J’ai régulièrement la chance d’approcher de nombreux auteurs jeunesse, et de pouvoir leur dire -pour les plus âgés d'entre eux- combien leurs albums avaient joué un rôle déterminant dans ma construction, comme dans celle de myriades d’enfants.
Je n’ai jamais rencontré Elzbieta et pourtant s'il existait un panthéon pour les auteurs qui écrivent pour les enfants je la placerais au sommet tant pour la délicatesse de ses dessins, que pour la justesse de ses mots. Les uns comme les autres permettent de comprendre, parfois d’accepter l’insoutenable en apprivoisant les émotions.
Elzbieta a été nominée deux fois pour le Prix Astrid Lingen qui est un Prix international très prestigieux. C'était une personne exceptionnelle qui savait transformer le malheur en art. Elle en a "subi") des malheurs. Son père est mort quand elle était très jeune, Elle a eu des rapports très compliqués avec sa mère, et elle a vécu avec un oncle qui l'a exploitée, elle a été obligée de quitter plusieurs fois le pays où elle vivait, la Pologne et l'Alsace, puis l'Angleterre avant d'arriver à Paris.
Elle a immortalisé le jardin du Luxembourg à travers une très jolie histoire d'amour entre une souris et un merle pleine de poésie et en demi-teintes. Par contre quand elle dessinait un personnage censé représenter sa mère elle s'y prenait avec impertinence et faisait claquer les couleurs. C'était sa manière à elle d'exorciser le manque d'amour dont elle avait tant souffert.
Ce que je retiens surtout c'est un petit album magnifique de poésie et de justesse, conçu en 1993, pour expliquer et dénoncer ce que font les guerres aux hommes. Ça s'appelle Flon-Flon et Musette et il faut l'avoir lu au moins une fois dans sa vie. Et particulièrement au moment où on commémore les armistices.
Ce livre commence par montrer deux lapins adorables jouant près d'un ruisseau. Plus loin Elzbieta dessine des rouleaux de fils barbelés à la place du ruisseau en expliquant que c'est la guerre qui a fait pousser cette haie d'épines. Plus loin encore elle ajoute que la guerre fait un bruit immense, qu'elle allume de grands feux et qu'elle casse tout et que même lorsqu'elle se tait elle est encore proche parce que la guerre ne meurt jamais. Elle nous dit : elle s'endort seulement de temps en temps. Il faut faire très attention de ne pas la réveiller.
C'est simple mais clair. Même un enfant de 4 ans peut comprendre ce que ces mots signifient. Et quand elle montre Petit-Gris, debout dans son bateau, effaçant la misère du monde avec une grosse éponge, on comprend là encore l'idée sous-jacente.
La mort est une autre de ces choses qu’un enfant a évidemment beaucoup de difficulté à concevoir et dont nous, adultes, on ne sait pas comment parler à des petits. Elzbieta réussit là encore à mettre en images et en texte (on a envie de dire en chanson) un tel événement en lui donnant une portée universelle et ... en quelque sorte acceptable, du moins supportable.
C'est avec des illustrations mélancoliques, mais sans tristesse, qu'Elzbieta a raconté un accident survenu à un petit lapin qui s'appelle Hoplà et qui, si je résume, a été fauché par la petite auto d'un renard et qui meurt à l'hôpital sous le regard du petit oeil d'une souris. La répétition de cet adjectif petit fait son chemin jusqu'à la fin de l'enterrement.
Elzbieta avait l'art de signifier l'horreur sans jamais avoir recours à des images violentes, en employant des papiers déchirés qui conféraient une certaine fragilité. La plus dure est peut-être dans cette histoire celle du petit lapin Hoplà sur son lit d'hôpital, mais elle reste tout à fait supportable.
L'histoire se termine par ce qu'on pourrait appeler le devoir de mémoire et bien entendu je pense à cette grande dame en vous donnant la dernière strophe de l'histoire :
Elzbieta avait l'art de signifier l'horreur sans jamais avoir recours à des images violentes, en employant des papiers déchirés qui conféraient une certaine fragilité. La plus dure est peut-être dans cette histoire celle du petit lapin Hoplà sur son lit d'hôpital, mais elle reste tout à fait supportable.
L'histoire se termine par ce qu'on pourrait appeler le devoir de mémoire et bien entendu je pense à cette grande dame en vous donnant la dernière strophe de l'histoire :
Qui pleurera le petit lapin Hoplà ?
Nous ses amours. Nous ses amis.
Avec nos petites larmes,
nous pleurerons notre petit lapin Hoplà.
Elle nous a quitté le 8 octobre dernier, à l'âge de 82 ans. Je ne vous demande pas de la pleurer. Mais de grâce ouvrez ses livres et lisez les à vos enfants. Réclamez ses albums aux bibliothécaires. C'est un scandale de les faire dormir dans les réserves. Les albums sont des compagnons précieux qu'il ne faut jamais laisser mourir.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire