C'était une évidence. Après Tant qu'il reste des îles je ne pouvais pas manquer le livre suivant.
A trente ans, la vie de Félix, c’est Belleville, sa compagne Anna et leur bébé Elie. C’est aussi, le soir, jouer de la guitare dans des bars avec l’espoir tenace de voir sa carrière solo démarrer. Car la gloire, Félix l’a déjà frôlée. Tous les quatre, ils avaient le talent, l’audace, l’osmose. Il y avait la fièvre, l’excitation et l’insouciance. Leur groupe a décollé, puis tout s’est effondré. Alors, arrivé en ce point précis où l’existence l’exige, Félix doit faire un choix : poursuivre encore le rêve ou changer de regard sur sa réalité.
Après la mer, c’est la musique qui est le thème principal de ce roman, mais c’est toujours une histoire nostalgique de passion et d’engagement.
Felix, que le prénom devrait prédestiner au bonheur, a coupé les ponts avec les anciens membres de son groupe musical par besoin de faire le deuil (p. 189) mais la méthode ne fonctionne pas. Devenir musicien professionnel, et surtout vivre de son art, est demeuré son obsession.
Berné d’illusions par un manager trop optimiste, crevant de ne pas savoir ce qu’il en est exactement, le musicien ose la démarche courageuse d’aller chercher la réponse lui-même auprès du producteur qui est venu le voir en concert (ce qui avait donné lieu à un récit homérique car il avait dû emmener son bébé). La vérité lui éclate au visage : C’est bien, mais il n’y a plus de public pour ça, c’est une question de tempo (p. 180).
Martin Dumont s’est appuyé sur sa propre expérience pour explorer pourquoi beaucoup de nos rêves passent ainsi à la moulinette, non pas faute de talent, mais en raison d’un décalage dans la concordance des temps. A même pas vingt ans il avait formé un groupe de rock avec quatre potes. Il s’appelait Smatch. Le succès est venu puis tout s’est effondré.
Il faut du temps à Felix pour l’admettre mais comme lui dit son ami, Il y a un moment où tu comprends que tu ne seras jamais Picasso (p. 159). On est tenté de penser « Game over » et pourtant non parce qu’il y a (aussi) un moment où tu te remets à peindre (p. 205). Autrement dit, ce n’est pas parce qu’on ne fait pas le métier d’astronaute qu’il faut cesser de viser les étoiles. Ce qui n’est pas notre profession peut rester une passion.
Ce qui est réussi dans ce roman c’est la manière dont l’auteur nous fait comprendre que le talent seul ne suffit pas, les relations non plus. La sagesse populaire a sa formule : être là au bon endroit, au bon moment. S’il ne l’a pas été (pas longtemps) dans le domaine musical il a toute sa place en littérature.
Car être dans le bon tempo n’aboutit que si on fait les bonnes rencontres. Dans le roman c’est Kacem, le patron du restaurant qui se trouve en bas de chez lui qui lui offrira son amitié et une vraie aide professionnelle. Dans la vraie vie ce furent sans doute les éditrices des Avrils, Sandrine Thévenet et Lola Nicolle, qui ont imaginé une « collection » au sein des éditions de Delcourt. Elles nous ont habitués à de belles surprises. Aucun doute qu’elles savent débusquer des auteurs en pleine jeunesse.
Martin Dumont est né en 1988, il est ingénieur pour l’éolien en mer, ancien membre d’un groupe de rock, et vit entre Rennes, Paris et Nantes. Après Le Chien de Schrödinger (2018) et Tant qu’il reste des îles (Les Avrils 2021, Prix France Bleu / PAGE des libraires, sélections Prix des libraires, Prix Relay), tous deux parus en poche chez J’ai Lu, il poursuit avec Tempo la construction d’une œuvre sensible et fédératrice.
Je signale qu’un QR code, en fin d’ouvrage, permet d’accéder à la play-list de ses 21 choix musicaux, depuis Bob Dylan, BB Brunes, Nina Simone, en passant par The Who et The Clash qui composent 1 h 21 de musique.
Tempo de Martin Dumont, Les Avrils, en librairie depuis le 3 janvier 2024
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