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samedi 9 juin 2012

Découverte de Vélizy avec Dector & Dupuy


Suivre une visite orchestrée par Dector & Dupuy c'est avoir l'assurance de regarder l'environnement avec un autre oeil. Leur parcours tient de l'éveil politique, de la poétique et surtout de la performance. Et cela fait 20 ans que çà dure ... Ils ont beau mettre en garde la troupe avant le départ, préciser que rien n'est imprévu, tout le semble pourtant.

En fait ce qui surprend c'est leur manière de faire miel de tout détail. A commencer par un plot, une poubelle, une borne de signalisation pyramidale oubliée au pied d'un arbre ... les voilà qui lui trouvent une portée symbolique, un hommage à l'arbre anonyme, en mémoire d'un des 60 000 que Robert Wagner a fait planter dans la ville nouvelle de Vélizy.

Ils continuent sur cette lancée en voyant dans ce piètre ruban tricolore le signe d'un label de qualité qui aurait été attribué incognito à la ville, pour sa politique de grands travaux, ou pour son action culturelle, à défaut d'une beauté qu'elle n'a pas.

Et, cerise sur le gâteau, c'est l'affiche de l'exposition Ever Living Ornement qui est juste au-dessus.

Nous avons tous compris dès la deuxième halte de cette promenade que nous faisons dans la ville de Vélizy (78) que nous allons être invités systématiquement à voir ce qu'on ne regardait pas jusqu'à maintenant. Le troisième arrêt nous conduit dans le hall d'un immeuble d'habitation dont le faux plafond, très bas, est l'occasion d'une démonstration métaphorique autour de la croyance de Saint Thomas. De même que cet homme a plongé deux doigts dans le flanc du Christ ressuscité un quidam aurait fait glisser les siens sur du noir de fumée déposé par la flamme d'un briquet, histoire de vérifier que le bois est efficacement ignifugé.


Michel (Dupuy) à moins que ce ne soit Michel (Dector) a entouré à la craie des traces d'huile de moteur sur une place de parking, constatant des marques à une cinquantaine de centimètres de chacune des extrémités, mais dans une proportion double à un des deux bouts. Son explication se base sur la préférence du conducteur à se garer en marche arrière (estimant qu'ensuite il lui sera plus facile de repartir) ou en marche avant (par simplicité irrationnelle). Les premiers, qualifiés de calculateurs ne seraient que 35%. Les seconds, dits procrastinateurs seraient au nombre de 65% puisqu'ils laissent des trainées doublement plus importantes.

La balade se poursuit sur un registre carrément surréaliste. Le poussoir d'un briquet rencontré soudainement (je rappelle qu'il n'y a aucun hasard dans cette aventure) se confond avec le sol dans un mimétisme quasi animal évoquant les stratégies de défenses des insectes contre les prédateurs. Brandi à bout de bras il semble paré d'un oeil effrayant, autre ruse des criquets pour effrayer leurs ennemis. Conclusion : ce briquet est un criquet !
Les spectateurs savourent la chute et attendront désormais des perles équivalentes. En voici une avec une canette écrasée, sorte de véhicule garée en bordure de caniveau, tôle froissée en attente d'expertise. Pauvre ville dont les rangées de voitures sont des colliers sans fin.
Plus loin un emballage de kebab aurait laissé sur l'asphalte une trace argentée en forme de larme ... nous frôlons la rumeur urbaine.
L'objectif étant de rendre le cœur de la ville aux piétons, une rue souterraine avait été dès l'origine aménagée sous les centres commerciaux afin de permettre l'approvisionnement des réserves des boutiques en sous-sol. La voie souterraine a été abondamment "graffitée" depuis. C'est pain béni pour les deux compères qui analysent les traces comme une peinture pariétale où le slogan Vive le Pen a provoqué la guerre et quelques inventions de formes. La lettre E devient un 8 souriant et un V se fait serpentine.
Cette rue souterraine, conçue pour desservir les commerces et les délester incognito de leurs poubelles, devient une galerie de peinture capable de provoquer de vraies émotions. Quelques vérités nous sautent aux yeux comme la couleur verte associée aux poubelles vertes. Des formes picturales désinvoltes apparaissent  de mètre en mètre au fur et à mesure que nous progressons dans le boyau.
L'architecte Alain Gillot, adepte du Corbusier, avait voulu dissimuler les poubelles aux passants et faciliter les livraisons. Les poubelles n'ont jamais été aussi repérables. Et pourtant des objets abandonnés ponctuent. La fonctionnalité des couleurs apparait soudain : le vert pour le verre.




L'architecte  avait installé des loggias pour prolonger les appartements. Il avait varié les volumes, les hauteurs et les largeurs pour rompre la monotonie, multiplié les jardins.
Dector raille un peu : On ne dira pas que ce jardin là soit raté ... Il aurait pu être conçu tel que pour dissuader les passants d'uriner contre les murs ou les sans logis de venir y camper. Dupuy y verra avec indulgence un vrai jardin de pierres appelant à la contemplation, à l'instar d'un autre, plus connu, à Kyoto. Il n'empêche que les autres espaces sont agrémentés d'arbustes fleuris ...
Un morceau de vénilia boursoufflé leur inspire une échappée d'un décor de faux bois qui colle à la thématique de l'ornement qu'ils ont intégré dans le parcours. J'y verrai une évocation de la langue de bois des politiques.
Polémique autour de la place de ce banc. Est-elle irrationnelle puisqu'elle ne permet pas de garder les pieds par terre ? Et si c'était un dispositif pour accrocher les deux roues ? L'endroit devient idéal pour s'octroyer une pause, grignoter un bout sur cette table improvisée ou y faire une sieste réparatrice avant de reprendre la route. Au lieu de se tordre le cou pour retirer son antivol le motard peut effectuer la manip assis, en toute ergonomie.
Toute ville a ... non pas sa cheminée comme je l'ai cru de prime abord, mais son clocher. Celui ci est muni de deux horloges, histoire sans doute de lire l'heure dans l'un et l'autre sens de circulation. Sauf que de ce coté le X de dix heures s'est décroché, rappelant l'usure et le temps qui passe. Ce serait une fatale erreur que de le restaurer. N'oublions pas que nous sommes poussière ...
Nous longeons la banane, surnom donné par les véliziens à un immeuble dont la courbure leur fait penser à ce fruit, pour pénétrer ensuite dans le quartier du Clos. La végétation multiplie les efforts pour reprendre du terrain sur le béton, en réinvestissant d'abord les bordures. Ici un pissenlit, qui bientôt "sèmera à tout vent". Là un seringa qui embaume déjà. On a l'espace vert qu'on peut.
Les maisons sont disparates, serrées les unes contres les autres. Des cabanons d'autrefois ne subsistent plus que deux échantillons. A force d'agrandissement les autres sont devenus de petits Versailles. Quand on songe que la dernière négociation a dépassé le million d'euros ...

La fantaisie de nos guides est sans limite. Au prochain tournant la découverte de flyers glissés dans une clôture, un panneau de limitation de stationnement ou une armoire électrique les fait dresser un portrait imaginaire de leur distributeur. Cette activité ne saurait être qu'alimentaire et l'occuper à mi-temps. C'est à coup sur un artiste dans l'art du pliage, origamiste peut-être suggère une promeneuse.

L'espace urbain est sans cesse disputé par les automobilistes aux piétons. Chacun sa voie de circulation. Si les premiers doivent suivre les routes, ce qu'ils font sans fatigue, les seconds (qui sont souvent ces mêmes premiers une fois descendus de leurs véhicules) ne souffrent par contre pas qu'on leur assigne des circonvolutions et traceront en ligne droite.

Prochaine halte sur une grille d'aération d'où s'échappe une pollution sonore qui pourrait passer pour une composition musicale si nous faisons preuve d'imagination et de bonne volonté. Avec pour bénéfice de rendre la chose nettement plus supportable.

Emprunter la rue Louis Breguet remue les souvenirs d'aviation indissociables de l'histoire proche de Vélizy. On connait le monument à la gloire de Dassault, la statue d'Icare, les éléments de décors d'aviation sur la frise de la mairie. Il manque tout de même une piste dont une ébauche est fort judicieusement esquissée tout près de l'Onde.
Le vingtième et dernier arrêt témoigne du caractère toujours insolite, mais aussi écologique, d'un ancien affichage sauvage. Des cercles de scotch respectueux de l'arbre (à l'inverse des agrafes plantées dans l'écorce d'autres spécimens) s'opposent aux panneaux recouverts d'affiches électorales. Il est vrai qu'on ne se pose pas la question de la beauté.
Les deux Michel nous abandonnent en suggérant de revenir suivre un autre type de visite, cette fois patrimoniale, proposée par l'association Signes du temps en repérant les marques au sol (cloche).

Ever Living Ornement se poursuit jusqu'au 1er juillet 2012
Au Micro Onde, centre d’art de l’Onde
8, bis avenue Louis Breguet - 78 140 Vélizy-Villacoublay, 01 34 58 19 92
microonde@londe.fr 
Entrée libre du mardi au vendredi, (sauf jours fériés) de 13 h à 19 h, le samedi de 10h à 16h.
la Maréchalerie, centre d’art contemporain de l'Ecole nationale supérieure d’architecture de Versailles, 5, avenue de Sceaux – 78 000 Versailles, 01 39 07 40 27 lamarechalerie@versailles.archi.fr 
Entrée libre du lundi au samedi (sauf jours fériés) de 14 h à 18 h et le matin sur rdv.
Avec une autre Visite performance exceptionnelle organisée par Dector & Dupuy :
Dimanche 1 Juillet, à 11 h à Versailles. Renseignements aux numéros et adresses ci-dessus.

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