Gabrielle est une vieille dame pleine de bonnes intentions qui n'a pas eu l'occasion de se lier avec grand monde tant qu'un mari tyrannique la contraignait à ne s'occuper que de lui. Son inclinaison pour les autres serait une qualité si elle parvenait à museler sa curiosité. Gabrielle vit maintenant seule et s'ennuie. Elle voit comme une aubaine l'emménagement d'Anna dans l'appartement de Sacha, son voisin du dessus, jusque là célibataire.
La vieille dame se réjouit d'inviter sa nouvelle voisine à prendre le thé. Celle-ci est craintive mais Gabrielle n'est pas longue à échafauder des stratagèmes pour gagner sa confiance.
En pure perte car Anna ne se livre pas beaucoup et le jeune homme est la discrétion même.
Gabrielle interprète la constante défensive de sa voisine comme celle d'une bête traquée et pense qu'il est de son devoir de la protéger de son mari.
Tout ce qui n'est pas dit ouvre la porte à des suppositions, parfois exactes, parfois fantaisistes. Il y a un coté "fenêtre sur cour" dans ce roman qui revisite le syndrome de Munchhausen car Gabrielle fera tout pour gagner (rapter ...) la confiance d'Anna depuis que plusieurs détails ont troublé l'esprit de la vieille dame pour qui le silence est un mensonge et qui, flairant un secret, s'est mise en quête d'une vérité qui pourrait bien devenir tragique. Et pourtant Gabrielle sait que la vérité est un gouffre qui vous aspire dès que vous avez le malheur de vous pencher au-dessus des ténèbres (p.217).
En alternant les points de vue, les retours en arrière, des séquences dialogues et des extraits du journal d'Anna, le lecteur est placé en position de voyeur sachant (presque) tout des pensées des deux femmes. S'il est attentif il pourra deviner le poids du secret (car il en existe bel et bien un) mais la force du récit, scénarisé comme un policier, maintient le suspens jusqu'au dénouement.
Prédestine-t-on l'avenir de nos enfants en leur donnant (infligeant) un prénom ? Anna et Sacha ne sont pas des coeurs ordinaires. Ils souffrent chacun à leur manière de l'intrusion de celle qui se prétend leur amie. L'écriture est délicate et envoute le lecteur comme Catherine Locandro le fait dans chacun de ses livres.
Elle démontre avec brio que la bienveillance peut être dramatique alors que dans le même temps et avec des personnages du même âge, Delphine de Vigan témoigne que des liens de gratitude peuvent se nouer. Tout est dans l'intention ...
Ces deux romans sont aussi forts, quoique très différents. Je ne peux cependant pas les dissocier complètement, sans doute parce que je les ai lus au même moment. Et d'avoir aussi envie de lire Alison Lurie, une romancière et une universitaire américaine, prix Pulitzer pour son roman Liaisons étrangères et prix Femina étranger pour La Vérité sur Lorin Jones (citée p.143).
J'ajoute, même si c'est très personnel, que j'ai éprouvé un plaisir supplémentaire à lire ce roman qui m'a fait revivre mes propres souvenirs de voisinage. L'immeuble se situe dans le XIV° arrondissement où j'ai habité une dizaine d'années et dont j'ai tant apprécié l'allure de village. J'ai emprunté quotidiennement le passage des Thermopyles. Pernety fut longtemps "ma" station de métro et je connais très bien ce restaurant construit autour d'un arbre dont il est question dans le livre.
Des coeurs ordinaires de Catherine Locandro, Collection Blanche, Gallimard, en librairie depuis le 14 février 2019
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