Camila Sosa Villada a écrit cette autobiographie il y a déjà 5 ans mais elle n’a été traduite (admirablement par Laura Alcob qui est elle-même une auteure dont j’ai très envie de découvrir la production) et publiée en France que récemment.
Le titre original, las malas, signifie les mauvaises, les méchantes. Le choix de « vilain » est bien plus intéressant parce que ce terme, dérivé du latin, désigne un homme semi-libre attaché à une «villa», comme on appelait les grandes exploitations gallo-romaines. Ensuite il a été synonyme de paysan libre. Et puis ne dit-on pas d’une prostituée qu’elle est une vilaine fille ?
Il apparait assez loin dans le roman, (p. 186), en association à celui de trans. Pourtant, il désigne parfaitement ces femmes, prostituées et extrêmement attachées au Parc Sarmiento. Les vilaines figurent comme un trait de rouge à lèvres sur la couverture, dont la photo noir et blanc semble représenter deux d’entre elles.
Je suis une prostituée qui arpente les rues, la nuit, à l’heure où les femmes de mon âge dorment dans leur lit. Je marche dans la rue, je prends part aux projets de violence mais aussi aux projets de désir. Je participe à tout ça en réitèrant la violence qui m’a vu naître, le rituel bien connu de retourner aux parents, d’être soi-même ses propres parents, de ressusciter chaque nuit ce couple disparu. Les nuits où ma mère pleure tandis qu’elle attend son mari, les nuits où les clients n’arrivent pas, où les amants nous trompent, où les mecs nous cognent, (…) Moi, je dis que peu à peu je suis devenue la femme que je suis aujourd’hui par pure nécessité. Cette enfance de violence, avec un père qui, à la moindre occasion balançait sur nous ce qui lui tombait sous la main, (…) Cet animal féroce, qui me hantait, qui était mon cauchemar : tout ça était trop horrible pour avoir envie d’être un homme. Je ne pouvais pas être un homme dans ce monde-là (p. 54).
On se doutait bien que l’orientation de Camila pouvait s’enraciner dans une enfance douloureuse. L’explication est sans surprise mais elle nous la confie avec tant de simplicité qu’on ne peut qu’être de son côté, sans que cela signifie qu’on cautionne la « solution » qu’elle a trouvée.
L’auteure nous offre une tranche de vie de ces Vilaines qui composent une sorte de famille, des orphelines, dit-elle, des Reines Mages, écrit-elle aussi dans une sorte de tradition issue du mouvement du réalisme magique qui permet à l’une d’elles de se transformer en oiseau, offrant en quelque sorte des bouffées d’oxygène.
Elles vivent groupées autour de leur doyenne qui est la Tante Encarna, sorte de mater dolorosa qui adoptera une nuit un bébé abandonné auquel elle donnera le nom d’Eclat des Yeux et à qui on souhaite un autre destin, si cela est possible.
Camila raconte leurs (mes)aventures d’une écriture puissante, bouillante, en brossant le portrait sensible de femmes qui se trouvent être des trans et qui sont chacune attachante. Leur envie de passer inaperçue alors qu’elles sont si belles peut nous sembler surprenante, voire même mensongère. Mais être transparente est nécessaire pour éloigner les ennuis (p. 133) prévient Camila. Et leur candeur est touchante : nous faisons le bien et le mal sans en avoir conscience (p. 159).
On les voit surtout victimes (et beaucoup trop souvent évidemment) de violences qui, si elles causent de la tristesse et accélèrent un vieillissement prématuré, n’entament pas leur appétit de vivre, lequel semble infini, et qui soude leur communauté dans un mouvement d’immense solidarité, au motif que la douleur de l’une d’entre nous était la douleur de toutes (p. 112).
Mais peut-on durablement subir un tel quotidien ? Combien de temps survit-on dès lors qu’on a multiplié les injections d’huile de moteur pour arrondir ses formes, qu’on abuse des alcools et des drogues, et que le fléau (le SIDA) a contaminé la moitié d’entre elles ? La joie peut-elle agir comme antidote ou n’est-elle qu’une sorte de politesse ?
Certes, les portraits sont surréalistes pour qui ne connaît pas ce milieu, et pourtant tout est vrai, on n’en doute pas un instant, et c’est une des forces de ce roman. J’ai juste regretté, en lisant la biographie de l’auteure, qu’elle n’ait fait aucune allusion aux différents métiers qu’elle a exercés, comme si être trans était la seule chose qui vaille d’être partagé.
Camila Sosa Villada est née en 1982 en Argentine. Elle a travaillé comme prostituée, vendeuse de rue et femme de chambre. Elle a fait des études de communication et de théâtre. Devenue actrice et chanteuse, elle est aussi l’une des écrivains les plus reconnues dans son pays ces dernières années. Si elle a été la honte de sa famille, elle se déclare maintenant comme la mère de ses parents. Les Vilaines, en cours de traduction dans cinq langues, est son premier roman.
Les Vilaines de Camila Sosa Villada, traduit de l’espagnol (Argentine) par Laura Alcoba, éditions Métailié, en librairie depuis le 14 janvier 2021
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