Publications prochaines :

La publication des articles est conçue selon une alternance entre le culinaire et la culture où prennent place des critiques de spectacles, de films, de concerts, de livres et d’expositions … pour y défendre les valeurs liées au patrimoine et la création, sous toutes ses formes.

mercredi 1 février 2017

Alma Mahler, éternelle amoureuse au Petit Montparnasse

Isabelle est allée voir Alma Mahler, éternelle amoureuse au Théâtre du Petit Montparnasse dont elle attendait beaucoup, sans doute en raison de son interprétation par la grande comédienne Geneviève Casile, qui ne l’a jamais déçue. Elle était accompagnée par une de ses amies, musicienne, pour pouvoir échanger leurs impressions après le spectacle.

Elle est revenue déconcertée par le personnage d’Alma Mahler qu'elle connaissait mal. L’interprétation de Geneviève Casile, toujours remarquable, fait découvrir une Alma Mahler vieillissante, non dénuée d’humour certes mais aussi dure, intransigeante, allant parfois jusqu’à la grossièreté dans les évocations de sa vie passée comme présente. 

Ce petit bémol ne l’a pas empêchée d’apprécier la richesse de la pièce écrite par Marc Delaruelle qui explore toutes les facettes de la vie de cette maîtresse femme passionnante et passionnée. 

Depuis quelques temps déjà le cinéma, la littérature et le théâtre nous font découvrir le destin des femmes d’artistes célèbres des XIXème et XXème siècles dont le nom n’est passé à la postérité qu’à travers la renommée de leur mari ou amant. Epouses, maîtresses, muses, conseillères, nombreuses sont les compagnes de grands artistes à avoir sacrifié leurs ambitions afin de laisser s’épanouir l’art de leur conjoint. 

Heureusement, l’histoire a su rendre justice à beaucoup de ces femmes d’exception comme Camille Claudel, Zelda Fitzgerald, Frida Kahlo et tant d’autres qui reviennent aujourd’hui en lumière. En 1988, Françoise Giroud écrivait un livre Alma Mahler ou l’art d’être aimée, retraçant la vie sentimentale de cette femme, muse de tant d’artistes.

La pièce commence au soir de sa vie, en 1960 à New York. Alma vient d’écrire ses mémoires et attend son éditeur. Soulignons qu’Alma Mahler n’a conservé qu’une seule de ses lettres à Gustav et qu’elle a supprimé ou falsifié bon nombre des courriers que Mahler lui avait adressés afin de réarranger la vérité pour ne pas être jugée trop durement par la postérité.

Ses premiers mots sont jetés comme une provocation : J’ai toujours détesté votre musique Monsieur Mahler

La correction des épreuves de ses mémoires donne l’occasion d’évoquer tout au long de la pièce ses maris exceptionnels (Mahler le musicien, Gropius l’architecte, Werfel, l’écrivain) et ses célèbres amants (Klimt, Alexandre von Zemlinsky, Kokoschka et le père Hollnsteiner…) mais aussi et surtout la personnalité de cette femme magnétique au destin exceptionnel

Jeune fille déjà, Alma Maria Schindler se passionne pour la musique. Elle grandit dans un milieu d’artistes à Vienne. Parmi les amis de son père on compte Gustav Klimt et Alexander von Zemlinsky qui l’initient à la peinture, à la musique... et à l’amour. Elle est belle, cultivée, intelligente et fait tourner la tête de bien des hommes. Sa forte personnalité impressionne. Elle veut être la première femme à composer un opéra.

Un pan de la scène jusqu’alors dans l’ombre et à présent éclairée laisse apparaître un piano de concert. Une jeune fille vêtue de blanc s’assied au piano et commence à jouer. C’est Alma. A côté d’elle, son professeur de musique, déjà fou amoureux d’elle, Alexander von Zemlinsky. Aurait-elle ou non reçu de Klimt son premier baiser ? Toujours est-il qu’Alexander sera son premier grand amour. Il joue Tristan au piano. Ils sont Tristan et Isolde et on entend alors fort à propos un extrait du Tristan et Isolde de Wagner.

Elle rencontre Mahler à peine un an plus tard. Nous sommes en 1901. Alma a 23 ans. Elle est sous le charme de ce compositeur et chef d’orchestre reconnu, directeur de l’Opéra de Vienne, qui la séduit en lui parlant le langage qu’elle attend d’un "confrère" : A la question d’Alma : "Est-ce que vous m’engageriez comme chef d’orchestre à l’Opéra ?", il répond : "Oui, je suis sûr que votre direction me plairait". Cependant, Alma va vite déchanter, si l'on peut s'exprimer ainsi.

Dès après leur mariage, Mahler met un terme définitif aux aspirations de compositrice de son épouse. Il ne daigne pas même regarder ses premières oeuvres (de fort beaux Lieder que vous pouvez écouter sur You tube). Leur vie tumultueuse et passionnée sera jalonnée d’épreuves. La mort de leur fille Maria sera la plus douloureuse de toutes. Alma reprochera à Mahler d’avoir écrit les Kindertotenlieder et d’avoir ainsi "forcé" le destin. Viendront ensuite l’architecte Walter Gropius et l’écrivain Franz Werfel mais Gustav restera la figure dominante dans la partition de la vie d’Alma.

Elle voulait être et devenir quelque chose et son chef d’œuvre sera sa propre vie. Elle en a fait une grande fresque amoureuse dont elle a tenu le rôle principal de la fin de la Vienne impériale au New-York des années 60. Alma était surnommée par ses amis "la veuve des Quat’Z Arts" : la musique, la peinture, l’architecture et la littérature. Elle a été la muse de nombreux artistes, tantôt inspiratrice, tantôt protectrice, tantôt destructrice… 
On retrouve Alma Mahler au soir de sa vie au centre de la pièce. Les autres personnages gravitent autour d’elle comme autour d’un astre sur le point de s’éteindre. Alma, jeune, est habillée de blanc, Kokoshka et Klimt aussi (avec une écharpe rouge) sont comme des souvenirs lointains et évanescents. Mahler, lui, est en costume, plus ancré, plus présent, plus pesant que les autres (sa musique est puissante, son personnage destructeur pour Alma). Julie Judd (Alma jeune) et Stéphane Valensi (qui joue l’éditeur et tous les hommes qu’Alma a aimés) sont très convaincants et offrent une lecture à plusieurs voix des souvenirs. A la fin de la soirée c’est la célèbre Vienne toute entière qui aura défilé devant nos yeux.

La mise en scène de Georges Werler est très sobre. Les éléments de décor se composent d'une sorte de divan, une petite table avec une bouteille de Bénédictine, le berceau où Alma Mahler mettait les partitions qu’elle avait composées (ses bébés), un piano, et un rideau transparent avec des reflets brillants qui sépare le public de la scène. Tour à tour, les différents personnages le franchissent. Le "voile de Maya" ainsi soulevé laisse apparaître un pan de vérité sur la vie d’Alma et de ses amants, sans jamais être complètement transparent (la vérité passe par le prisme des souvenirs d’Alma).

Les musiques sont particulièrement bien choisies (les interprétations également) : adagio de la 10e symphonie, Kindertotenlieder de Mahler, Tristan et Isolde de Wagner, pièce pour piano d’Alexander von Zemlinsky. Elles apportent de la consistance aux souvenirs.

Alma Mahler, éternelle amoureuse, de Marc Delaruelle
Avec Geneviève Casile, Julie Judd et Stéphane Valensi
Mise en scène Georges Werler
Décor Agostino Pace, costumes Sonia Bosc, lumières Jacques Puisais, son Jean-Pierre Prévost
Au Théâtre du Petit Montparnasse
31 rue de la Gaité, 75014 Paris - 01.43.22.77.74
Jusqu'au 30 avril 2017
Du mardi au samedi à 19h - matinée dimanche à 17h30

Photos DR

Aucun commentaire:

Articles les plus consultés (au cours des 7 derniers jours)