Je vais faire des jaloux, mais je ne vais pas cacher ce moment impressionnant et émouvant : le vernissage d’Océanie au musée du Quai Branly-Jacques Chirac a commencé après la démonstration de pratiques cérémoniales ancestrales fort émouvantes, et indispensables pour témoigner du respect des communautés.
Guettez le programme du week-end des 29 et 30 juin. J’espère que les artistes qui sont venus le 11 mars se produiront une nouvelle fois.
Une baleine béluga a été aperçue dans la Tamise au moment où l’exposition était présentée à Londres. La rareté de cet animal a donné lieu à une interprétation de la part des communautés comme signifiant l’approbation des ancêtres. Une pierre a donc été prélevée dans le fleuve, pour représenter le «Mori». Elle est placée dans le pa&rcours de l’exposition et l’accompagnera partout désormais.
Une baleine béluga a été aperçue dans la Tamise au moment où l’exposition était présentée à Londres. La rareté de cet animal a donné lieu à une interprétation de la part des communautés comme signifiant l’approbation des ancêtres. Une pierre a donc été prélevée dans le fleuve, pour représenter le «Mori». Elle est placée dans le pa&rcours de l’exposition et l’accompagnera partout désormais.
L’exposition présente 200 pièces, ce qui n'est pas "énorme" et qui donc se visite en suivant un parcours plutôt fluide. le choix témoigne de la tradition et de la modernité de sociétés dont la vitalité est manifeste, et qui ont plus que d'autres, une conscience aigüe des enjeux climatiques.
Si, à Londres, le parcours débutait par le poème de Kathy Gentil-Kijner, Tell them ... Dites leur ce qu'il y a à perdre, écrit (déjà) en 2012, déplorant avec beaucoup de sensibilité la menace de disparition des îles Marshall suite à la montée des eaux consécutive au réchauffement climatique, les commissaires ont choisi de placer la vidéo à la toute fin, afin peut-être de secouer davantage les consciences.
C'est de fait le souvenir le plus poignant que je conserve ... après celui des cérémonies rituelles.
L'enjeu était de représenter l'art océanien de 25 000 îles à travers un choix d'oeuvres anciennes comme contemporaines. Il s'agissait de témoigner de la tradition tout en évoquant aussi des cultures marquées par le commerce, bousculées par la colonisation, l'évangélisation et bien entendu aussi par le changement climatique.
La toute première pièce, intitulée Kiko Moana, (ou chair de la mer) a été réalisée en Nouvelle-Zélande en 2017 en polyéthylène et fil de coton sur une largeur de 4 mètres, et une longueur de 11, par un collectif de quatre artistes maories qui ont voulu représenter une immense vague bleue. L'emploi de la bâche plastique évoque le quotidien de ces populations et le titre renvoie à l'océan ainsi que sa couleur. Les motifs évoquent la tradition textile du tapa (étoffe d'écorce) qui, dans le Pacifique, incombe largement aux femmes et leur confère prestige et influence.
Le peuplement de l’Océanie s’est propagé de Tahiti vers la Nouvelle Zélande. La première salle est peinte en bleu, à l’instar de l’océan qui est omniprésent. La mer et l'eau ont fondé l'identité de ces peuples. La première zone est dédiée en toute logique aux voyages et à la navigation.
L’eau est aussi celle des rivières qui sillonnent l’intérieur des terres dont certains mythes pensent qu'elles reposent sur le dos d'un grand crocodile.
Symbole de puissance, cet animal est surmonté d'un bouclier représentant le visage d'un ancêtre pour protéger les utilisateurs de la pirogue dont il était la proue en forme de bouclier (début XX°, région du fleuve Sepik). Attardez votre regard sur les pagaies, à la taille démesurée, sculptées et peintes de motifs très anciens mais toujours employés.
Les commissaires ont opté pour une organisation thématique avec un paramètre chronologique, mais pas géographique. On observera deux figures rares, représentant un couple d’ancêtres (fin XIX°) femme et homme, sans doute des poteaux de soutien d'une maison commune sur lesquels on remarque la présence de pigment bleu, dit bleu lessive ou bleu Reckitt. C’est un agent de blanchiment du linge, arrivé avec les européens et utilisé par certains artistes. L’appropriation de techniques modernes est commune, comme je l’avais déjà indiqué dans l’article consacré à l’exposition consacrée aux Rêves aborigènes il y a quelques jours.
La section suivante présente des œuvres autour de la masculinité et la féminité, très représentée elle aussi, et complémentaire. Voici une figure hermaphrodite montrant un chef viril, combattant, probablement efficace, se voulant rassurant, nourrissant (Uli).
La salle suivante est consacrée au rituel et à la performance. La pièce centrale est un piano à queue de Michael Parekowhai (2011) recouvert d'une laque rouge industrielle, sculpté de motifs typiques des maisons de réunion (wharenui) et de l'art maori des pirogues (waka) racontant l’histoire d’un fleuve en Nouvelle Zélande qui a inspiré le film de Jane Campion, La leçon de piano. Cet instrument sera joué au cours de l’exposition. Mon oeil est attiré par le personnage à la langue tirée, qui me rappelle ce que faisaient tout à l’heure par les danseurs.
Cette large coiffe est de taille spectaculaire, voilà pourquoi je la montre seule et avec un viseur qui sert de tare. Elle provient de l'île Yule, et date du début du XX° siècle. Elle est faite d'une accumulation de matériaux précieux, de plumes et d'ornements en coquillage t écailles de tortue ciselées. Il faut évidemment l'imaginer portée et en mouvement.
On poursuit avec la présentation d'objets d'échanges et d'objets de valeur. Le plastron que l'on aperçoit sur la gauche de la photo date de la fin du XVIII° siècle. Il est fait de fibres, plumes, dents de requin et poils de chien, collectés sur le long terme et assemblés sur une trame en fibres de coco. Ce type de décoration était arboré à la guerre uniquement par les chefs pour exprimer leur puissance.
D'un diamètre d'environ 35 cm, le collier figurant en bas à gauche, est antérieur à 1909. Il est composé de vertèbres de requin, de coquillages et de perles de verre et provient de Papouasie-Nouvelle Guinée.
Des tissus sont également présentés. Comme ce patchwork de 223 sur 289 cm (tivaivai) intitulé optically dynamic, représentatif des îles Cook datant de plus d'un siècle. Cet art a été introduit par les femmes de missionnaires. Les pièces étaient conservées dans les familles et destinées à des échanges lors de cérémonies familiales (mariages, naissances, funérailles) mais aussi parfois employées au quotidien. Si la technique (couture) et le matériau (coton) proviennent d'Europe on peut les comparer aux techniques des nattes et des étoffes d'écorce. J'ai été fascinée plus loin par la sculpture en fougère arborescente qui est présentée dans la dernière partie, sur le thème des Rencontres qui témoigne des interactions entre Océanie et Occident.
Les hybridations sont nombreuses et étonnantes. A ce titre on poursuivra à l'étage du musée avec une autre exposition, Anting-Anting, révélant la fusion du christianisme colonial apporté par l’Espagne avec des éléments empruntés à des systèmes animistes et chrétiens.
On comprend combien la conversion au christianisme a pu correspondre à un choix plus stratégique que intime. On pouvait alors accéder à l'apprentissage de la lecture, de l'écriture, voire de la médecine occidentale. On pouvait aussi chercher à s'assurer les protections de plusieurs dieux simultanément.
Mais revenons à la première exposition, où il faut prendre le temps de suivre le déroulement d'une vidéo de plus d’une heure inspirée des récits de voyage de Cook. Intitulée in Pursuit of Venus - Infected (2015-2017) par une artiste Neo-zélandaise qui a détourné un papier peint panoramique de Jean-Gabriel Charvet, les sauvages de la mer Pacifique. On y voit la référence à l'observation de la planète Vénus en hémisphère sud, à une certaine vision de la femme océanienne, au paradis, et à la contamination car si les colons ont importé le métal et la religion ils ont aussi débarqué avec des maladies qui ont largement décimé les peuples d’origine. Cette oeuvre, d'une grande beauté, apporte donc un regard critique sur l'histoire.
L'exposition s'achève alors naturellement sur la notion de mémoire et de perte. Dans de nombreuses civilisations océaniennes le passé est le point de repère. C'est grâce à lui qu'on peut progresser vers un futur dont on ne sait rien. C'est de cette manière que fonctionnent les pratiques funéraires et commémoratives. Les artistes contemporains l'ont bien compris en s'emparant des thèmes de la perte et de la mémoire. C'est ce que fait John Pulp dans une oeuvre monumentale (2007) de cinq panneaux décrivant des scènes de guerre et de destruction iconiques du monde globalisé moderne (Guerre du Golfe, Attentat du Worl Trade Center ...) où l'on retrouve des figures de divinités océaniennes et des références à de nombreuses religions. Vous en avez un gros plan ci-dessus.
Je vous encourage à aller voir aussi dans les étages le plateau des collections, en particulier les poteaux funéraires et la chambre des écorces, en lien avec l'exposition de la Maison des arts d'Antony (92).
Enfin une promenade dans les jardins s'impose pour mesurer la proximité du printemps. Ils sont ouverts comme le musée de 11 à 21 heures et à la nuit tombée c'est un spectacle magique.
Si, à Londres, le parcours débutait par le poème de Kathy Gentil-Kijner, Tell them ... Dites leur ce qu'il y a à perdre, écrit (déjà) en 2012, déplorant avec beaucoup de sensibilité la menace de disparition des îles Marshall suite à la montée des eaux consécutive au réchauffement climatique, les commissaires ont choisi de placer la vidéo à la toute fin, afin peut-être de secouer davantage les consciences.
C'est de fait le souvenir le plus poignant que je conserve ... après celui des cérémonies rituelles.
L'enjeu était de représenter l'art océanien de 25 000 îles à travers un choix d'oeuvres anciennes comme contemporaines. Il s'agissait de témoigner de la tradition tout en évoquant aussi des cultures marquées par le commerce, bousculées par la colonisation, l'évangélisation et bien entendu aussi par le changement climatique.
La toute première pièce, intitulée Kiko Moana, (ou chair de la mer) a été réalisée en Nouvelle-Zélande en 2017 en polyéthylène et fil de coton sur une largeur de 4 mètres, et une longueur de 11, par un collectif de quatre artistes maories qui ont voulu représenter une immense vague bleue. L'emploi de la bâche plastique évoque le quotidien de ces populations et le titre renvoie à l'océan ainsi que sa couleur. Les motifs évoquent la tradition textile du tapa (étoffe d'écorce) qui, dans le Pacifique, incombe largement aux femmes et leur confère prestige et influence.
Le peuplement de l’Océanie s’est propagé de Tahiti vers la Nouvelle Zélande. La première salle est peinte en bleu, à l’instar de l’océan qui est omniprésent. La mer et l'eau ont fondé l'identité de ces peuples. La première zone est dédiée en toute logique aux voyages et à la navigation.
L’eau est aussi celle des rivières qui sillonnent l’intérieur des terres dont certains mythes pensent qu'elles reposent sur le dos d'un grand crocodile.
Symbole de puissance, cet animal est surmonté d'un bouclier représentant le visage d'un ancêtre pour protéger les utilisateurs de la pirogue dont il était la proue en forme de bouclier (début XX°, région du fleuve Sepik). Attardez votre regard sur les pagaies, à la taille démesurée, sculptées et peintes de motifs très anciens mais toujours employés.
Les commissaires ont opté pour une organisation thématique avec un paramètre chronologique, mais pas géographique. On observera deux figures rares, représentant un couple d’ancêtres (fin XIX°) femme et homme, sans doute des poteaux de soutien d'une maison commune sur lesquels on remarque la présence de pigment bleu, dit bleu lessive ou bleu Reckitt. C’est un agent de blanchiment du linge, arrivé avec les européens et utilisé par certains artistes. L’appropriation de techniques modernes est commune, comme je l’avais déjà indiqué dans l’article consacré à l’exposition consacrée aux Rêves aborigènes il y a quelques jours.
La section suivante présente des œuvres autour de la masculinité et la féminité, très représentée elle aussi, et complémentaire. Voici une figure hermaphrodite montrant un chef viril, combattant, probablement efficace, se voulant rassurant, nourrissant (Uli).
La salle suivante est consacrée au rituel et à la performance. La pièce centrale est un piano à queue de Michael Parekowhai (2011) recouvert d'une laque rouge industrielle, sculpté de motifs typiques des maisons de réunion (wharenui) et de l'art maori des pirogues (waka) racontant l’histoire d’un fleuve en Nouvelle Zélande qui a inspiré le film de Jane Campion, La leçon de piano. Cet instrument sera joué au cours de l’exposition. Mon oeil est attiré par le personnage à la langue tirée, qui me rappelle ce que faisaient tout à l’heure par les danseurs.
Cette large coiffe est de taille spectaculaire, voilà pourquoi je la montre seule et avec un viseur qui sert de tare. Elle provient de l'île Yule, et date du début du XX° siècle. Elle est faite d'une accumulation de matériaux précieux, de plumes et d'ornements en coquillage t écailles de tortue ciselées. Il faut évidemment l'imaginer portée et en mouvement.
On poursuit avec la présentation d'objets d'échanges et d'objets de valeur. Le plastron que l'on aperçoit sur la gauche de la photo date de la fin du XVIII° siècle. Il est fait de fibres, plumes, dents de requin et poils de chien, collectés sur le long terme et assemblés sur une trame en fibres de coco. Ce type de décoration était arboré à la guerre uniquement par les chefs pour exprimer leur puissance.
D'un diamètre d'environ 35 cm, le collier figurant en bas à gauche, est antérieur à 1909. Il est composé de vertèbres de requin, de coquillages et de perles de verre et provient de Papouasie-Nouvelle Guinée.
Des tissus sont également présentés. Comme ce patchwork de 223 sur 289 cm (tivaivai) intitulé optically dynamic, représentatif des îles Cook datant de plus d'un siècle. Cet art a été introduit par les femmes de missionnaires. Les pièces étaient conservées dans les familles et destinées à des échanges lors de cérémonies familiales (mariages, naissances, funérailles) mais aussi parfois employées au quotidien. Si la technique (couture) et le matériau (coton) proviennent d'Europe on peut les comparer aux techniques des nattes et des étoffes d'écorce. J'ai été fascinée plus loin par la sculpture en fougère arborescente qui est présentée dans la dernière partie, sur le thème des Rencontres qui témoigne des interactions entre Océanie et Occident.
Les hybridations sont nombreuses et étonnantes. A ce titre on poursuivra à l'étage du musée avec une autre exposition, Anting-Anting, révélant la fusion du christianisme colonial apporté par l’Espagne avec des éléments empruntés à des systèmes animistes et chrétiens.
On comprend combien la conversion au christianisme a pu correspondre à un choix plus stratégique que intime. On pouvait alors accéder à l'apprentissage de la lecture, de l'écriture, voire de la médecine occidentale. On pouvait aussi chercher à s'assurer les protections de plusieurs dieux simultanément.
Mais revenons à la première exposition, où il faut prendre le temps de suivre le déroulement d'une vidéo de plus d’une heure inspirée des récits de voyage de Cook. Intitulée in Pursuit of Venus - Infected (2015-2017) par une artiste Neo-zélandaise qui a détourné un papier peint panoramique de Jean-Gabriel Charvet, les sauvages de la mer Pacifique. On y voit la référence à l'observation de la planète Vénus en hémisphère sud, à une certaine vision de la femme océanienne, au paradis, et à la contamination car si les colons ont importé le métal et la religion ils ont aussi débarqué avec des maladies qui ont largement décimé les peuples d’origine. Cette oeuvre, d'une grande beauté, apporte donc un regard critique sur l'histoire.
L'exposition s'achève alors naturellement sur la notion de mémoire et de perte. Dans de nombreuses civilisations océaniennes le passé est le point de repère. C'est grâce à lui qu'on peut progresser vers un futur dont on ne sait rien. C'est de cette manière que fonctionnent les pratiques funéraires et commémoratives. Les artistes contemporains l'ont bien compris en s'emparant des thèmes de la perte et de la mémoire. C'est ce que fait John Pulp dans une oeuvre monumentale (2007) de cinq panneaux décrivant des scènes de guerre et de destruction iconiques du monde globalisé moderne (Guerre du Golfe, Attentat du Worl Trade Center ...) où l'on retrouve des figures de divinités océaniennes et des références à de nombreuses religions. Vous en avez un gros plan ci-dessus.
Je vous encourage à aller voir aussi dans les étages le plateau des collections, en particulier les poteaux funéraires et la chambre des écorces, en lien avec l'exposition de la Maison des arts d'Antony (92).
Enfin une promenade dans les jardins s'impose pour mesurer la proximité du printemps. Ils sont ouverts comme le musée de 11 à 21 heures et à la nuit tombée c'est un spectacle magique.
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