4 février 1912. Le jour se lève à peine. Entourés d’une petite foule de badauds, deux reporters commencent à filmer. Là-haut, au premier étage de la tour Eiffel, un homme pose le pied sur la rambarde. Il veut essayer son invention, un parachute. On l’a prévenu : il n’a aucune chance. Acte d’amour ? Geste fou, désespéré ? Il a un rêve et nul ne pourra l’arrêter. Sa mort est l’une des premières qu’ait saisies une caméra.
Hanté par les images de cette chute, Étienne Kern mêle le souvenir de ses propres disparus à l’histoire hélas vraie de Franz Reichelt, un tailleur pour dames venu de Bohême.
Je ne fais pas partie de ceux qui regardent en boucle des vidéos sensationnelles sur Internet. Je n’ai donc absolument pas eu envie de vérifier l’exactitude des faits et j’espère que le résumé de la quatrième de couverture ne vous aura pas donné envie de le faire. Personnellement je crois l’auteur sur paroles.
Je veux bien concevoir qu’il ait été impressionné par cet acte de bravoure même si mon cerveau rationnel n’admet pas la stupidité de la perte d’une vie. Une mort inutile en quelque sorte. Dommage que Franz n’ait pas eu le vertige, cela lui aurait sauvé la vie. En effet le parachute était inventé depuis longtemps. Il n’y avait donc rien d’extraordinaire dans son geste, si ce n’est l’endroit du saut et le fait que c’est la première mort filmée en direct. C’est uniquement cela qui lui vaut la célébrité.
On attribue l’invention du parachute à Léonard de Vinci. Mais le terme de parachute a été trouvé par Louis-Sébastien Lenormand en analogie avec le "parasol" auquel ressemblait l’engin qu'il utilisa pour sauter de l'observatoire de Montpellier le 26 décembre 1783. Ceci pour dire que Franz n’a rien inventé et je ne pense pas non plus qu’il ait fait progresser la science.
Par contre, Franz Reichelt a vraiment eu ce projet fou d’inventer un parachute révolutionnaire qui aurait pu équiper les aviateurs dont les accidents se multipliaient à tel point qu’on parlait d’eux en martyrs de l’aviation (p. 75). C’est pourquoi la Ligue aérienne et l’Aéro-Club de France s’étaient associés à l’initiative d’un mécène qui offrait 5000 Francs à l’inventeur d’un parachute adapté aux aviateurs. Le concours était ouvert à tout le monde. Franz s’est lancé dans une folle création qui n’aurait jamais dû être brevetée.
Etienne Kern décrit le film image par image (p. 48) et cela me suffit. Et tout comme lui j'aurais aimé croire un gag. Charlie Chaplin en danseur sur chaise. Buster Keaton en inventeur du parachute qui ne s’ouvre pas. Sur Internet, tu occupes une bonne place au palmarès des morts les plus stupide de l’histoire. On ironise. On se gausse devant ce costume de super-héros raté.
On sent vite la colère sourdre derrière les mots de l'auteur qui cherche à comprendre comment cet homme a pu en arriver à cette extrémité. Il s'adresse régulièrement à lui, en le tutoyant, dans de longs passages en italiques et la fascination est manifeste : tu étais ces cauchemars qui me hantent depuis l’enfance : le sol qui s’ouvre, une plaque de neige qui glisse, une barrière qui lâche et m’entraîne avec elle ou m’arrache ceux que j’aime (p. 59).
Plus loin (p. 86), il lui explique qu’il a essayé à multiples reprises d’écrire un livre sur son histoire, combien il peine et finalement renonce. En fait il ne renoncera pas et lui réussira son rêve. lI m’a semblé que le livre, s’il devait exister, ne pouvait être qu’un bruissement parcouru de silence. Plein de blancs et de fantômes (p. 143). De fait ce n’est pas un récit littéraire mais tout le contraire où les absents sont partout (p. 130).
Je comprends aussi que cette tragédie ait résonné chez Etienne Kern car elle fait écho à son grand-père, dont il raconte l’accident (p. 79) et on remarquera qu'il était allemand comme Franz, et au suicide d’une amie. Et je reconnais qu’il a cousu un texte qui leur rend hommage. J’aurais sans doute choisi comme titre Tombés du ciel, ce qui aurait été plus prosaïque mais, reconnaissez-le, une belle référence à la chanson de Jacques Higelin. J’avoue malgré tout que Les envolés sonne avec plus de romantisme et connote une espèce d’optimisme puisque l’expression fait penser à la métaphore employée pour signifier mourir quand on dit de personnes qu’elles sont « montées au ciel ».
La lecture de ce premier roman me laisse perplexe. Il interroge en tout cas sur la fatalité et la responsabilité. Quand l’auteur regrette (p. 101) que les gens que nous aimons, nous ne pouvons rien pour eux on est brutalement confronté à la culpabilité consécutive à tout suicide -surtout par défénestraton en raison de sa violence. La question éternelle sera de savoir si c’était évitable. Chaque auteur y répond à sa manière.
Goncourt du Premier Roman 2022
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