Je ne suis jamais allée à Aulus. Mais depuis la lecture de ce premier roman j’ai le sentiment d’avoir arpenté ce village et ses environs tout autant que d’avoir rencontré les derniers habitants qui y vivent encore. Zoé Cosson décrit aussi finement les lieux que les personnes. C’est précis, bref et dense, très imagé. Ainsi les mots gigotent comme du gravier entre les lèvres du boucher (p. 24).
On referme ce petit ouvrage avec la certitude qu’une vraie auteure est née. Il n’y a rien de surprenant à cela puisqu’elle est diplômée du Master Création littéraire du Havre. L’écriture est désormais ancrée au cœur de ses préoccupations. Elle travaille sur de nouveaux textes et, en parallèle, sur des scénarios.
L’écriture du roman a débuté dans le cadre du master. Il n’empêche que sa genèse remonte à l’enfance, quand Zoé a commencé à se rendre chaque année à Aulus-les-bains où son père avait acheté aux enchères un hôtel désaffecté qui fut le point de départ de multiples randonnées.
Autrefois terre miraculeuse par la présence d’eaux thermales, la spécificité du village est d’avoir connu une certaine gloire à la Belle Epoque, et d’être situé en bout de vallée, au pied de la montagne ariégeoise. Le lecteur ne saura pas si les sources n’ont pas été empoisonnées par la mine. Elles ne guériront pas le papa vieillissant qui un jour partira, et Zoé avec lui, laissant derrière eux les trois derniers commerces et la centaine d’habitants, qui auraient pu partir, presque tous, faire leur vie ailleurs, à la campagne, sur un terrain plat, avec un climat plus doux, mais ils ne se sont pas résolus à quitter cet endroit où chacun est connu, vécu, chéri (p. 25).
L’auteure passe en revue les sujets qui alimentent les conversations, la météo bien sûr, mais aussi l’ours, la centrale électrique, les élections. Elle décrit un écosystème ancestral dont l’équilibre est fragile, susceptible de se fracturer aussi vite que la roche. Elle présente son travail comme étant le portrait fragmentaire de ce lieu, à la fois vécu et fantasmé, fictionnalisé dans sa finalité. A commencer par la photo de la couverture qui a été prise à une cinquantaine de kilomètres d’Aulus. Si une carte est imprimée au milieu de l’ouvrage (p. 59) elle est peu lisible pour qui ne connait pas la région.
On ne trouvera aucune reproduction des photos prises au début du XX° siècle, composant cet album (p. 20) qu’elle a trouvé et qui font l’objet de fines descriptions, insérées en italiques entre les chapitres. J’ai regretté leur absence, pour le principe, car je dois être honnête, je n’ai pas quitté les pas de Zoé Cosson un seul instant, et n’ai jamais eu un moment d’inattention. C’est bien la preuve que la question de la vérité ne se pose pas.
Je me suis tout de même étonnée que la jeune femme ne sache pas faire la différence entre les feuilles de châtaignier et de marronnier (p. 87). Elle s’en confesse à deux reprises. Peut-être aurais-je le même doute si je n’habitais pas à Châtenay (dont le nom est une déformation de châtaignier).
A l’instar de la mère du roman de Christophe Perruchas, Revenir fils, le père est atteint de syllogomanie (p. 36) et accumule les objets. La fille aussi, à sa manière, même si ce sont des biens immatériels et des souvenirs sans doute moins encombrants puisque la mémoire est une mouche qu’on peut chasser d’un revers de la main (p. 82). De fait, on ne sent pas un souffle de nostalgie romantique qui nous tirerait la moindre larme.
Ce n’est pas encore un coup de coeur intense parce qu’il m’a manqué quelque chose, je ne saurais dire quoi, peut-être un peu plus d’émotion, mais je l’ai beaucoup apprécié, comme on aime une période de vacances dans un lieu exceptionnel où l’on envisagerait de revenir mais dont on sait pourtant qu’on n’y sera jamais chez soi. J’ai souvent repensé à un séjour dans une autre montagne, à Aussois, qui m’avait inspiré quelques-uns de mes premiers billets.
Aulus de Zoé Cosson Collection L'Arbalète chez Gallimard, en librairie depuis le 7 octobre 2021
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