écho à des faits récents.
Mais à ce moment là c’est surtout la qualité de jeu des comédiens qu’on savoure, comme les enfants qui adorent entendre la même histoire dont ils anticipent les frissons.
À la fin, après quelques silences pesants le président de séance pourra annoncer qu’ils sont prêts pour le verdict. Les applaudissements sont à la hauteur de la satisfaction du public. Le Globe de cristal couronnant la meilleure pièce de théâtre pour l'année 2018 est amplement mérité ... on se demande où était Molière cette année là.
12 Hommes en colèreUne pièce de Reginald Rose
Adaptation française Francis Lombrail
Mise en scène Charles Tordjman
Avec Jeoffrey Bourdenet, Antoine Courtray, Philippe Crubezy, Olivier Cruveiller, Adel Djemaï, Christian Drillaud, Claude Guedj, Roch Leibovici, Pierre Alain Leleu, Francis Lombrail, Bruno Putzulu, Pascal Ternisien et en alternance : Thomas Cousseau, Xavier de Guilbon, François Raüch de Roberty
Décors Vincent Tordjman
Lumières Christian Pinaud
Costumes Cidalia Da Costa
Musiques Vicnet
Du 04 octobre 2018 au 6 janvier 2019
Du mardi au samedi à 19h et le dimanche à 17h
Au Théâtre Hébertot, 78 bis bd des Batignolles, 75017 Paris - 01 43 87 23 23
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