Si la Seconde Guerre mondiale est un thème récurrent au théâtre le contexte indochinois est largement passé sous silence. C'est le thème central du Bar de l'Oriental.
Dans la petite ville de garnison de Lang Son, proche de la frontière chinoise, cinq personnages en quête d’eux-mêmes se retrouvent soudain face à leur destin – tragique ou médiocre selon leur parcours ou leur caractère – tandis qu’en arrière-plan, le conflit indochinois entre dans sa phase critique avec l’abandon par la France de la forteresse de Cao Bang.
Militaires ou colons, tous attendent le déclenchement inéluctable de la grande offensive vietminh qui se prépare et dont les signes avant-coureurs tiennent la ville en alerte. Pourtant, malgré l’urgence du présent, le passé semble peser de tout son poids sur les relations qui se tissent entre les différents personnages.
Que s’est-il donc passé cinq ans plus tôt, à Saïgon, en 1945 au Bar de l’Oriental ? Une promesse non tenue, un amour refusé par fidélité à un autre amour, à une cause supérieure, à un enracinement corps et âme dans ce pays si énigmatique… L’engagement politique, l’art, ou l’amour opèrent ici comme autant d’idéaux, parfois illusoires et pour lesquels certains iront jusqu’à sacrifier leur vie.
L'atmosphère est presque étouffante, sombre malgré ce qu'on interprète comme le chant nuptial des cigales et plus tard la voix de Jean Sablon interprétant C'est si bon.
Pour le moment rien ne semble serein. Le lustre diffuse peu de lumière. Une sirène résonne au loin. Entre un homme, un revolver à la main. On devine, caché derrière la claustra, un joueur de flute (Mai Thành Nam) dont la mélodie est déroutante mais sa présence, qu'il joue de la flute traditionnelle ou du tambour apportera une note poétique. La radio crache des infos alarmantes sur la guerre qui s’est rallumée en Indochine.
Personne n'est d'accord sur le bien-fondé du conflit. Pourquoi poursuivre une guerre qui n’a plus aucun sens. Le Tonkin est déjà perdu pensent certains. Mais on défend des amis qui aiment le parfum de la cannelle, du gingembre, l’odeur épicée de ce vieux palais justifie Dorothée (Gaelle Billaut-Danno).
Manifestement deux visions s’opposent. Elle n'a qu'une envie, monter à cheval près du fleuve. Son mari a la nostalgie des peupliers et la neige lui manque. Il étouffe, se sent trahi. A fortiori après avoir découvert ce petit mot rappelant à sa femme Rv vendredi 17 h MB.
Ce qui est intéressant c'est l'échafaudage de manipulations dans lesquelles les personnages s'affrontent en parallèle du conflit politique qui, d'une certaine façon, excite les comportements. Le spectateur assiste à la représentation du pouvoir où personne ne joue franc jeu.
Le mari (Charles Lelaure, en alternance avec Valentin de Carbonnières) trompe sa femme avec Marianne, sa belle-soeur (Katia Miran). Dorothée n'a-t-elle vraiment épousé Jean que pour le confort que pouvait lui apporter un homme "normal" ? Les intentions de Bobby, le beau militaire aux tempes grises (Pierre Deny) sont-elles d'une pureté sans faille ? Le commissaire Angeli (Pascal Parmentier) est-il dupe des craintes de Dorothée concernant sa servante chinoise ? Ne s'inquiète-t-elle pas plutôt pour ce Lo Fanto qui est probablement un dangereux terroriste ?
Jean-Marie Rouart montre combien le conflit peut vite prendre la forme d'une guerre civile, avec ce qu'elle a de terrible quand les protagonistes sont des personnes qu'on estime, et pour lesquelles on peut avoir des sentiments.
Le militaire passionné d'entomologie lance des menaces. Dorothée ne veut pas finir comme l'araignée Regina. L'ami d'hier peut devenir l'ennemi d'aujourd'hui, pour peu qu'il s'estime trahi. Qui pourrait en sortir vivant ? On se souviendra longtemps de l'image de Dorothée, se tenant très droite sur le bout du pont comme sur un bûcher dans un halo de lumière rouge avec en arrière-fond un crépitement qui fait monter l'angoisse.
Tout a été réuni, depuis les lumières, jusqu'au jeu subtil des acteurs, en passant par un décor évoquant parfaitement l'atmosphère tonkinoise, pour qu'on se projette dans cette histoire qui ne pouvait que mal finir.
Jean-Marie Rouart de l’Académie française, est né en 1943. Auteur de plusieurs romans dont Avant Guerre, prix Renaudot 1983, il a dirigé de Figaro Littéraire pendant vingt ans. Il a été élu à l’Académie Française en 1997.
Le Bar de l’Oriental de Jean-Marie Rouart
Mis en scène par Géraud Bénech
Avec Gaelle Billaut-Danno, Pierre Deny, Katia Miran, Charles Lelaure, Pascal Parmentier et Mai Thanh Nam
Au Théâtre Montparnasse - 31, rue de la Gaîté – 75014 Paris
Jusqu’au 28 avril 2024
Mercredi, jeudi, vendredi & samedi à 19 h, dimanche à 18 h
Relâche exceptionnelle le dimanche 17 mars 2024
Au Théâtre Montparnasse - 31, rue de la Gaîté – 75014 Paris
Jusqu’au 28 avril 2024
Mercredi, jeudi, vendredi & samedi à 19 h, dimanche à 18 h
Relâche exceptionnelle le dimanche 17 mars 2024
Les photos qui ne sont pas logotypes A bride abattue proviennent du Studio photo de Jarnac
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