Je connais plutôt bien l’univers des Vins d’Alsace, pour avoir assisté à plusieurs master-class et parce que j’ai vécu plusieurs années dans cette région que j’affectionne.
J’ai été invitée aujourd’hui à suivre une master-class, réservée aux professionnels, qui avait lieu à Ground Control (81 rue du Charolais à Paris) sous la forme d’une dégustation commentée de 6 vins autour de la question : La fraîcheur, juste une question de température ? coanimée par Gabriel Lepousez, docteur en neurosciences et chercheur à l’institut Pasteur et Thierry Fritsh, œnologue et conférencier au Conseil Interprofessionnel des Vins d’Alsace - CIVA.
Nous avons été accueilli par un des responsables du CIVA qui nous a fait remarquer qu'un véritable vent de fraîcheur s'observait dans les vignes et les caves, dans la dynamique commerciale, et même jusqu'aux étiquettes (auxquelles je serai attentive dans la seconde partie de l'après-midi au moment de la dégustation libre aux tables de 16 producteurs alsaciens, en toute modération cela va de soi).
Il annonça une nouvelle campagne de communication qui devrait témoigner de l'importance de cet axe. Enfin il a confirmé l'organisation du deuxième Salon Millésimes Alsace – DigiTasting® les 27-28 février et 1er mars prochains, réitérant ainsi la formidable expérience imaginée parce que le COVID privait les producteurs des rencontres avec les amateurs et leurs clientèles. (pour lire les comptes-rendus des dégustations digitales 2021 suivre ici).
Aucun autre territoire n’offre une telle diversité de sols, au-delà de la douzaine, à tel point qu'il serait impossible de dessiner une carte géologique, si bien que le même cépage donnera des arômes différents à quelques kilomètres de distance. C’est donc peu dire combien les vins d’Alsace peuvent être riches de belles surprises. Thierry Frisch a souligné combien la région faisait référence en terme de vin blanc étant donné l'ampleur de sa gamme.
En terme de cépages, leur nombre a été réduit depuis le Moyen-Age où ils étaient une quarantaine. Mais à la différence des autres régions françaises, l’Alsace demeure riche en variétés. On en compte 7 principaux :
- le Riesling, de couleur verte et de robe pâle. Il développe en bouche une petite note fruitée et florale.
- le Pinot Blanc reconnaissable à sa robe jaune pâle. Il laisse une note fruitée en bouche sans pour autant aller dans l’excès grâce à sa douce acidité.
- le Pinot noir, d’un rouge très soutenu. Il est fruité et léger avec une note plus prononcée lorsqu’il est vieux.
- le Pinot Gris, jaune doré., apprécié pour ses notes assez fumées et sa noblesse.
- le Sylvaner, à la robe claire aux reflets verts. Il est assez léger et offre une fraîcheur très appréciable.
- le Muscat, jaune clair, qui reste un vin puissant avec quelques douces notes florales.
- le Gewurztraminer, jaune léger avec des reflets dorés. Gras et corsé, il procure un résultat explosif en bouche avec un arôme original.
Selon Gabriel Lepouzez, la fraîcheur fait référence à des sensations à la fois olfactives, gustatives et tactiles. Ce terme est, au même titre que minéralité, un descripteurs hybride et multi-sensoriel qui peut porter à confusion. Cette Master-class nous invite à préciser notre définition et la perception de la fraîcheur à travers différents profils de vin proposés presque à l’aveugle puisque si le nom nous était communiqué, nous n’avions ni la bouteille ni l’étiquette à disposition. Or on sait combien ces éléments induisent le jugement, ce qui se confirmera plus tard au cours de la journée : côté étiquetage, les vins d’Alsace ont fait des progrès de modernité énormes.
L’ordre de dégustation des 6 vins retenus était imposé, quoi qu’il ne fut pas rigoureusement impossible d’inverser l’un avec l’autre. Il allait de soi que le Crémant serait proposé en fin de dégustation plutôt qu’au début. De même, de toute évidence pour un Vendanges tardives.
Pour commencer, deux AOC Alsace Grand cru Riesling 2018 :
D’une manière générale, on peut dire que les Riesling poussent soit sur des sols de plaine et de graves, soit sur des sols de roche sédimentaire (argile, grès, marnes, calcaires) soit encore sur des roches cristallines permettant aux vins de s’exprimer davantage sur la verticalité.
L’AOC Alsace Grand Cru Osterberg Riesling 2018 de la Cave de Ribeauvillé est élevé sur des sols sédimentaires. Au nez, apparaissent des fruits à chair blanche et des agrumes typiques du riesling. La structure est très large en bouche. On ressent une nette astringence en fin de bouche.
L’AOC Alsace Grand Cru Kastelberg Riesling 2018 du Domaine Wach, distant de 40 km, du précédent possède des vignes sur des roches cristallines de schistes, situées au sommet d’une parcelle de granit offrant une forte richesse en minéralité, ce qui justifiera le goût de pierre à fusil. Il est plus serré au niveau du nez. Plus austère aussi. Le vin est plus droit, plus tendu, très salin en fin de bouche, provoquant une forte salivation. Le chercheur nous invite à faire attention à la situation des glandes salivaires mises en action. Ici ce sont celles qui se trouvent sur les lèvres.
Place ensuite à un Pinot gris : L’AOC Alsace Pinot Gris 2021 "Cuvée de la chapelle" du Domaine Camille Braun est synonyme d’équilibre. Le Pinot est le plus "rouge" des vins blancs, exprimant des arômes puissants de vanille et de coing, après un nez complexe. Il demande à être carafé. Il a de l'épaisseur, procure une impression de sucrosité qui va à l'encontre de l'impression de fraicheur.
On va lui aussi le comparer à un autre vin de la même année, 2021, mais qui lui est le résultat d’un assemblage, l'AOC Alsace 2021 "Les vignes du Prêcheur" du Domaine Weinbach dont les vignes poussent sur un sous-sol caillouteux. Majorité de riesling à 40 %, Auxerrois à 30 %, Pinot gris 20 %, Sylvaner 5 % et Muscat 5 %. Ample au départ, avec des notes de melon d'eau et de concombres, et une finale vive. J'ai immédiatement eu un a priori positif pour le servir avec des huitres, à la place d'un plus traditionnel Riesling.
Il était impensable de ne proposer que des blancs. Voici donc un Pinot noir, AOC Alsace Pinot noir 2019 "Quintessence" de la maison Charles Frey. Il illustre le renouveau, la remontée en puissance de ce cépage qui connait une véritable révolution depuis 30 ans avec la recherche de petits pépins, petits rendements et qui bénéficie du réchauffement climatique puisque l'Alsace connait des températures proches de celles qu'on relevait à Lyon il y a 50 ans.
Il est toujours très sphérique, avec un côté caressant et soyeux de ses tanins. Pousse sur un granit relativement lourd. Élevage en fût de chêne. Arômes de vanille, et de cerises noires. Je sens une pointe de muscade. Il est légèrement salin et fait saliver en bouche. La salivation est nappante. On parlera ici de fraicheur bienveillante avec un vin facile à boire, non râpeux, fluide et coulant à l'inverse d'un rouge plus vieux qui aura des arômes compotés.
Place à un Crémant, et celui-ci est exceptionnel, de mon point de vue, l'AOC Crémant d’Alsace brut nature Blanc de noirs du Domaine André Regin, obtenu par pressurage direct. Il n'a absolument pas de sucre. Sa robe a de légers reflets roses. Les bulles sont ultra-fines, très régulières, apportant la fraîcheur à un pinot blanc de noir qui a de la richesse. La fraîcheur de l’effervescence est renforcée par la piqûre carbonique du CO2, comparable (dans un autre domaine à l'effet moutarde).
Un vin dont je vais longtemps me souvenir et qui me fait admettre que l'Alsace soit la première région de France en terme de Crémant avec une appellation la plus consommée après les champagnes.
Pour terminer, un Gewurztraminer, mais choisi spécialement, l'AOC Alsace Gewurztraminer 2015 Vendanges Tardives du clos des Terres brunes (dont je découvrirai plus tard qu'il est produit par Jean Siegler dont j'ai retenu un Pinot Gris 2020 dont je parlerai dans quelques jours) : ananas confit, fruits très mûrs, petite note de fleur d’oranger, ampleur en bouche avec une infime pointe de salinité enfin de bouche. La quantité de sucre est de 94 g par litre et pourtant on reste dans l’élégance. Le message du terroir est remarquable. Il n'y a rien de plus beau qu'un tel vin pour terminer en beauté un repas en Alsace.
Tout au long de la dégustation, Gabriel Lepouzez, a commenté les différents types de fraîcheur, un terme hybride que l’on peut plus ou moins comparer ou associer à la notion de minéralité. On recherche la fraîcheur parce qu’on a chaud, soif, envie d’être réveillé. C’est une donnée difficile à quantifier, à l’inverse de l’acidité qu' l'on peut mesurer, et qui s’oppose à la surmaturité.
La première fraîcheur est tonique, révélée par des arômes mentholés ou herbacés (sensations trigéminales de froid), suiviez de l’amertume (que l’on peut qualifier d’absence de sucre) qui du point de vue émotionnel est stimulante et vivifiante.
Il existe aussi une autre fraîcheur, désaltérante, amenée par l’acidité et la salivation (absence d'astringence et de sucre), fluidité, légèreté, aérien (pas d’épaisseur) qui en terme d'émotion nous emmène vers la réhydratation.
Une boisson effervescente jouera sur les deux tableaux : elle sera vivifiante et désaltérante.
Le chercheur nous a fait respirer un papier imbibé de cinéol (eucalyptol) qui évoque immédiatement le camphre ou l'eucalyptus et que l'on rencontre parfois dans des vins rouges, des vieux Porto, voire même des vieux Riesling. Il est présent dans le laurier, la sauge et le romarin. Plus tard il nous fera saliver rien qu'en nous projetant l'image d'un citron. Ocomprend mieux comment respirer un vin peut provoquer des réactions en chaine.
L’éthanol réactive le récepteur du chaud, comme le fait le piment. Mais si la boisson est froide l'effet sera moins puissant.
En termes de saveurs salivantes, il faut savoir que l’acide multiplie l'effet par 10, l'umani par 4, le Salé seulement par 2.
En parfumerie ce sont les notes fraiches qui arrivent de tête avec les agrumes, les herbes écrasées, le concombre ou le melon d'eau.
Pour finir il a abordé la notion de buvabilité. La fraicheur est un indice de consommation qui profite aux vins blancs. Il faut se méfier de la tendance à chercher à servir des vins à basse température. S'agissant de vins riches en tanins, cette façon de faire durcira les tanins.
La fraîcheur, juste une question de température ? La question méritait d'être traitée. Si je n'avais pas d'a priori sur le sujet je manquais de connaissances et j'ai beaucoup apprécié.
Nous avions ensuite l'opportunité de rencontrer pendant l'heure suivante les 16 producteurs présents : Domaine Bores, Domaine Boxler Justin, Domaine Braun Camille, Domaine Burckel-Jung, Cave de Ribeauville, Clos des Terrres Brunes, Domaine Faller Luc, Maison Frey Charles, Domaine Regin Andre, Domaines Schlumberger, Domaine Spannagel Vincent, Domaine Wach, Domaine Weinbach, Domaine Weinzaeppel, Maison Zeyssolff et Domaine Zimmermann dont 7 d'entre eux avaient fourni un vin pour la master-class.
Il n'est absolument pas possible de discuter avec chacun et de gouter tous les vins présentés. Mon point de vue est forcément biaisé. Mais je sais que de hamster-class en master class j'affinerai mes connaissances. Certaines dégustations demeurent longtemps en mémoire, comme celle qui j'avais faites en 2014 au cours d'une autre soirée mode Alsace elle aussi sous l'égide du CIVA.
Pour me canaliser lorsque je suis en dégustation, je choisis désormais de me concentrer sur un objectif d'accords vins-mets. Cette fois je voulais trouver un vin qui se marierait avec les huitres que j'ai ramenées d'Oléron et qui ne soit pas un Riesling car je ne voulais pas être classique (et rester dans le domaine de l'Alsace). Et, plus difficile, un autre qui pourrait se boire avec une cote de boeuf, sans forcément me tourner vers un Pinot noir.
J'avais décidé d'arrêter mes recherches (et donc la dégustation) au moment où j'aurais trouvé un bel accord, sans chercher mieux.
Je vais en reparler dans les jours prochains mais pour les huitres ma décision était prise au cours de la master-class en raison de la palette aromatique de l'AOC Alsace 2021 "Les vignes du Prêcheur" du Domaine Weinbach dont lon remarquera l'étiquette traditionnelle.
Ce domaine est assez prodigieux et j'ai été étonnée par son AOC Alsace 2021 dit "MVO" composé de deux tiers de Gewurtraminer et d'un tiers de Pinot gris. J'ai voulu me limiter mais j'y repenserai un autre jour.
Pour la viande, ayant été séduite par le Gewurztraminer de Jean Siegler j'ai gouté son AOC Alsace Pinot Gris 2020 qui m'a convaincue immédiatement.
Néanmoins, il y avait à la table voisine une jeune femme qui s'exprimait avec tant de fougue que j'ai retenu son Alsace Pinot Gris 2020 (Domaine Weinzaeppel) que je vous présenterai également.
Renseignements utiles :
CIVA : Conseil Interprofessionnel des Vins d’Alsace
12 avenue de la Foire-Aux-Vins - BP 11217 - 68012 Colmar Cedex
Tél. : (33) 03 89 20 16 20
E-mail : civa@civa.fr
1 commentaire:
Merci pour ce voyage multisensoriel, on a l’impression d’y être 🍷😉
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