Le livre de Guy Boley commence par une phrase interminable qui nous fait survoler Besançon comme si nous étions à l'intérieur d'un drone. Plus loin il nous offrira des pages magnifiques sur la boxe et sur les combats (p. 67-69).
Ah comme cet auteur fait claquer les mots dans son second roman ! Quand Dieu boxait en amateur peut être vu comme une suite de son premier livre, Fils du feu, mais il en est néanmoins indépendant.
La figure de son père René est plutôt romanesque puisqu'il est forgeron, toujours prêt à bosser dur (boxer dur ?) et capable aussi de se métamorphoser de champion de boxe à Jésus amateur sur la scène d'un théâtre paroissial.
C'est sûr que ça n'est pas banal. Alors le fils raconte avec sérieux -et on y croit!- la biographie de ce papa peu ordinaire en s'autorisant l'humour : le samedi 4 septembre 1955, mon père entame son premier jour d'apprenti comédien, catégorie théâtre d'eau bénite (p. 124). Il interprétera le rôle de Jésus pendant dix ans, toujours en période pascale. Il n’a encore que 40 ans.
Il a remballé ses rêves et continué à craindre les mots, affolé à la perspective de les employer improprement. Le dictionnaire devient sa bible, une sorte de garde-fou. Il a reçu une injonction de grandir. Il relèvera le défi (on a envie de dire le gant). Il sera forgeron et boxeur parce que les coups peuvent remplacer les mots. Mais le fils promet (p. 32) de recoudre le passé déchiré puis de frapper les trois coups pour que le rideau s'ouvre sur son père, ce héros, celui qu'il nomme "mon roi d'éternité".
Ah comme cet auteur fait claquer les mots dans son second roman ! Quand Dieu boxait en amateur peut être vu comme une suite de son premier livre, Fils du feu, mais il en est néanmoins indépendant.
La figure de son père René est plutôt romanesque puisqu'il est forgeron, toujours prêt à bosser dur (boxer dur ?) et capable aussi de se métamorphoser de champion de boxe à Jésus amateur sur la scène d'un théâtre paroissial.
C'est sûr que ça n'est pas banal. Alors le fils raconte avec sérieux -et on y croit!- la biographie de ce papa peu ordinaire en s'autorisant l'humour : le samedi 4 septembre 1955, mon père entame son premier jour d'apprenti comédien, catégorie théâtre d'eau bénite (p. 124). Il interprétera le rôle de Jésus pendant dix ans, toujours en période pascale. Il n’a encore que 40 ans.
Et, peut-être parce que j'aime intensément le théâtre, il m'a semblé déceler un tournant à partir de ce chapitre 12. Mais avant cela nous remontons à l'enfance de René, précisément à l'âge dit de raison. Il a sept ans et son meilleur copain c'est Pierrot.
La vie pourrait être heureuse mais voilà que son papa (donc le grand-père de Guy) n'aura pas le loisir de voir éclore son talent de musicien : il s'est fait écraser "paf-entre-deux-wagons-comme-une-crêpe-le-pauvre", répétera sa grand-mère, contraignant le fiston à suivre l'école au rabais et à entrer en apprentissage le plus tôt possible, à quatorze ans, pour ramener un (maigre) salaire à la maison.
On ne choisit pas son enfance, souligne ce fils (p. 43) on s'acclimate aux pièces du puzzle, on bricole son destin avec les outils qu'on a sous la main.
Guy Boley aura mis trente ans à écrire ce roman sur ses parents qui montaient des opérettes pour les voisins cheminots dans la cuisine de ce quartier populaire où il habitait gamin. Avant de devenir écrivain il aura été ouvrier, funambule, cracheur de feu, chanteur des rues, directeur de cirque, chauffeur de bus, et même dramaturge pour des compagnies de danse et de théâtre.
Son père a donc 7 ans et un grand ami, Pierrot. Chacun à sa façon est passionné par les mots et la littérature. Pas facile quand on vit dans un quartier populaire très ouvrier. Les deux enfants grandissent, suivant une trajectoire différente. Ils se retrouveront à faire ensemble du théâtre. Car Pierrot a la révélation devant le chemin de croix et se sent une nouvelle vocation, celle de metteur en scène (p.112). Le spectacle sera "La Passion de Notre Seigneur Jésus Christ" avec dans le rôle principal son ami René.
Le rôle convient à René à plus d'un titre. Par amitié et puis parce que la mort violente est un thème récurrent dans la famille. Chez lui on meurt debout. A commencer par le grand-père, (souvenez-vous) "paf-entre-deux-wagons-comme-une-crêpe-le-pauvre", puis la grand-mère, noyée, après une chute de sa hauteur (p. 64) et plus tard, le père lui aussi, foudroyé par une crise cardiaque ...
Avec ce rôle, Pierrot lui propose de mener chaque soir le combat de sa vie, lui offrant métaphoriquement l'intemporel pour toucher les étoiles (p. 123).
Pour le convaincre il lui parle en termes de théâtralité (on reconnait la direction d'acteurs d'un dramaturge), et avec patience lui fait admettre la démarche, nouvelle pour lui, de ce que c'est que d'incarner vraiment un personnage :
Nous sommes sur la bonne voie, mais ce qu'il faut maintenant c'est que tu t'inventes, ou que tu te recréés, dans ta tête, uniquement dans ta tête, des situations qui se traduiront dans ton corps, et qui t'aideront ensuite à habiter ton rôle.
René découvrira que le théâtre c'est, pour faire court, "hurler de l'intérieur".
On va aborder ton rôle comme un combat dans lequel tu vas revivre toutes les joies, peines, plus, doutes, angoisses, déceptions, cris de rage, colère, d'euphorie, d'aigreur, d'accablement, d'injustice ou de mélancolie que tu as vécus sur un ring. Et tu vas t'en servir pour sublimer le combat que mène Jésus (...) celui silencieux, entre sa douleur et sa foi (...).
Tu vas apprendre à te battre avec les mots du texte la façon de les jouer, mais tu te battras façon co-mé-dien, et non façon boxeur. Ensuite, quand tu sera seras au point, que tu sauras bien ton rôle, que tu te sentiras investi, pleinement capable de l'interpréter, on ouvrira les portes en grand, le public entrera, tu monteras sur scène, on allumera les projecteurs, tu te mettras en garde et là, ne t'inquiète pas, je te le promets, ce ne seront pas les adversaire qui vont te manquer. Là, tu l'auras, ton match !
Et Guy Boley en profite au passage pour égratigner le théâtre amateur "là où l’outrance est prise pour du talent" (p.137).
Dans la troisième partie l’enfant comprend que son père n’est pas le fils de dieu. Le roman alterne ainsi le regard qu’il pose sur son paternel, tantôt avec ses yeux d’aujourd’hui, tantôt avec ses yeux d’enfant, et on avance dans le temps mais paradoxalement en enchaînant les flashbacks.
Arrivent les années soixante. "Nous avions dans nos poches des frondes à dialectique, on n’avait peur de rien, ni des mots, ni des dégâts qu’ils engendraient. Je fréquentais alors un troupeau de cheveux longs et on y croyait dur, à la Révolution" (p.147).
On sent bien que le personnage de la mère, si effacé soit-il, recèle lui aussi un potentiel narratif. La perte d’un enfant la rendra muette et le père descendra de scène pour toujours. L’abbé n’est plus Pierrot et redevient Pierre.
Le monde ne tourne plus rond et chacun a sa petite idée (fixe) sur la cause. Pour son père c’est la mort accidentelle du grand champion Marcel Cerdan, mais ça pourrait bien être plutôt la mort du (second) fils.
La complicité entre le père et le fils se reconstruira à travers un objet qui remplit la fonction de médiateur, la télévision. Mais il est probable que l’affection peu exigeante d’un chat et la chaleur d’une bouteille ont pesé sur le plateau. C'est une passion nouvelle (encore une passion, est-elle christique elle aussi ?) pour le boxeur Mohamed Ali qui les unira.
L'auteur semble chercher à exprimer tout ce qu'il n'a pas réussi à partager comme émotions avec son père : Jamais je n’ai pu leur offrir aucun fils qui fut autre que moi. Moi que je n’aimais pas, moi dont je n’étais pas fier et dont je sentais bien que j’aurais pu mieux faire pour devenir, à leurs yeux, l’enfant dont ils rêvaient (p.161).
On sent combien il est à la fois admiratif : Il a été Roi sur un ring, Jésus sur une scène, Zeus dans la forge. Il était monté bien trop haut pour se permettre de descendre. Mis au tapis par l’alcool (p.162) et cependant en même temps agacé parce qu'il le voit sombrer dans l'alcool, une addiction que pourtant il avouera aussi pour lui-même : Je me moquais de vous (père et mère) mais je ne vais pas mieux (p.166).
Les dernières phrases sont très longues, chargées d’émotion, jusqu’à la chute finale, inéluctable, puisque "vieillir est un naufrage", on le sait tous (p.171). Le lecteur qui a partagé toutes ces confidences est tout de même soulagé d'avoir lu que le fils a eu l'occasion, quelques jours avant l’ultime départ, de rassurer le père : non il n’a jamais été un raté, oui il fut son unique dieu.
Ce livre témoigne que la vie est un sport, où le combat occupe une place centrale. C'est un hommage à nos ainés et c'est un récit écrit dans une langue riche et belle sur laquelle j'ai souvent eu envie de m'arrêter, y compris lorsque les expressions étaient inhabituelles comme cette idée (p. 31) qui serait plus lumineuse que toutes les Mexicos du monde, ce qui me parle pour moi qui me rend souvent dans cette ville.
Guy Boley est né en 1952. Il a publié un premier roman, Fils du feu (Grasset, 2016) lauréat de sept prix littéraires (grand prix SGDL du premier roman, prix Georges Brassens, prix Millepages, prix Alain-Fournier, prix Françoise Sagan, prix (du métro) Goncourt, prix Québec-France Marie-Claire Blais). Quand Dieu boxait en amateur est le second. On attend maintenant son troisième, toujours semi autobiographique, qui sera cette fois centré sur la mère.
Quand Dieu boxait en amateur de Guy Boley, chez Grasset, en librairie depuis le 24 août 2018
Découvert dans la sélection 2018 des 68 premières fois en tant que second roman
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire