Je me souviens parfaitement de l'Amante anglaise jouée en 2010 au Théâtre de la Madeleine, avec André Wilms, Ariel Garcia-Valdès et la grande Ludmilla Mikaël (à qui la profession décerna cette année-là un brigadier pour sa performance). J'ai failli ne pas me risquer à venir voir celle qui est à l'affiche du Lucernaire. La curiosité l'emporta et je ne regrette pas.
Il faut savoir que Marguerite Duras s'était indignée à plusieurs reprises de la façon dont étaient menés les interrogatoires et du manque d'écoute de la machine judiciaire. Ce qui la passionnait n'était pas de savoir qui avait commis le meurtre mais comment on pouvait en arriver à cette extrémité. C'est bien le silence de l'accusée qu'elle cherchait à faire parler.
Les lecteurs se rappellent peut-être du titre de l'éditorial qu'elle avait écrit dans le journal Libération en 1985 à propos de Christine Villemin (on croyait alors que c'était une mère infanticide. Depuis le procès s'est conclu par un non-lieu) où elle s'enflammait à propos de la mère de Grégory qu'elle voyait "Sublime, forcément sublime". Cet article était maladroit, fut très mal compris et fit scandale.
L'Amante anglaise est sans rapport avec l'affaire Grégory puisque la pièce a été écrite en 1968. Marguerite Duras s'était inspirée d’une autre situation -réelle elle aussi- dont elle a modifié quelques paramètres (l'épouse Rabilloux tue son mari en 1949, dépèce le cadavre, s'imagine le dissimuler en en jetant les morceaux la nuit dans des trains de marchandise ... qui passent tous sous le viaduc de son quartier ... à Savigny-sur-Orge) pour explorer à sa manière à qui profite un tel crime. Le présupposé de Marguerite Duras est d'éclairer l'inexplicable, partant du principe que rien n'est gratuit ni fortuit.
Claude Régy avait monté la pièce le premier en 1968, avec Madeleine Renaud, Claude Dauphin et Michaël Lonsdale. En 1999, Patrice Kerbrat l'a reprise avec Suzanne Flon, Jean-Paul Roussillon et Hubert Godon. La voici avec une distribution toujours aussi remarquable et on comprend que Judith Magre ait eu envie de se saisir (pour la première fois de sa grande et belle carrière) d'un texte de Marguerite Duras. Elle s'en amuse autant que possible : je tue d'accord mais on rit quand même, avait-elle promis le soir de la présentation de la pièce. Pari tenu par cette grande comédienne qui compose une Claire Lannes toute en nuances.
Le mari, Pierre Lannes (Jacques Frantz) est questionné le premier. Son innocence, du point de vue de la justice, vacille lorsqu’il avoue que oui vraiment cette mort est une aubaine inespérée, d’où la conclusion : vous avez tué en rêve, elle en vrai. Elle, c’est sa femme, Claire Lannes, la meurtrière de sa cousine, que l’on entendra dans la seconde partie.
L’époux sera libre. Libre, mais pas complètement innocent. L’interrogateur (Jean-Claude Leguay) suppose, réfléchit, relance. Il a parfois une façon de pencher la tête, de secouer son carnet de notes. Sans lumière aveuglante, loin de ce qu'on présuppose d'un interrogatoire, avec empathie, comme un psychologue chercherait à aider son patient à dérouler sa pensée.
Quand la rubrique "faits divers" relate de tels crimes elle les qualifie souvent d’actes gratuits, par raccourci, dans un aveu d’incompréhension ou par déni d’un sens profond. La criminelle elle-même ne saurait expliquer son geste. Alors je cherche pour elle dira l’Interrogateur, patiemment, car à défaut de raison objective il espère débusquer une ébauche de motif, un indice de motivation …
Tout le monde rêve de crime. Elle-même l’a confié à son mari. Elle craint maintenant la sentence. Elle sait que plus les criminels sont clairs plus on les tue (il faut avoir conscience que la peine de mort n’est pas encore abolie) et pourtant faire la lumière l’attire même si elle a d’abord estimé que ce n’était pas la peine d’expliquer. Elle a tout dit à la justice mais ce n’est pas tout à fait vrai. Elle n’a pas révélé où elle a caché la tête.
Sa cousine était grosse, trop grosse, cuisinant systématiquement des viandes en sauce. Quel écœurement ! Chaque dîner était la fin du monde. Claire en a vomi. Dans le jardin, sur le banc où à force de rester immobile lui venaient des pensées intelligentes. Elle pense au bonheur, s’enivrant du parfum mentholé des herbes aromatiques. Au suicide aussi. Elle vacille, sombrant dans l’anorexie mentale jusqu’à la folie.
Le titre de la pièce s'explique brutalement quand on réalise que c'est un simple jeu de mots avec la plante, la menthe.
Ce qui n’est pas pensé ne peut être dit. Avec honnêteté et parfois un regard qu'on pourrait penser malicieux, l’accusée répond, élabore, dit tout ce qu’elle peut, s’efforçant de ne pas perdre la tête. Oui elle a aimé. Oui à la folie. Oui, un jour on lui a menti et le ciel s’est écroulé. Oui sans doute n’était-elle pas assez intelligente pour l’intelligence qu’elle avait.
Elle parait dès lors moins coupable, voire même presque victime d’une sorte de vie étriquée sans occasion de rencontre, ni affective, ni intellectuelle, sans personne à qui parler. Coincée entre un mari massif et distant, une servante sourde et muette, souffrant de l’absence d’un ex-amant, dans ce village enserré dans un nœud ferroviaire. Au fond, seul l’Interrogateur constituera un partenaire intellectuellement de son niveau. Fiévreux, sérieux, tenace mais découragé subitement il cesse d’autopsier un meurtre dont l’essentiel vient d’éclater in extremis aux pupilles des spectateurs. Et c'est vainement que Claire Lannes le supplie de l'écouter.
Thierry Harcourt, le metteur en scène, affirme avoir été séduit par l'aspect policier de la pièce qu'il a vu comme un thriller de l’esprit, une tentative de comprendre ce qui peut pousser quelqu’un à commettre un acte aussi barbare.
L'amante anglaise demeure une énigme, ne révélant aucune circonstance atténuante pour alimenter la défense. Si ce n'est une toute petite phrase : "on ne se parlait pas".
L'amante anglaise de Marguerite Duras
Il faut savoir que Marguerite Duras s'était indignée à plusieurs reprises de la façon dont étaient menés les interrogatoires et du manque d'écoute de la machine judiciaire. Ce qui la passionnait n'était pas de savoir qui avait commis le meurtre mais comment on pouvait en arriver à cette extrémité. C'est bien le silence de l'accusée qu'elle cherchait à faire parler.
Les lecteurs se rappellent peut-être du titre de l'éditorial qu'elle avait écrit dans le journal Libération en 1985 à propos de Christine Villemin (on croyait alors que c'était une mère infanticide. Depuis le procès s'est conclu par un non-lieu) où elle s'enflammait à propos de la mère de Grégory qu'elle voyait "Sublime, forcément sublime". Cet article était maladroit, fut très mal compris et fit scandale.
L'Amante anglaise est sans rapport avec l'affaire Grégory puisque la pièce a été écrite en 1968. Marguerite Duras s'était inspirée d’une autre situation -réelle elle aussi- dont elle a modifié quelques paramètres (l'épouse Rabilloux tue son mari en 1949, dépèce le cadavre, s'imagine le dissimuler en en jetant les morceaux la nuit dans des trains de marchandise ... qui passent tous sous le viaduc de son quartier ... à Savigny-sur-Orge) pour explorer à sa manière à qui profite un tel crime. Le présupposé de Marguerite Duras est d'éclairer l'inexplicable, partant du principe que rien n'est gratuit ni fortuit.
Claude Régy avait monté la pièce le premier en 1968, avec Madeleine Renaud, Claude Dauphin et Michaël Lonsdale. En 1999, Patrice Kerbrat l'a reprise avec Suzanne Flon, Jean-Paul Roussillon et Hubert Godon. La voici avec une distribution toujours aussi remarquable et on comprend que Judith Magre ait eu envie de se saisir (pour la première fois de sa grande et belle carrière) d'un texte de Marguerite Duras. Elle s'en amuse autant que possible : je tue d'accord mais on rit quand même, avait-elle promis le soir de la présentation de la pièce. Pari tenu par cette grande comédienne qui compose une Claire Lannes toute en nuances.
Le mari, Pierre Lannes (Jacques Frantz) est questionné le premier. Son innocence, du point de vue de la justice, vacille lorsqu’il avoue que oui vraiment cette mort est une aubaine inespérée, d’où la conclusion : vous avez tué en rêve, elle en vrai. Elle, c’est sa femme, Claire Lannes, la meurtrière de sa cousine, que l’on entendra dans la seconde partie.
L’époux sera libre. Libre, mais pas complètement innocent. L’interrogateur (Jean-Claude Leguay) suppose, réfléchit, relance. Il a parfois une façon de pencher la tête, de secouer son carnet de notes. Sans lumière aveuglante, loin de ce qu'on présuppose d'un interrogatoire, avec empathie, comme un psychologue chercherait à aider son patient à dérouler sa pensée.
Quand la rubrique "faits divers" relate de tels crimes elle les qualifie souvent d’actes gratuits, par raccourci, dans un aveu d’incompréhension ou par déni d’un sens profond. La criminelle elle-même ne saurait expliquer son geste. Alors je cherche pour elle dira l’Interrogateur, patiemment, car à défaut de raison objective il espère débusquer une ébauche de motif, un indice de motivation …
Tout le monde rêve de crime. Elle-même l’a confié à son mari. Elle craint maintenant la sentence. Elle sait que plus les criminels sont clairs plus on les tue (il faut avoir conscience que la peine de mort n’est pas encore abolie) et pourtant faire la lumière l’attire même si elle a d’abord estimé que ce n’était pas la peine d’expliquer. Elle a tout dit à la justice mais ce n’est pas tout à fait vrai. Elle n’a pas révélé où elle a caché la tête.
Sa cousine était grosse, trop grosse, cuisinant systématiquement des viandes en sauce. Quel écœurement ! Chaque dîner était la fin du monde. Claire en a vomi. Dans le jardin, sur le banc où à force de rester immobile lui venaient des pensées intelligentes. Elle pense au bonheur, s’enivrant du parfum mentholé des herbes aromatiques. Au suicide aussi. Elle vacille, sombrant dans l’anorexie mentale jusqu’à la folie.
Le titre de la pièce s'explique brutalement quand on réalise que c'est un simple jeu de mots avec la plante, la menthe.
Ce qui n’est pas pensé ne peut être dit. Avec honnêteté et parfois un regard qu'on pourrait penser malicieux, l’accusée répond, élabore, dit tout ce qu’elle peut, s’efforçant de ne pas perdre la tête. Oui elle a aimé. Oui à la folie. Oui, un jour on lui a menti et le ciel s’est écroulé. Oui sans doute n’était-elle pas assez intelligente pour l’intelligence qu’elle avait.
Elle parait dès lors moins coupable, voire même presque victime d’une sorte de vie étriquée sans occasion de rencontre, ni affective, ni intellectuelle, sans personne à qui parler. Coincée entre un mari massif et distant, une servante sourde et muette, souffrant de l’absence d’un ex-amant, dans ce village enserré dans un nœud ferroviaire. Au fond, seul l’Interrogateur constituera un partenaire intellectuellement de son niveau. Fiévreux, sérieux, tenace mais découragé subitement il cesse d’autopsier un meurtre dont l’essentiel vient d’éclater in extremis aux pupilles des spectateurs. Et c'est vainement que Claire Lannes le supplie de l'écouter.
Thierry Harcourt, le metteur en scène, affirme avoir été séduit par l'aspect policier de la pièce qu'il a vu comme un thriller de l’esprit, une tentative de comprendre ce qui peut pousser quelqu’un à commettre un acte aussi barbare.
L'amante anglaise demeure une énigme, ne révélant aucune circonstance atténuante pour alimenter la défense. Si ce n'est une toute petite phrase : "on ne se parlait pas".
L'amante anglaise de Marguerite Duras
Mise en scène de Thierry Harcourt
Avec Judith Magre (Claire Lannes), Jacques Frantz (Pierre Lannes) et Jean-Claude Leguay (l'interrogateur)
Lumières Jacques Rouveyrollis
Du 25 janvier au 9 avril, du mardi au samedi à 19 h et le dimanche à 15 h
Au Théâtre du Lucernaire, 53 rue Notre-Dame des champs, 75006 Paris.
Standard : 01 42 22 26 50, réservations : 01 45 44 57 34
Au Théâtre du Lucernaire, 53 rue Notre-Dame des champs, 75006 Paris.
Standard : 01 42 22 26 50, réservations : 01 45 44 57 34
Les photos qui ne sont pas logotypées A bride abattue sont de Laurencine Lot ou PH. Hanula.
La première est celle du dossier original du manuscrit.
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