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jeudi 28 juin 2012

Madame Edouard, de Nadine Monfils, réédité chez Belfond

Madame Edouard est née en 1999, par une belle soirée annonciatrice de la Nuit des coquelicots. C'est la bonne copine du Commissaire Léon, un homme malin qui bataille à coups d'aiguilles (à tricoter) pour ne pas resombrer dans la tabagie.

Il aligne patiemment les mailles pour mieux saisir l'envers des affaires et faire tomber les coupables, sous le regard dubitatif de son chien soit disant pas très malin, mais qui fait bien la paire avec lui quand même, sortes de Tintin et Milou, très revus et très corrigés.

Tous les quatre sont des célébrités belges, comme leur patronne, Nadine Monfils, néanmoins aussi montmartroise. Le moins qu'on puisse dire c'est qu'elle aime ce quartier qui n'a pas meilleure attachée de presse à mon avis. Ses romans sont truffés d'allusions, d'adresses et de détails tous authentiques, ce qui décuple le plaisir de lecture.

Je connais (un peu) le 18ème et j'ai l'impression de trotter dans le décor au fil des pages. Quant aux personnages, je n'ai plus beaucoup d'effort d'imagination à faire depuis que j'ai vu Léon en la personne de Michel Blanc.
Sa maman a définitivement la voix d'Annie Cordy. Il n'y a que Babelutte qui n'est pas raccord dans mon cinéma personnel parce que je ne peux pas déscotcher de ma mémoire la tête facétieuse du pinscher de Nadine.

Ledit pinscher, qu'il ne faudrait pas confondre avec un teckel, s'appelle Léon dans la vraie vie alors que le chien du roman, qui passe pour un nigaud (p. 122) à force de jouer le rôle de la véritable andouille porte un nom en référence à une confiserie au caramel, spécialité du bord de la mer du Nord. Est-ce une raison pour que l'animal adore le chocolat ? Encore heureux qu'il n'ait pas été baptisé "couque" (un biscuit) ...

L'auteur nous balade en cercles concentriques autour du Colibri, le bistrot montmartrois de la rue Véron qui se trouve être le QG de son héros-commissaire, lequel habite rue Robert-Planquette, où se trouve par contre le QG de Nadine ... Si je vous ai perdu rendez-vous à la Midinette.

La dame adore les troquets qu'elle estime moins chers que les psys, et souvent plus efficaces (p.30) quel que soit le vin qu'on y boit (sûrement en toute modération s'entend) et pas montmartrois tous les ans parce que toutes les cuvées ne sont pas gagnantes. Rien d'étonnant non plus à ce qu'elle cite le Lapin Agile, célèbre cabaret dont l'enseigne, un lapin dans une poêle, avait été peinte par André Gill (p.203).

Elle n'est pas chauvine, capable de citer le café mauresque de la Mosquée de Paris dans une autre aventure (p. 265) et coté cimetières, de célèbrer la supériorité du Père-Lachaise à Saint-Vincent. La taille offre un potentiel de surprises bien supérieur et on peut y passer de Signoret à Oscar Wilde en saluant Mélies ou Edith Piaf (p.88) sans compter l'extraordinaire membre de Victor Noir, patiné par un siècle d'attouchements. Record de visites assuré pour ce journaliste mais il y a beaucoup d'autres sculptures à voir. La preuve.

Nadine Monfils fait grimper la rue Lepic à Léon qui, passant devant la vitrine des Petits Mitrons va, inévitablement, craquer pour un pain au chocolat (p.107). Elle nous rappelle (P.63) que c'est Cocteau qui a décoré le Studio 28, rue Thozolé.

Elle fait surgir au fil des pages la mémoire de montmartrois très connus comme Jean-Pierre Jeunet, qui fut son conseiller artistique sur la version cinématographique de Madame Edouard, moyennement connus comme Roland Dorgelès, lequel a vécu dans le coin ... rue des Brouillards, ou dont la mémoire est injustement moins présente comme Bernard Dimey, dont elle a bien raison de rappeler que sans lui Henri Salvador n'aurait jamais chanté Syracuse. J'ajouterai que sa fille, Dominique, est une formidable parolière qui chante la planète et l'enfance avec délicatesse. Son Roi du silence n' a jamais cessé de me toucher (album le Temps d'une chanson).

Madame Edouard est emblématique du style de Nadine, plus profond qu'on ne pourrait le penser à première lecture. Le thème de la vérité repasse en boucle. Elle écrit que c'est le meilleur chemin à prendre. Même s'il est le plus difficile au début, il t'évite de t'embourber par la suite (p.30) ... avec un bémol toutefois : on ne ment qu'aux gens qui ne sont pas capables de comprendre (p. 59) et puis une réflexion qui laisse perplexe : la vérité est un sentiment d'égoïste qui ne fait plaisir qu'à celui qui la dit (p.174).

J'étais entrée dans l'écriture de Nadine Monfils avec la Petite fêlée aux allumettes. J'ai tout autant sinon plus adoré ce numéro 1 d'une série que je dévore maintenant avec gourmandise. La nuit des coquelicots m'a semblé annoncer en quelque sorte la Petite fêlée.

Il me semble judicieux d'avoir placée cette aventure policière juste après Monsieur Edouard. La première vous familiarise avec l'univers de Léon, pour apprivoiser en quelque sorte le surréalisme des situations dans lesquelles il ne faudrait pas entrer par effraction. Quelqu'un qui commencerait (et j'ai soumis une amie à l'exercice) par la première page de La nuit (p.245) a de quoi être surpris, surtout si c'est une fine cuisinière. La recette de la soupe à la tomate est peu ordinaire. Vous suivez toujours le fil ? Fil rouge bien entendu ...

Je vous laisse gouter le style, le fond et la forme ... j'adore et j'en redemande. Ce sera dur de patienter jusqu'au 8 novembre pour retrouver le commissaire, sa mère, son chien et toute la bande. Ce seront deux nouvelles enquêtes : Il neige en enfer et Le silence des canaux. Un autre sortira en 2013 et un cinquième l'année suivante.

Nadine Monfils, Les Enquêtes du commissaire Léon 1, Madame Edouard, suivi de la Nuit des coquelicots, Belfond, Juin 2012, 448 p., 19 € 

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