Nous sommes en Juillet 1959. Le somptueux yacht d'Aristote Onassis, le Christina O, appelé ainsi en hommage à sa fille, s'apprête à quitter le port de Monte-Carlo pour effectuer une croisière en Méditerranée avec, à son bord, beaucoup d'invités (que l'on ne verra pas). Parmi eux, deux en particulier seront sous les projecteurs : Winston Churchill et Greta Garbo. L’histoire est étonnante. Et pourtant vraie.
Il fallait des acteurs de l'envergure de Niels Arestrup et de Ludmilla Mikael pour interpréter ces deux "monstres" en parvenant à faire ressentir leurs forces mais aussi les blessures d'enfance qui les ont marqués tous les deux. Et entre eux Niklaus, le maitre d'hôtel, a de la présence sans occuper le devant de la scène. Le rôle est subtilement interprété par Baptiste Roussillon.
Le soir de la présentation de saison des Bouffes Parisiens Jean-Louis Benoît disait que c'était la première fois qu'il montait une pièce dite de "conversations", lesquelles sont en général situées dans un salon, ou sur un quai de gare. L'originalité de Skorpios au loin est que l'action se déroule sur un espace en mouvement.
Le méga yacht vogue par un beau ciel d'été vers les côtes de Ligurie et le décorateur Jean Haas a fait en sorte, avec une scénographie néanmoins très simple, de rendre cela palpable parce que le ciel passe de l'ombre au crépuscule et à la nuit.
Le spectateur a d'emblée l'impression de ressentir un léger souffle de vent, suggéré par une douce musique d'orchestre, le bruit des vagues, les cris des mouettes. Churchill est alors dos au public, face à la mer. Il se plaint de n'avoir pas fermé l'oeil de la nuit et s'étonne que le bateau soit encore à quai, à Monte Carlo. Il est encore plus surpris d'apprendre que la "Reine Christine" soit à bord. Le "sauveur du monde libre" s'en dit ébloui. Il faut dire que la pièce est une fantaisie, mot grec signifiant "apparition".
Il a réclamé son matériel de peinture. Le public peut ignorer que l'homme politique avait ce don mais l'actrice, qui est aussi collectionneuse, a vu l'exposition qu'il a faite à New York et le complimente : votre peinture est troublante.
Elle n'a surtout pas envie qu'il lui parle de ses films. L'homme d'Etat est peintre, mais aussi écrivain (il a reçu le Nobel de littérature cinq ans plus tôt) ... et légèrement dépressif : je suis touche à tout, tout m'écorche.
En face de lui Garbo confie avoir la sensation que plus rien ne l'atteint. On s'interroge sur son jugement. Est-elle fascinée ou agacée quand elle lui lance : évidemment vous ne capitulez jamais !
Ils vont discuter de tout, et de rien. De ce qu'ils vont bientôt déguster, comme d'un plat de homards qui sera divin ou diabolique tellement c'est bon, des proportions à respecter pour réussir un cocktail vodka-Martini, avec une larme de liqueur de pêche et un trait de Cognac (à consommer en toute modération).
Chacun fuit un désastre mais leur conception de l'échec est radicalement différente. Leur conversation prend des tours philosophiques : contrairement à l'amour, la guerre ne peut vous tuer qu'une fois. (...) Abandonner votre immense carrière est un gâchis. (...) Vous êtes plus têtue qu'une mule.
Celui que l'on surnommait le lion rugit : Vous n'avez pas le droit de parler de vous au passé. Je me le suis interdit quand on disait que j'étais fini.
Celle qu'il appelle Mrs Brown esquive. Les étoiles et la lune sont apparues dans le ciel. Les vagues tapent plus fort et couvriraient presque la musique qui a pris un air jazz. On s'attend à les voir danser. Un jeu de séduction subtil s'est installé entre eux.
Plus tard, alors que le bateau est presque à quai, il tente un ultime geste pour se rapprocher d'elle. En vain, mais il lui offre le tableau auquel elle pourrait donner le titre de Skorpios au loin.
Churchill a le sentiment d'avoir vécu un songe : aujourd'hui je continue à me poser la question : Existe-t-elle vraiment ? confirmant l'impression d'une apparition ....
Dans la vraie vie, Churchill et Garbo ont effectivement vogué sur le bateau de l’armateur grec. Personne n'a pris en notes ce qu'ils ont pu (ou pas) se dire. Rien n'a filtré et on bénit cette époque où les réseaux sociaux, inexistants, laissaient les célébrités vivre en paix.
Isabelle Le Nouvel a donc fait preuve d'imagination en s'appuyant sur leurs publications et sur leurs biographies pour écrire cette comédie dramatique, et lui donner sa vraisemblance.
La direction d'acteurs est remarquable. Jouer en étant les neuf dixièmes du temps coincé sur un fauteuil roulant n'est pas commode au théâtre et Niels Aretrup est totalement crédible, sans être pour autant misérable. Ludmila Mikael parvient à être, psychiquement comme physiquement, distante ou familière, hypersensible ou posée. Et Baptiste Roussillon apporte juste ce qu'il faut de fantaisie.
Skorpios au loinLe soir de la présentation de saison des Bouffes Parisiens Jean-Louis Benoît disait que c'était la première fois qu'il montait une pièce dite de "conversations", lesquelles sont en général situées dans un salon, ou sur un quai de gare. L'originalité de Skorpios au loin est que l'action se déroule sur un espace en mouvement.
Le méga yacht vogue par un beau ciel d'été vers les côtes de Ligurie et le décorateur Jean Haas a fait en sorte, avec une scénographie néanmoins très simple, de rendre cela palpable parce que le ciel passe de l'ombre au crépuscule et à la nuit.
Le spectateur a d'emblée l'impression de ressentir un léger souffle de vent, suggéré par une douce musique d'orchestre, le bruit des vagues, les cris des mouettes. Churchill est alors dos au public, face à la mer. Il se plaint de n'avoir pas fermé l'oeil de la nuit et s'étonne que le bateau soit encore à quai, à Monte Carlo. Il est encore plus surpris d'apprendre que la "Reine Christine" soit à bord. Le "sauveur du monde libre" s'en dit ébloui. Il faut dire que la pièce est une fantaisie, mot grec signifiant "apparition".
Il a réclamé son matériel de peinture. Le public peut ignorer que l'homme politique avait ce don mais l'actrice, qui est aussi collectionneuse, a vu l'exposition qu'il a faite à New York et le complimente : votre peinture est troublante.
Elle n'a surtout pas envie qu'il lui parle de ses films. L'homme d'Etat est peintre, mais aussi écrivain (il a reçu le Nobel de littérature cinq ans plus tôt) ... et légèrement dépressif : je suis touche à tout, tout m'écorche.
En face de lui Garbo confie avoir la sensation que plus rien ne l'atteint. On s'interroge sur son jugement. Est-elle fascinée ou agacée quand elle lui lance : évidemment vous ne capitulez jamais !
Ils vont discuter de tout, et de rien. De ce qu'ils vont bientôt déguster, comme d'un plat de homards qui sera divin ou diabolique tellement c'est bon, des proportions à respecter pour réussir un cocktail vodka-Martini, avec une larme de liqueur de pêche et un trait de Cognac (à consommer en toute modération).
Chacun fuit un désastre mais leur conception de l'échec est radicalement différente. Leur conversation prend des tours philosophiques : contrairement à l'amour, la guerre ne peut vous tuer qu'une fois. (...) Abandonner votre immense carrière est un gâchis. (...) Vous êtes plus têtue qu'une mule.
Celui que l'on surnommait le lion rugit : Vous n'avez pas le droit de parler de vous au passé. Je me le suis interdit quand on disait que j'étais fini.
Celle qu'il appelle Mrs Brown esquive. Les étoiles et la lune sont apparues dans le ciel. Les vagues tapent plus fort et couvriraient presque la musique qui a pris un air jazz. On s'attend à les voir danser. Un jeu de séduction subtil s'est installé entre eux.
Plus tard, alors que le bateau est presque à quai, il tente un ultime geste pour se rapprocher d'elle. En vain, mais il lui offre le tableau auquel elle pourrait donner le titre de Skorpios au loin.
Churchill a le sentiment d'avoir vécu un songe : aujourd'hui je continue à me poser la question : Existe-t-elle vraiment ? confirmant l'impression d'une apparition ....
Dans la vraie vie, Churchill et Garbo ont effectivement vogué sur le bateau de l’armateur grec. Personne n'a pris en notes ce qu'ils ont pu (ou pas) se dire. Rien n'a filtré et on bénit cette époque où les réseaux sociaux, inexistants, laissaient les célébrités vivre en paix.
Isabelle Le Nouvel a donc fait preuve d'imagination en s'appuyant sur leurs publications et sur leurs biographies pour écrire cette comédie dramatique, et lui donner sa vraisemblance.
La direction d'acteurs est remarquable. Jouer en étant les neuf dixièmes du temps coincé sur un fauteuil roulant n'est pas commode au théâtre et Niels Aretrup est totalement crédible, sans être pour autant misérable. Ludmila Mikael parvient à être, psychiquement comme physiquement, distante ou familière, hypersensible ou posée. Et Baptiste Roussillon apporte juste ce qu'il faut de fantaisie.
De Isabelle Le Nouvel
Avec Niels Arestrup, Ludmila Mikael et Baptiste Roussillon
mis en scène par Jean-Louis Benoît
Au Théâtre des Bouffes Parisiens
4, rue Monsigny, 75002 Paris
Du 18 septembre 2018 au 6 janvier 2019 à 21 heures
Les photos qui ne sont pas logotypées A bride abattue sont de Céline Nieszawer
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire