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lundi 6 février 2017

Compartiment fumeuses



A peine le cycle Xavier Lemaire se termine t-il que le Studio Hébertot inaugure celui des "amours singulières" qui fait écho au titre du livre "Les amitiés particulières" de Roger Peyrefitte. Le sujet de l’amour entre personnes du même sexe est certes dans l’air du temps mais Joëlle Fossier, l’auteure de Compartiment fumeuses, a su lui donner une dimension humaine qui échappe aux référentiels du militantisme ambiant.

Isabelle est revenue bouleversée et enchantée de la Première. Elle apprécie ces soirées où le jeu des acteurs n’est pas complètement rôdé. Leurs émotions n’ont pas encore subi l’usure de la répétition. C’est d’autant plus vrai quand le thème abordé est un sujet difficile comme dans cette pièce où deux femmes meurtries par la vie vont devoir partager la même cellule en prison. Rien pourtant n’aurait pu, dans un autre contexte,  les rapprocher à ce point.

La première, Suzanne, jouée par l’excellente comédienne Sylvia Roux, directrice du Studio Hébertot, se définit elle-même comme une prolo qui "pue" le poisson. Elle est fille de marin pêcheur breton et en prison depuis 2 ans pour multirécidives dans des affaires de vols et de chèques en bois. Arrive pour partager sa cellule, une femme d’un certain âge, d’un grand raffinement et fort élégamment habillée, Mademoiselle Blandine de Neuville incarnée par la magnétique Bérengère Dautun.

Tout à priori sépare les deux femmes : l’âge, l’éducation, le style et, nous l’apprendrons par la suite, la gravité de leur crime. Mais dans ce huis clos forcé, elles n’ont rien d’autre à faire que d’apprendre à se connaître et leur vie va s’en trouver changée.Suzanne se présente comme la maîtresse des lieux. C’est un peu devenu chez moi ici, dit-elle à propos de ce petit monde que sont les quatre murs de sa chambre. La mise en scène d’Anne Bouvier correspond à l’idée que l’on se fait du dépouillement d’une cellule de prison : 2 lits, 2 petites tables avec une chaise et une fenêtre à barreaux très haut placée.

Sur sa table, Blandine dépose sa pochette en soie, son peigne en ivoire, ses flacons de parfum et une photo d’un personnage mystérieux qui s’avère être son père… Suzanne a entassé sur la sienne des coquillages de toutes tailles dont elle se sert pour faire des créations. Parmi eux, une conque dans laquelle elle souffle pour communier avec la mer.
Ces éléments de décor ne sont pas anodins. Ils reflètent les univers respectifs des deux femmes : un raffinement poudré pour l’une, la mer et ses horizons infinis pour l’autre.

La première journée s’écoule, scandée par les bruits des trousseaux de clefs, des portes qui claquent, des pas qui résonnent dans les couloirs. Stéphane Corbin, auteur-compositeur, nous donne à entendre ces sons qui font sursauter Blandine à chaque passage de la surveillante (Florence Muller), une femme perverse, ambigüe et jalouse de la relation d’intimité qui se noue entre Suzanne et Blandine. Le piano sera l'instrument central, avec une attention particulière portée au traitement sonore, réverbérations et textures qui définiront le climat et feront partie intégrante du décor de la pièce, en cohérence avec le travail de lumière et la mise en scène d'Anne Bouvier.
Tout commence par le partage d’une cigarette (denrée précieuse en prison), qui va instaurer leur première complicité. Les voilà embarquées dans le même compartiment, où elles voyageront par la parole et découvrir que l’on peut s’émerveiller de la différence et l’accepter avec bienveillance. Au lieu de rejeter ce qui fait leur individualité, elles vont s’en nourrir mutuellement.

Suzanne explique les lois de la prison à sa compagne. On sent en elle un caractère rebelle bien décidé à ne pas céder aux humiliations : La force qu’il faut ici, c’est se tenir vivante.

On apprend que Blandine était professeur de lettres. Elle a le profil de la personne sans histoire.
- T’as l’air d’une petite fille qui collectionne les médailles … Moi je tchatche mais toi ton charme c’est ta présence.

Blandine remerciera en employant le vouvoiement qu'elle conservera tandis que Suzanne louvoie entre vous et tu, donnant l’avantage au singulier : T’es pas ici pour qu’il se passe quelque chose, t’es ici parce qu’il s’est passé quelque chose. Qu’est-ce qui s’est passé dans votre vie Blandine ?

Blandine porte un lourd secret qu’elle ne confiera à Suzanne que plus tard, lorsqu’elle se sentira en confiance et que vous découvrirez en allant voir le spectacle.

Dans la solitude de cet univers carcéral, leur amour va éclore comme une fleur qui pousserait dans la craquelure du bitume. Les sentiments se dévoilent tout en délicatesse et en humour. Alors que Suzanne décrit son habileté à voler, Blandine lui répond avec un sourire angélique : J’ai mon cœur à voler, personne n’a encore jamais volé mon cœur.

Toutes deux s’évaderont dans un rêve éveillé fait de beauté, de liberté et de poésie. Je veux du large dit Suzanne ... un monde à votre mesure Suzanne lui murmurera Blandine.
Elles s'évadent vers la liberté, traversent l’océan, Bérengère Dautun devenant magnifique figure de proue d’un navire imaginaire rappelant le beau bateau en coquillage fabriqué par Suzanne. La malveillance de la surveillante finira par les séparer physiquement mais on comprend avec la scène finale qu’elle n’a pas eu raison de leur amour. C'est un spectacle à ne pas manquer.

Comme le souligne parfaitement Joëlle Fossier

, Compartiment Fumeuses est une pièce dédiée à toutes les femmes qui résistent, s’affranchissent, aspirent à briser leurs chaînes et gagnent leur liberté.
Compartiment fumeuses

 de Joëlle Fossier


Mise en scène d'Anne Bouvier


Avec Bérengère Dautun, Sylvia Roux, Florence Muller
Studio Hébertot
78bis Boulevard des Batignolles, 75017 Paris  / 01.42.93.13.04
Du 5 février au 9 avril 2017, chaque dimanche à 19h30
Reprise du 10 mars au 14 avril 2018
jeudi et vendredi à 21 heures, samedi 19 heures
Photos Béatrice Landre

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